Elsa Casalegno
Végane, plus cher et pas bio
Ferrero lance une version sans poudre de lait de sa célèbre pâte à tartiner. Ce serait louable, si Nutella ne brouillait pas les messages avec un nouveau bouchon vert, et s’il remplissait les pots... Revue de détail de ce produit et de ses allégations, qui sont une belle illustration du marketing alimentaire.
Il se voit de loin. Un bouchon vert tendre coiffe désormais une partie des pots de Nutella, au design si caractéristique, inchangé depuis des décennies. Il s’agit d’une version « plant-based », c’est-à-dire produite « avec des ingrédients végétaux », de la célèbre pâte à tartiner, qui apparaît progressivement dans les rayons des grandes surfaces. Les ingrédients d’origine animale ont été supprimés de la recette et remplacés par d’autres, d’origine végétale. Une révolution pour Nutella. Que Choisir s’est donc penché sur ce nouveau produit avec curiosité. Nous l’avons goûté, bien sûr. Nous avons aussi étudié sa composition et décrypté ses promesses et leurs ambiguïtés.
Le vert qui cache l’huile de palme
Un pot identique, mais un couvercle vert et une étiquette beige. Si la forme n’a pas changé, les couleurs jouent sur l’ambiguïté : le vert évoque un produit bio, ce qu’il n’est pas. Peut-être alors est-il moins impactant au plan environnemental ? Oui, en partie. La recette supprime le lait écrémé en poudre qui, comme les autres produits laitiers, dégage davantage de gaz à effet de serre ‒ 14,8 kg équivalent CO2/kg de produit, d’après la base de données Agribalyse (1) ‒ que les ingrédients d’origine végétale qui le remplacent. Ainsi, l’empreinte carbone de la farine de pois chiche est de 0,9 kg eqCO2/kg, et celle de riz de 3,06 kg eqCO2/kg.
Mais la recette ne fait pas disparaître l’ingrédient le plus polémique du Nutella : l’huile de palme, qui reste le deuxième ingrédient en quantité (après le sucre). Or, la culture intensive de palmiers à huile engendre une déforestation et une perte de biodiversité dramatiques dans les pays où il est cultivé en plantation intensive monospécifique. De quoi réduire à néant les efforts réalisés en supprimant la poudre de lait. Pourquoi Ferrero s’obstine-t-il à l’utiliser ? Parce qu’elle présente l’immense avantage de rester malléable à température ambiante et donc de conserver ses propriétés émulsifiantes.
L’évolution de la recette n’a donc pas pour objectif de proposer aux consommateurs un produit écologiquement moins impactant, mais bien de capter le marché des consommateurs véganes… Ces derniers sont prêts à payer plus cher leur alimentation exempte de produits animaux ‒ et Ferrero en profite !
Un prix 52 % plus élevé
En effet, le prix prend de l’embonpoint, puisqu’il faut débourser 1,03 € de plus en moyenne pour un pot végane. Soit 33 % de plus que le pot classique, pour 13 % de pâte à tartiner en moins. Car le pot en verre, s’il est de même format, est moins rempli ! C’est d’ailleurs indiqué sur l’étiquette : il contient 350 g de Nutella, au lieu des 400 g habituels. Aurions-nous un nouvel adepte de la shrinkflation ? En clair, à 11,91 €/kg en moyenne, le prix de la version végane est 52 % plus élevé que celui du Nutella classique (7,85 €/kg).
Un peu moins de sucre mais autant de graisses saturées
En revanche, si le tarif grimpe, le Nutri-Score stagne… La recette s’améliore à peine sur le plan nutritionnel. Ferrero a la main un peu moins lourde sur le sucre, dont la quantité passe de 56,3 g/100 g dans la recette originelle, à 45,4 g/100 g dans la version végane. Soit 11 g de moins pour 100 g de pâte à tartiner – c’est d’ailleurs perceptible au niveau du goût (lire l’encadré). Pour autant, il reste le premier ingrédient en quantité, presque la moitié du total.
Du côté des acides gras saturés (le « mauvais » gras), la teneur reste stable, autour de 11 g/100 g. Sans surprise, puisque l’huile de palme est toujours le 2e ingrédient. Concernant les protéines, le taux progresse à peine, passant de 6,3 à 6,8 g/100 g.
Conséquence, le Nutri-Score estimé du Nutella reste E (rouge) dans la version végane. Nous ne le verrons pas de sitôt sur les pots !
Plant-based ou végane ?
Les aliments « plant-based » (à base de plantes) sont principalement constitués d’aliments d’origine végétale, sans pour autant exclure strictement certains ingrédients d’origine animale. Ce qui permet à Ferrero d’indiquer, sans qu’il y ait contradiction, que ce produit « peut contenir du lait car fabriqué dans un établissement en manipulant ». Cet avertissement est destiné aux personnes allergiques aux produits laitiers.
Les aliments véganes, eux, excluent formellement toute utilisation de produits d’origine animale : viandes et poissons, mais aussi produits laitiers, œufs, miel et insectes. Attention, ce terme n’a pas de définition légale. Il ne certifie pas l’absence totale de contamination par des ingrédients d’origine laitière manipulés par ailleurs dans les usines, et ne peut donc être un critère suffisant pour les allergies graves aux produits laitiers.
Et le goût, alors ?
Pour vérifier si la recette végane ressemble à l’originelle, nous avons fait plancher une dizaine de collègues, qui ont goûté les deux versions de Nutella à l’aveugle. Sur 11 participants, 8 ont identifié lequel était le Nutella non végane. Mais ils en conviennent, les deux se ressemblent.
Avec quelques différences néanmoins : le Nutella classique s’avère nettement plus sucré que la version « plant-based », et les saveurs de chocolat et de praliné plus perceptibles. Sa saveur et sa couleur sont plus intenses, le goût plus persistant en bouche, mais il est parfois jugé plus collant.
Finalement, si la version classique reste légèrement préférée, la végane s’en sort très bien aussi : la première est préférée seulement 5 fois sur 11, et la seconde a été préférée 3 fois, tandis que 3 goûteurs amateurs n’ont pas tranché en faveur de l’une ou l’autre. Deux enfants ‒ habitués des pâtes à tartiner ‒ se sont aussi prêtés au jeu : le classique a leur préférence, sans hésiter, car « il est plus sucré » ‒ hélas…
(1) Source Agribalyse.
Domitille Vey
Rédactrice technique