par Élisa Oudin
Prêts toxiques en francs suissesCondamnations en série

Les tribunaux condamnent quasi systématiquement les banques dans les procès intentés par des victimes de prêts immobiliers en francs suisses. Dernier exemple en date avec le CIC.
En résumé
- Les tribunaux français condamnent quasi systématiquement les banques ayant commercialisé des prêts immobiliers indexés sur le franc suisse sans informer correctement les particuliers des risques élevés liés aux fluctuations du taux de change.
- La jurisprudence, notamment influencée par une décision de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) en 2021, exige désormais des banques une information claire, exhaustive et compréhensible sur les caractéristiques essentielles des prêts.
Après BNP Paribas, les autres banques françaises sont rattrapées par la justice dans le scandale des « prêts toxiques ». À l’instar de BNP Personal Finance, devenue Cetelem, beaucoup d’entre elles ont commercialisé, en 2008 et 2009, des prêts immobiliers indexés sur le franc suisse sans en expliquer le risque très élevé aux particuliers. C’est le cas du Crédit mutuel, du Crédit agricole et du CIC, dont la Lyonnaise de banque.
Celle-ci est d’ailleurs concernée par le dernier jugement en date, un arrêt du 27 mars 2025 de la cour d’appel de Lyon (69) qui a annulé un emprunt contracté en francs suisses par des frontaliers, estimant que cet établissement avait manqué à son devoir d’informer. Rappelons que, dès 2009, l’euro avait dévissé face à la devise helvète. Le coût réel des crédits avait alors explosé, plongeant un grand nombre de familles dans une spirale d’endettement. « La cour d’appel lyonnaise indique ici avec fermeté que, dans le cadre des prêts libellés en francs suisses, la banque était tenue à un devoir d’information claire, exhaustive et compréhensible », analyse l’avocate Anne-Sophie Ramond, qui a défendu des victimes. Le Crédit mutuel a, lui, été sanctionné le 12 juillet 2023 par la Cour de cassation, et le Crédit agricole, le 31 janvier 2024, par la cour d’appel de Lyon – déjà elle !
Avancée significative
Pour les crédits en francs suisses, les juges punissent désormais systématiquement la pratique des banques consistant à livrer l’information de telle façon que celle-ci se révèle, en pratique, incompréhensible pour les consommateurs. La juridiction rhodanienne précise ainsi que « l’exigence de clarté et d’intelligibilité ne se réduit pas au seul caractère compréhensible sur les plans formel et grammatical ».
Justice européenne
D’ailleurs, la dérive ne touche pas que ces prêts en francs suisses. Les éléments essentiels d’autres produits sont souvent invisibles (noyés au milieu de dizaines de pages) ou trop techniques pour être utiles aux clients. « Les avocats des emprunteurs ont beaucoup bataillé, depuis 15 ans, afin de défendre cet impératif de lisibilité des clauses des crédits immobiliers. Les tribunaux sont de plus en plus attentifs à ce que l’information portant sur les caractéristiques essentielles du prêt soit bien adaptée et personnalisée », se réjouit Me Ramond. Précisons que pour vendre des crédits en francs suisses, les banquiers avaient insisté sur leur sécurité, en mettant en avant la grande stabilité de l’euro face à la monnaie de nos voisins, mais en omettant de signaler que des rumeurs inquiétantes, qui prévoyaient de fortes turbulences, circulaient déjà dans le milieu bancaire.
La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a joué un rôle décisif dans cette affaire. Le 11 juin 2021, à la demande de consommateurs, elle a été saisie par plusieurs juges civils français de questions préjudicielles sur la conformité au droit européen des contrats de crédits en francs suisses. Et elle s’est montrée beaucoup plus exigeante que notre Cour de cassation ! Elle a considéré que les clauses des prêts en francs suisses n’étaient ni claires ni compréhensibles. Les magistrats européens ont relevé, entre autres, que l’exigence de transparence du professionnel impliquait que les clients aient été avertis du contexte économique susceptible d’avoir des répercussions sur les variations du taux de change ; ce qui n’était pas le cas.
Leur message a été bien reçu en France, où la justice se montre désormais plus sévère. Ces trois dernières années, les décisions rendues par nos tribunaux ont été plus favorables aux particuliers ayant souscrit des prêts toxiques.
Élisa Oudin