Le concours général du foie gras au cœur d’une polémique

Alors que le Salon international de l’agriculture s’ouvre ce 22 février à Paris porte de Versailles, quelques professionnels s'élèvent contre une situation qu’ils estiment paradoxale, concernant un produit emblématique de la gastronomie française : le foie gras. En effet, dans son règlement, le concours général n’impose pas de zones d’approvisionnement aux candidats. Ils peuvent acheter les foies gras à n’importe quel éleveur, y compris à l’étranger (sachant par ailleurs qu’on trouve d’excellents éleveurs dans des pays comme la Hongrie). En 2012, la France, qui engloutit à elle seule 68 % de la consommation mondiale, a d’ailleurs importé 4 400 tonnes de foies crus.

Plus technique, mais finalement beaucoup plus gênant, le règlement n’impose pas non plus au candidat d’assurer lui-même une étape clé de la préparation, le déveinage. Un abattoir peut s’en charger. En fin de compte, une entreprise est en mesure de présenter un foie qu’elle a acheté à un abattoir sous vide, déjà déveiné. Et si elle gagne, elle aura tout à fait le droit d’afficher sur son produit le logo bien connu, « Médaille d’or au concours de l’agriculture de Paris 2014 ». À en croire les échanges de courrier ci-dessous, il semble que l’achat de foies déveinés (que les abattoirs proposent seulement depuis quelques années) soit devenu une pratique courante. Le 27 septembre 2012, Paul Studler, patron de la société Palmilandes, quatre fois médaille d’or au concours, annonce aux organisateurs qu’il ne veut plus jouer le jeu. Il estime en effet que « les participants doivent impérativement avoir fabriqué leur foie gras de A à Z et donc ne pas utiliser de matière première déjà déveinée à l’extérieur (abattoir) » pour que la compétition garde un sens. Réponse du commissaire général du concours, le même jour : « un grand nombre de producteurs ne pourraient pas concourir si les critères que vous préconisez étaient retenus. » Ce qui a au moins le mérite de la clarté...

« On n’imagine pas Ferrari sous-traiter ses moteurs »

Paul Studler a reçu le soutien d’un autre producteur reconnu, Pierre Biraben, directeur de la société éponyme. « Le déveinage fait partie intégrante de la fabrication et de la maîtrise de l’artisan. On n’imagine pas Ferrari sous-traiter ses moteurs », déclarait-il le 21 février 2013 au quotidien régional La République des Pyrénées.

Un foie gras déveiné en abattoir sera-t-il moins bon ? Rien ne permet de le dire. Le problème est que le concours général, dans l’esprit des consommateurs, est censé distinguer un savoir-faire quasi artisanal, alors que le savoir-faire, en l’occurrence, va se borner à l’assaisonnement et à la cuisson. Ce n’est pas rien, mais ce n’est pas tout. Le règlement du concours général agricole indique dans son article 141 que « les produits présentés aux différents concours » doivent être « transformés en France par des producteurs établis en France ». Mais il ne précise pas ce qu'on entend par « transformés ».

« Il faudrait, au minimum, que les membres du jury soient informés de cette situation », relève Paul Studler. Sans parler des consommateurs. Pour répondre à ce qu’il imagine être leurs attentes, le Comité interprofessionnel du foie gras (Cifog) renchérit, dans sa communication, sur les thèmes du terroir et de l’artisanat, à grand renfort d’images de canards insouciants gambadant sur fond de Pyrénées. Pourquoi pas, tant que la profession ne laisse pas trop se creuser l'écart entre le folklore et la réalité.