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Informatique

Se passer de Windows, c’est possible

De plus en plus d’utilisateurs installent Linux, pour améliorer les performances de leur ordinateur ou par conviction. Ce système d’exploitation est-il aussi simple et efficace que les défenseurs des logiciels libres le disent ? Nous l’avons testé.

En ce samedi d’hiver, le soleil brille sur Nice (06). Au rez-de-chaussée de la majestueuse bibliothèque Raoul Mille, dans une salle prêtée pour l’occasion, une dizaine de personnes s’activent devant des PC. Inutile de chercher Windows. Dans ce lieu, le géant mondial de l’informatique n’a pas sa place. Véronique Fritière, la présidente de l’Association francophone des utilisateurs de logiciels libres (Aful) et de Linux Azur, son groupe d’utilisateurs local (GUL), organise régulièrement ce genre de sessions destinées à promouvoir le système d’exploitation Linux : « Il n’y a pas d’ordre du jour précis. Chacun peut venir nous rendre visite, que ce soit pour échanger sur les logiciels libres, découvrir Linux, voire l’installer sur son ordinateur. » « Au début, je suis venu ici parce que j’avais envie de savoir comment fonctionnait ma machine, explique Hamid, l’un des adhérents de Linux Azur. Je reviens souvent car j’échange, je transmets et, surtout, j’acquiers des connaissances qui me permettent de reprendre le contrôle de mon PC. » « Je sais qu’ici, il y aura toujours quelqu’un qui me prêtera main-forte en cas de besoin, affirme Michel, sur place ce jour-là afin d’effectuer quelques mises à jour. Je regarde ce que font les autres. Ça me donne des idées sur ce qu’il serait possible que je mette en œuvre moi-même. »

Créé en 1991 par un étudiant finlandais du nom de Linus Torvalds, Linux est un système d’exploitation dit « libre » ou « open source ». À la différence des codes sources de Windows ou de macOS, qui sont protégés, ceux de Linux sont accessibles à tous. Chacun a la liberté de s’en servir, de les modifier et de les améliorer gratuitement. « N’importe qui a le droit ­d’aller voir sous le capot afin de comprendre comment ça marche, s’enthousiasme Véronique Fritière. Avec Linux, par exemple, je suis certaine de ne pas être fliquée et que mes données ne sont pas récupérées. Tout le contraire de Windows ! » « Les acteurs de l’industrie informatique ont multiplié les licences qui empêchent les consommateurs de s’assurer que les promesses des éditeurs de logiciels sont bien respectées, confirme Frédéric Urbain, un membre de Framasoft, l’autre grande association de promotion du « libre » en France. Il est déjà arrivé que l’on apprenne, grâce à des lanceurs d’alerte, que des données d’utilisateurs avaient été exploitées abusivement. Dans le monde du logiciel libre, ça ne peut pas se produire. »

Les risques d’infection seraient nuls

Protéger ses données et lutter contre l’hégémonie des géants de l’informatique ne sont pas les seules raisons qui poussent certains à quitter Windows. À en croire les adeptes de Linux, les risques d’être infecté par un virus seraient nuls et les bugs, quasiment inexistants avec ce système d’exploitation. Surtout, il aurait la faculté de rendre n’importe quel ordinateur plus performant et plus rapide. « Alors que Windows est devenu une usine à gaz, Linux, lui, est toujours resté léger. Et pour cause, il n’ouvre pas d’office une kyrielle de programmes qui allongent le temps de démarrage et ne conserve pas des milliers de fichiers temporaires finissant par ralentir le système », assure Véronique Fritière.

