par Fabrice Pouliquen
par Fabrice Pouliquen
À quelques jours de l’entrée en vigueur de la surveillance systématique de 20 PFAS dans les eaux du robinet, l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) dresse un grand état des lieux de la contamination de nos eaux brutes et distribuées à ces polluants éternels.
L’étude était attendue. À quelques jours de l’entrée en vigueur de la surveillance systématique de 20 substances per- et polyfluoroalkylées (PFAS) dans les eaux du robinet, l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) vient de publier les résultats d’une vaste campagne d’analyse de ces substances chimiques dans les eaux brutes et celles distribuées jusqu’à nos robinets. Une sorte d’état des lieux de la contamination de ces ressources à ces polluants éternels. Que Choisir en décrypte les principaux enseignements.
Cette campagne de mesures, pilotée par le laboratoire d’hydrologie de Nancy de l’Anses, s’est déroulée entre 2023 et 2025. Elle s’est focalisée à la fois sur les eaux brutes – cours d’eau, nappes phréatiques… ‒ ainsi que sur les eaux distribuées au robinet. Au total, 647 eaux brutes ont été échantillonnées et 627 eaux du robinet provenant de points de captages représentant environ 20 % de l’eau distribuée en France.
Pour chaque échantillon, l’Anses a cherché à mesurer les concentrations de 35 PFAS. Dans le lot, figurent les 20 PFAS qui seront systématiquement recherchés dans le contrôle sanitaire des eaux du robinet à partir de l’an prochain, en application d’une directive européenne. Mais pas seulement. L’Anses a intégré 15 autres PFAS dans cette campagne d’analyse dont l’agence estimait intéressant de connaître la concentration dans nos eaux. C’est le cas de l’acide trifluoroacétique, plus connu sous son acronyme TFA. Plusieurs études récentes, dont celle réalisée par Que Choisir avec Générations futures en février dernier, ont révélé la présence régulière de ce PFAS dans les eaux du robinet et parfois à des concentrations très importantes. L’Anses s’est également intéressée à 4 autres PFAS à chaîne ultracourte comme lui, à savoir composés d’une chaîne de moins de trois atomes carbone. Cette catégorie n’est pas représentée dans les 20 PFAS dont la surveillance est prévue par la directive européenne. Ils ont pourtant la particularité d’être très difficiles à éliminer une fois disséminés dans l’environnement.
Sur les 35 PFAS recherchés, 20 ont été détectés dans au moins un prélèvement d’eau brute et 19 dans l’eau distribuée. Autre constat qui semble rassurant : la somme des 20 PFAS de la directive européenne est trop faible pour être quantifiée (mesurée en laboratoire) dans 421 des 647 prélèvements d’eaux brutes et dans 438 des 627 échantillons d’eaux distribuées. Cette limite de qualité fixée à 0,1 µg/l pour la somme de ces 20 PFAS n’est jamais non plus dépassée dans les eaux brutes analysées par l’Anses. En revanche, elle l’est à 9 reprises dans ceux d’eaux du robinet. « Les concentrations alors trouvées vont de 0,11 µg/l à 0,451 µg/l », précise Xavier Dauchy, adjoint au chef de l’unité chimie des eaux du laboratoire d’hydrologie de Nancy.
Une nouvelle fois, c’est cette substance qui attire l’attention. C’est bien simple : l’Anses a établi 3 top 5 des PFAS suivant la fréquence à laquelle ils étaient retrouvés dans leurs échantillons, leurs concentrations moyennes et leurs concentrations maximales. À chaque fois, le TFA monte sur la première marche. Cette substance a été quantifiée dans 92 % des échantillons avec une concentration moyenne de 1,15 µg/l et une concentration maximale de 25 µg/l. Ce record, pour cette campagne, a été mesuré dans un échantillon d’eau provenant d’une usine de potabilisation située près de Salindres (Gard), indique l’Anses. Une usine du groupe Solvay, qui produisait jusqu’à récemment du TFA, y est implantée. Dans le cadre de notre étude parue en février, nous avions déjà trouvé une concentration de 13 µg/l dans un échantillon d’eau du robinet prélevé à Moussac, là encore près de Salindres.
À son tour donc, cette campagne de l’Anses confirme une contamination quasi généralisée de l’eau potable en France au TFA et parfois à des niveaux de concentration qui interpellent. Cette pollution à ce PFAS est multifactorielle. Le rapport de l’Anses évoque les dépositions atmosphériques liées aux émissions de gaz fluorés réfrigérants ou encore les rejets industriels de sites fabricant et utilisant cette molécule. Mais sa présence est aussi issue de la dégradation de pesticides utilisés en agriculture.
