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Mobilier design

Attention aux faux, surtout sur Internet

Très à la mode, les meubles des années 1930 à 1960 sont proposés à des prix variant du simple au décuple, selon qu'ils sont d'époque, sous licence ou proposés par des faussaires. Et comme souvent, c’est sur Internet que la contrefaçon explose et que les clients se retrouvent sans recours.

Perriand, Prouvé, Jeanneret, Jacobsen, Eames. Ces noms ne vous disent peut-être rien, mais vous connaissez leurs productions, au moins de vue. Vous vous êtes peut-être même assis dessus, à l'occasion. Il s'agit de grands noms des meubles design, créés entre les années 1930 et 1960. Ce mobilier a connu un destin singulier. Conçu pour des productions en grande série, à moindre coût, il a inondé les bureaux, les ateliers et les logements, à l'image des meubles en formica. Passé de mode, il est parti à la casse par bennes entières dans les années 1980, avant de revenir en faveur auprès des collectionneurs, jusqu'à atteindre des cotes extravagantes. En 2015, une table signée Jean Prouvé, pièce banale du réfectoire de la cité universitaire d'Antony, a été vendue aux enchères pour 1,29 million d'euros ! Sans aller jusqu'à cette démesure, des armoires de bureaux métalliques des années 1950 et des chaises en plastique et acier sont aujourd'hui vendues à plusieurs centaines d'euros. « Jean Prouvé avait imaginé des pare-soleil à lames métalliques mobiles à placer devant les fenêtres », raconte Lionel Obadia, créateur en 2014 du site spécialisé Design-market.fr. « C'était un équipement de masse, pour des préfectures ou des rectorats. Le coût unitaire, à l'époque, était peut-être de 500 €. Aujourd'hui, vous le récupérez, vous le placez sur un socle et vous le vendez plusieurs milliers d'euros, voire plusieurs dizaines de milliers ».

La marée des copies bas de gamme

Cet engouement a inévitablement attiré son lot de faussaires. Le mobilier design ayant été conçu pour être abordable, il est relativement facile à imiter. Il n'emploie pas de matières rares. On trouve ainsi sur le marché des pièces présentées comme authentiques et proposées à prix d'or, mais pour lesquelles le doute est permis. Début mai 2017, la juge d'instruction Aude Buresi a mis en examen un célèbre marchand parisien, Éric Touchaleaume, au terme d'une enquête de plusieurs années. Il est suspecté d'avoir écoulé de faux meubles Jean Prouvé lors d'une vente aux enchères. « L'a-t-il fait en connaissance de cause, je ne sais pas, commente un expert. Il y a eu des faux, ça semble avéré. Restons prudents. Il y a aussi toute une zone grise de meubles dont la base est authentique mais qui ont été si lourdement restaurés, qu'il ne reste pas grand-chose du produit d'origine ! »

Ces contrefaçons de pièces historiques concernent en tout état de cause un nombre restreint de collectionneurs fortunés. Il en va autrement des rééditions contemporaines. Aujourd'hui, pour l'essentiel, les créations du design sont fabriquées, sous licence, en toute légalité, par des sociétés spécialisées, comme Vitra, en Suisse, ou Cassina, en Italie. Elles proposent du mobilier haut de gamme, mais abordable. Une chaise en plastique Eames fabriquée chez Vitra est vendue dans le commerce autour de 400 €.

En quelques clics, on trouve néanmoins sur Internet la même chaise, en apparence, à 40 €. « À 99,9 %, il s'agit de produits fabriqués en Chine », commente Guillaume Fournier, avocat au cabinet suisse Meyerlustenberger, chargé de la lutte contre la contrefaçon pour Vitra au niveau international. « C'est de la très mauvaise qualité. Je dirais bien à ceux qui en doutent de commander ces chaises et de juger par eux-mêmes, mais ce ne serait pas responsable, car il y a de sérieux problèmes de sécurité. Ces imitations de chaise Eames cassent sous le poids d'une personne ! »

Vous voulez vous lancer dans la contrebande de meuble design ? Ce n'est pas difficile. Sur Alibaba.com, le Ebay chinois, il est possible de commander un lot de 3 000 meubles pseudo-Le Corbusier, Charlotte Perriand ou Arne Jacobsen pour moins de 10 € pièce, livrable par container au port du Havre ou de Marseille, en six semaines. Investissement, transport compris, moins de 35 000 €. Valeur à la revente, entre 150 000 et 300 000 €. « N'importe qui peut créer un site marchand pour un prix dérisoire et disparaître une fois le stock écoulé », relève Guillaume Fournier. Son cabinet travaille avec les douanes françaises, qui saisissent et détruisent chaque mois des milliers de copies.

Le cas particulier de Voga

Bête noire des industriels qui possèdent les licences, le site Voga.com pose un problème d'une autre nature. « Voga a longtemps utilisé une faille de l'harmonisation européenne, résume Lionel Obadia. Le délai de protection de la propriété intellectuelle sur le design est de 70 ans à partir du décès du designer, sauf au Royaume-Uni, où il était jusqu’à l'an dernier encore de 25 ans seulement ». Voga s'est glissé dans la faille. Les britanniques ayant accepté d'aligner leur régime sur la norme continentale, le site a d'ailleurs déménagé récemment en Irlande ! Il propose des meubles dont le statut est ambivalent. En Irlande, leur design est tombé dans le domaine public. Voga peut donc les proposer en toute légalité. « 100 % légal », précise la page de garde. En Irlande, oui, mais pas en France. Un acheteur français, en théorie, s'expose à une mise en examen pour recel de contrefaçon. « Un risque très hypothétique », convient Guillaume Fournier. Les prix sont fort intéressants, deux à trois fois moins élevés que ceux de Vitra ou Cassina. « La qualité n'y est pas, prévient Lionel Obadia. Les pièces de design des années 30 à 50 étaient prévues pour être bon marché, mais à condition d'être fabriquées en grande série. Certaines machines-outils coûtent des millions d'euros. Voga ne les a pas. »

Le site Internet de Voga est très professionnel, bien conçu mais il ne dit pas tout. Les délais de livraison sont très longs (deux mois), même quand le site prétend disposer des pièces en stock. Selon toute probabilité, Voga fait fabriquer en Chine après commande.

Erwan Seznec

Erwan Seznec

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