Des armées de bénévoles dévoués pour améliorer le système d’exploitation

L’autre atout de Linux, c’est sa communauté. Partout dans le monde, des multitudes de bénévoles passent une bonne partie de leur temps libre à améliorer le système, à élaborer de nouvelles fonctionnalités, à réparer les bugs… « Si je détecte la moindre anomalie, je la signale par le biais de forums dédiés et, en général, dans les trois jours qui suivent, elle est corrigée, raconte Véronique Fritière. Sur Windows, il faut souvent attendre plusieurs mois. » Erwan, l’un des adhérents de Linux Azur, fait partie de ces volontaires toujours prêts à donner un coup de main : « Je consacre deux ou trois heures par jour à aider les membres de la communauté, à répondre aux sollicitations et à participer à des projets ayant un impact positif sur la société. En ce moment, par exemple, je collabore au développement d’une vaste base de données de produits alimentaires en libre accès, baptisée Open Food Facts. À mes yeux, s’investir dans le monde du “libre”, c’est une autre manière de faire de la politique. »

Les logiciels libres souffriraient tout de même de quelques défauts. Leur installation serait compliquée et leur usage au quotidien, réservé aux amateurs éclairés. On les dit aussi parfois moins performants et moins ergonomiques que leurs homologues payants. Quant aux soucis de compatibilité matérielle et logicielle, ils seraient loin d’être négligeables. « Tout ça, c’était vrai il y a 10 ans. Mais depuis, les logiciels libres ont bien changé, souligne Frédéric Urbain. Désormais, quelques clics suffisent pour installer Linux, et chaque logiciel propriétaire a un équivalent libre présentant quasiment les mêmes fonctionnalités. Les problèmes de compatibilité, eux, ont quasiment disparu. Un document créé sous Microsoft Office peut être facilement lu avec la suite bureautique libre OpenOffice, et vice versa. »

« Maîtriser Linux peut s’avérer un peu déroutant pour ceux qui ont l’habitude de se servir de Windows, reconnaît Maxime, technicien chez Linux Shop, une boutique en ligne qui propose de l’installer sur de vieux ordinateurs. Cependant, au bout d’une ou deux semaines d’adaptation, et avec l’aide de fiches techniques, presque tous nos clients ont pris leurs repères. Plus aucun ne voudrait revenir à Windows. » L’offre logicielle s’est, en outre, considérablement étoffée. « Du traitement de texte à la comptabilité en passant par la retouche photo, la lecture de vidéos ou la conception 3D, il existe pour chaque programme propriétaire une version libre et gratuite (1), certifie Véronique Fritière. Il y a bien quelques logiciels professionnels ou très spécifiques qui n’en ont pas, c’est toutefois peu fréquent. »

Reste que la qualité des logiciels open source est encore loin d’être homogène. Il n’est pas rare qu’ils ne soient pas aussi agréables à utiliser que leurs concurrents payants, que certaines fonctionnalités viennent à manquer, ou encore que des bugs subsistent. « Le problème, c’est que les moyens du “libre” n’ont absolument rien à voir avec ceux de l’industrie, justifie Erwan. On aimerait que des développeurs s’impliquent pour fiabiliser certains programmes et lancer de nouvelles fonctionnalités. On adorerait également que des graphistes ou des ergonomes interviennent de manière à rendre certains outils plus faciles à prendre en main. Pour l’heure, ce n’est pas le cas. »

Sacré manque de visibilité

En matière de marketing non plus, Linux ne fait pas le poids. Alors que Microsoft consacre des fortunes à la promotion de son système d’exploitation, Linux, lui, ne peut compter que sur sa communauté pour se faire connaître. Certes, quelques fabricants et distributeurs proposent des ordinateurs dotés de Linux, mais le choix s’avère très limité et les modèles sont peu mis en avant. « Il y a quelques années, nous en avions commercialisé, se souvient Loïc Quévreux, responsable marketing produit des magasins Boulanger. Faute d’une demande suffisante, nous avons arrêté. Aujourd’hui, peu de clients nous réclament des machines sous Linux. » Le fait que Windows soit préinstallé sur la quasi-­totalité des ordinateurs neufs n’est pas étranger à cette situation. La plupart des acheteurs de PC se servent des logiciels de Microsoft sans même avoir conscience que d’autres solutions existent. Et ce n’est pas près de changer. Après des années de bataille, la Cour de justice de l’Union européenne a conclu, dans un arrêt de 2016, que vendre un ordinateur équipé de logiciels préchargés sans proposer en parallèle le même modèle « nu » ne constituait pas une pratique commerciale trompeuse. L’hégémonie de Windows devrait perdurer encore longtemps.

