BILLET DE LA PRÉSIDENTE
Copie privée

Les ayants droit ne devraient pas sabler le champagne trop vite !

L’Assemblée nationale a voté hier la proposition de loi visant à réduire l’empreinte numérique dont une mesure paradoxale, à savoir modifier le code de la propriété intellectuelle afin d’assujettir les biens d’occasion ayant une capacité de stockage à la redevance pour copie privée. Paradoxale, à double titre.

Paradoxale dans le sens où un texte censé permettre la réduction de l’empreinte environnementale du numérique contient désormais une mesure aboutissant en réalité à l’accroître, puisque faire peser sur les tablettes et les smartphones reconditionnés la redevance pour copie privée c’est, outre faire augmenter le prix de certains smartphones d’entrée de gamme de 10 %, faire perdre de la compétitivité aux produits reconditionnés par rapport aux produits neufs et donc, de fait, pousser à la consommation de produits neufs, dont l’empreinte environnementale est considérable. Vous reconnaîtrez avec moi qu’il aurait été bien difficile de faire une mesure plus orthogonale à l’objet même de la proposition de loi !

Paradoxale également car cette mesure présente dans le cadre d’un texte sur l’empreinte environnementale du numérique, modifie un article du Code de la propriété intellectuelle sur le périmètre de la redevance pour copie privée, alors que les règles visant à établir le fonctionnement de cette redevance ont systématiquement été adoptées dans des textes législatifs spécifiquement dédiés à la thématique culturelle.

D’ailleurs, ce paradoxe est d’autant plus évident que c’est la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, qui est venue prêcher la bonne parole des ayants droit lorsque la copie privée a été évoquée en séance hier, et non le secrétaire d’État au numérique, Cédric O, comme pour le reste du texte. De là à parler de cavalier législatif…

Au-delà de ces constats, j’ai été particulièrement frappé par les arguments au mieux spécieux, au pire mensongers, évoqués par les partisans des ayants droit pour voter contre l’exonération du reconditionné à la redevance pour copie privée pourtant prônée initialement par les Sénateurs.

J’ai par exemple entendu à de multiples reprises l’argument selon lequel l’assujettissement du reconditionné à la redevance pour copie privée était indispensable car cette redevance constitue une source de revenus essentiels pour de nombreux ayants droit. Je note toutefois que si assurer un niveau de revenus aux ayants droit constitue un objectif du gouvernement, il peut être parfaitement satisfait par la politique budgétaire, sans pour autant mobiliser une redevance dont l’objet – je ne le répéterai jamais assez – n’est pas de financer les industries culturelles, mais de compenser le préjudice que subiraient ces industries au regard des copies privées réalisées par les consommateurs.

J’ai également entendu la contre-vérité assez incroyable que le reconditionné était déjà aujourd’hui soumis à la redevance pour copie privée, et qu’en réalité la décision no 22 publiée par la Commission pour la copie privée le 1er juin faisait une concession en appliquant aux produits reconditionnés des barèmes inférieurs à ceux du neuf. Pourtant d’un point de vue légal nous considérons à l’UFC-Que Choisir – comme d’ailleurs certains députés qui se sont exprimés hier – que le Code de la propriété intellectuelle n’autorise pas en l’état l’assujettissement à la redevance pour copie privée des biens qui ont déjà fait l’objet d’une première mise en circulation.

C’est la raison pour laquelle je ne saurais trop conseiller aux ayants droit de ne pas déboucher le champagne. Au-delà du fait que la loi pourra encore évoluer (dès la deuxième lecture au Sénat ou en Commission mixte paritaire) et supprimer la mesure introduite par l’Assemblée nationale, le Conseil d’État, saisi par l’UFC-Que Choisir, pourrait parfaitement suspendre l’application de la décision de la Commission pour la copie privée, censée être applicable dès le 1er juillet. Ce ne serait pas une première : le Conseil d’État a par le passé déjà annulé 6 décisions de la Commission pour la copie privée…

Alain Bazot

Alain Bazot

Président de l'UFC-Que Choisir

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