Outre le TFA, cette campagne de l’Anses révèle aussi la présence significative de TFMSA (acide trifluorométhanesulfonique) dans les eaux distribuées. Il est ainsi quantifié dans 13 % des 627 échantillons et à une concentration médiane de 0,28 ng/l. Au maximum, sa concentration s’est élevée à 4,9 µg/l. Seul le TFA fait pire.
On ne connaît pas grand-chose encore de cette substance, reconnaît-on à l’Anses, que ce soit sa toxicité ou la raison de sa forte présence dans nos eaux. « On sait qu’il est utilisé dans des synthèses chimiques comme catalyseur ou réactif », commente Xavier Dauchy. Ce dernier évoque aussi la possibilité qu’il soit un métabolite de pesticides (substance issue de la dégradation dans l’environnement de pesticides) comme l’est le TFA.
Cette campagne confirme un constat déjà dressé par Que Choisir en février dernier et par d’autres études encore : peu d’eaux du robinet devraient être classées non conformes l’an prochain au motif que la somme des 20 PFAS listés dans la directive européenne dépasserait cette limite de qualité de 0,1 µg/l. Pour rappel, seuls 9 échantillons sont dans ce cas-là. On peut estimer ces résultats rassurants ou questionner la pertinence de cette limite de qualité, peut-être trop laxiste ? Des États membres de l’Union européenne (Suède, Danemark, Pays-Bas…) ont en tout cas choisi d’aller plus loin en imposant des limites de qualité plus restrictives pour la somme de 4 PFAS qu’on sait particulièrement problématiques (PFOA, PFOS, PFHxS et PFNA). Dans notre étude de février, nous avions ainsi comparé nos analyses à ces autres seuils et avions alors constaté bien plus de dépassements.
Même chose sur le TFA ? L’Anses se veut en tout cas rassurante dans la présentation des résultats de sa campagne. Même si l’étude confirme sa très forte présence dans nos eaux (jusqu’à 25 µg/l), « dans aucun échantillon la concentration ne dépasse la valeur sanitaire indicative provisoire qu’a choisi la France pour ce PFAS », insiste l’agence. En effet, dans une note de décembre 2024, restée très discrète rappelle Le Monde (1), la Direction générale de la santé (DGS) a choisi de s’aligner sur la valeur indicative retenue par l’Allemagne : 60 µg/l. Une valeur jugée bien trop peu protectrice par des ONG environnementales, dont Générations futures.
D’autres pays ont retenu des valeurs sanitaires bien plus basses. À l’instar des Pays-Bas, qui a placé la barre à 2,2 µg/l. Entre ces deux valeurs, le fossé est de taille. Ce sera à l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) de trancher. Celle-ci doit arrêter d’ici mi-2026 une valeur de référence (VTR) concernant le TFA, c’est-à-dire une dose journalière tolérable de TFA, toutes sources d’exposition confondues. À partir de cette VTR sera ensuite déclinée une limite de qualité dans les eaux distribuées. On sait où l’Efsa aimerait placer le curseur. Sa proposition de VTR a fait l’objet d’une consultation publique. Et celle-ci, si elle est validée telle quelle, ne remettrait pas en cause cette valeur sanitaire de 60 µg/l, déplorait Générations futures fin septembre.
L’acronyme regroupe une vaste famille de plusieurs milliers de composés chimiques artificiels, synthétisés par l’homme à partir d’hydrocarbures, composés d’atomes de carbone et de fluor reliés entre eux par des liaisons chimiques particulièrement stables.
La stabilité de cette liaison carbone-fluor est une aubaine pour les industriels qui utilisent les PFAS depuis la moitié du XXe siècle pour leurs propriétés antiadhésives, imperméabilisantes, résistantes à la chaleur, etc. Résultat : ils se retrouvent dans une multitude d’objets du quotidien, des poêles aux nappes antitaches en passant par des vêtements de sport, des produits cosmétiques, des emballages de fast-food…
C’est cette même stabilité qui rend les PFAS quasi indestructibles dans l’environnement. D’où leur surnom de polluants éternels. En quelques décennies, ces substances chimiques ont contaminé notre environnement et nos organismes. Or, plus la science étudie ces PFAS, plus elle leur découvre des effets délétères sur la santé.
Fabrice Pouliquen
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