Promesses presque tenues

Pour savoir si Linux était capable de prolonger la vie d’un ordinateur, nous l’avons installé sur un vieux PC. Le résultat est plutôt à la hauteur des attentes.

Nous avons confié à un laboratoire un PC Toshiba vieux de 10 ans, équipé à l’origine de Windows 7 puis de Windows 10. Devenu très lent, il dormait depuis des années dans un placard. Nous y avons installé successivement deux distributions (versions) de Linux, Ubuntu, la plus répandue, et Mint, proche de l’esprit Windows. Ensuite, grâce à une série de tests, nous avons mesuré les différences.

L’installation

Installer Linux demande un certain investissement. Il nous a fallu, par exemple, créer une clé USB bootable (démarrable), puis modifier l’ordre de démarrage dans le BIOS (configure le cœur du système de l’ordinateur). Avec Ubuntu, nous avons aussi pu choisir entre l’installation directe et la version Live, qui permet de tester le système sans risque. Avec Mint, nous avons démarré une session Live en anglais, puis avons dû plonger dans les paramètres pour changer la langue et passer au clavier Azerty. Ces étapes ne sont pas insurmontables, mais peuvent rebuter les néophytes.

La compatibilité

Le vieux circuit graphique Nvidia de l’ordinateur nous a posé quelques soucis. Il était notamment impossible de modifier la luminosité de l’écran, et son affichage était perturbé à chaque sortie de veille. Le premier problème a été résolu en ajoutant une ligne de code, le second, en installant le pilote propriétaire Nvidia. Le circuit graphique ne nous a pas permis, non plus, de faire tourner des jeux vidéo 3D récents. Tout le reste fonctionnait parfaitement.

Les performances

Nos tests le prouvent : avec Linux, tout va plus vite. Le temps de démarrage est passé de 2 minutes 30 secondes sous Windows à 1 minute 30 secondes. Copier des fichiers dure aussi moins longtemps, grâce entre autres au format EXT4 de Linux, plus performant que le NTFS de Windows, et à l’absence d’antivirus. Pour la plupart des usages (navigation web, lecture de vidéos…), Linux permet de gagner en réactivité. Autre bonne nouvelle, les environnements de bureau (Cinnamon pour Mint et Gnome pour Ubuntu) ont beau être exigeants, l’ordinateur les a bien supportés. Seul le transcodage de vidéos ne s’est pas amélioré, et pour cause, cet exercice mobilise le processeur, non le système d’exploitation.

L’usage au quotidien

Chaque distribution de Linux contient d’origine une sélection de logiciels : suite bureautique (LibreOffice), navigateur web (Firefox), messagerie électronique (Thunderbird), programmes multimédias, etc. L’installation de logiciels supplémentaires est possible en passant par un magasin d’applications (« Logithèque » dans Mint, « Ubuntu Software » dans Ubuntu). Les mises à jour sont vérifiées automatiquement ; l’utilisateur peut décider de les installer ou non. Et de nombreux pilotes (pour les périphériques) et codecs (dispositifs d’encodage et de décodage), nécessaires pour lire des fichiers audio et vidéo, sont, eux, installés d’office à condition d’avoir accepté au départ le téléchargement d’un programme tiers pour le matériel graphique. Ubuntu et Mint incluent, enfin, un logiciel de sauvegarde des données qu’il faut activer et configurer.

Notre avis

Incontestablement, l’installation de Linux a ressuscité notre ordinateur. Il a fallu parfois se creuser la tête, toutefois en suivant les tutoriels (souvent en français) et en respectant pas à pas la procédure indiquée, c’est faisable. Mais le circuit graphique et le processeur, anciens, limitent les performances. À noter que réinstaller Windows aurait certainement aussi permis de gagner en vitesse.

Bon à savoir. Nous avons tenté de connecter plusieurs imprimantes à notre ordinateur équipé de Mint. La plupart du temps, il a suffi de sélectionner le modèle dans la liste proposée. Le pilote d’une Epson n’y figurait pas, mais nous l’avons déniché sur un site américain. Plus le modèle est rare, plus on risque de ne pas trouver le bon driver, indispensable pour faire fonctionner la machine.

Par Cyril Brosset avec Neil McPherson

Comment passer sous Linux

Si Linux est à la portée de tous, mieux vaut respecter certaines règles pour éviter les mauvaises surprises. Tout dépend si vous vous sentez apte à vous lancer seul.

Vous avez des connaissances en informatique

L’informatique ne vous fait pas peur et vous êtes prêt à passer du temps sur Internet pour trouver la réponse à vos questions ? Vous pouvez tenter d’installer vous-même Linux.

1. Choisissez une distribution. Linux se décline dans de très nombreuses versions appelées « distributions », chacune avec ses spécificités. Ubuntu, Debian ou Mint sont les plus communes. D’autres sont conçues pour les enfants (OS sans fin, Ubermix…), les malvoyants (Aciah), les très vieux ordinateurs (antiX), etc. N’hésitez pas à en tester plusieurs.

2. Sauvegardez vos données. Pour éviter tout risque de perte, copiez vos fichiers sur un disque dur ou, mieux, prenez une image du disque. Des logiciels gratuits le permettent.

3. Vérifiez la compatibilité de votre matériel. Le plus simple est d’utiliser la version Live de la distribution à partir d’une clé USB bootable (démarrable) : vous accéderez à Linux sans toucher à la configuration de votre ordinateur. Si cette version se lance, il y a de fortes chances pour que  la distribution fonctionne une fois installée.

4. Lancez l’installation. Rendez-vous sur le site internet de la distribution choisie (Ubuntu.com, Linuxmint.com, etc.) et téléchargez la version. Lancez l’installation en prenant soin de suivre les tutoriels sans sauter d’étape. Chaque distribution  peut être installée en « dual boot ». Ainsi, à chaque démarrage, vous pourrez choisir d’utiliser soit Linux, soit Windows.

Vous êtes néophyte

Dans ce cas, mieux vaut vous adresser à un expert.

1. Faites appel à un assembleur spécialisé. Il en existe certainement un près de chez vous, sinon recourez au service d’un professionnel en ligne. Vous aurez la possibilité soit d’acheter un PC neuf ou d’occasion déjà équipé, soit de faire installer Linux sur n’importe quel ordinateur. Chez Linux Shop, cette prestation coûte 79,99 € TTC, hors frais de port, avec une assistance de six mois incluse.

2. Inscrivez-vous dans un club Linux. Partout en France, des associations proposent de vous faire découvrir Linux et de vous orienter dans l’univers du logiciel libre. Une liste est disponible sur Aful.org/gul, par exemple. Des install parties sont aussi organisées régulièrement : chacun peut y trouver de l’aide pour installer Linux sur sa machine. Vous serez conseillé, mais vous devrez mettre les mains dans le cambouis.

Repères

5% environ des ordinateurs dans le monde sont dotés de Linux.
De nombreux équipements professionnels (serveurs, data centers…) fonctionnent sous Linux.
Des villes ont choisi Linux pour équiper leur parc informatique.

85% des ordinateurs dans le monde seraient équipés de Windows. 
Préinstaller Windows sur un ordinateur n’est pas considéré comme de la vente liée (arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 7 septembre 2016).

(1) Liste disponible sur Framalibre.org.  

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