Roselyne Poznanski
Et si votre contrat était en déshérence ?
Plusieurs milliards d’euros dorment sur des produits d’épargne retraite, car la loi comporte imperfections et zones d’oubli, au détriment des épargnants. Il est urgent de trouver une solution.
Souvenez-vous ! Il y a un an à peine, le gouvernement portait sur les fonts baptismaux le nouveau plan d’épargne retraite (PER), placement de long terme qui remplace, à partir du 1er octobre 2020, les produits ou dispositifs d’épargne retraite supplémentaire existants : plan d’épargne retraite populaire (Perp), contrat Madelin et Préfon retraite pour les souscriptions individuelles ; plan d’épargne pour la retraite collectif (Perco), Pere (ou contrats dits « article 83 ») pour les adhésions via l’entreprise. L’objectif de cette réforme, qui fait partie des principales mesures de la loi Pacte, est de développer l’épargne retraite, dont les 237 milliards d’euros d’encours (fin 2018) font pâle figure face aux 1 700 milliards d’euros de l’assurance vie. Pour cela, plusieurs arguments ont été avancés : simplicité, souplesse, portabilité... Mais pas un seul mot n’a été prononcé sur le devenir de milliers de contrats d’épargne retraite supplémentaire, à adhésion obligatoire ou facultative, aujourd’hui en souffrance !
Des stocks de contrats non réclamés
De quoi s’agit-il ? Si l’on en croit le rapport en date du 24 mai 2018 de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), institution en charge de la surveillance de l’activité des banques et des compagnies d’assurances en France, il existe « des stocks de contrats problématiques, pour lesquels le contact avec l’assuré a été rompu ». Ces « stocks » non réclamés représenteraient la bagatelle de 13,3 milliards d’euros, pour partie encore comptabilisés dans le portefeuille des assureurs et des organismes de gestion, sans qu’aucune disposition réglementaire efficace – et surtout uniforme – pour rendre cet argent à qui de droit n’ait pu voir le jour jusqu’à présent ! Pour illustrer cette situation, rien ne vaut un exemple : supposons que vous ayez bénéficié, en tant que salarié, d’un contrat retraite de type Perco ou « article 83 » il y a une quinzaine d’années. Puis vous avez changé d’entreprise et oublié ce contrat, dont l’épargne, sauf situation exceptionnelle (invalidité, décès, surendettement...), est bloquée jusqu’à la retraite. Et aujourd’hui, vous ne pouvez pas en profiter faute de justificatifs, parce que la société où vous avez travaillé a disparu ou été absorbée, ou encore parce qu’aucun gestionnaire ne vous a retrouvé pour vous en informer. Comment est-ce possible ?
Une différence de réglementation très préjudiciable
D’abord, la réglementation qui s’applique à ces produits financiers varie selon les gestionnaires : d’un côté, les assureurs auprès desquels les entreprises peuvent ouvrir un contrat « article 83 » pour leurs salariés, et de l’autre, les teneurs de comptes (Amundi Épargne salariale et retraite, Natixis Interépargne, BNP Paribas Épargne et retraite entreprises...) qui gèrent les Perco, les plans d’épargne retraite d’entreprise collectif (Percol) ainsi que les plans d’épargne entreprise (PEE). Une différence préjudiciable au consommateur... Pour preuve, il suffit de regarder ce que prévoit le législateur à la mort du salarié. Certes, la loi Eckert, relative aux comptes bancaires inactifs et aux contrats d’assurance vie en déshérence, oblige tous les acteurs en présence à identifier les salariés décédés, via la consultation du fichier RNIPP (qui regroupe actuellement les coordonnées de 97,1 millions de personnes) tenu par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). Mais ce texte n’impose pas aux teneurs de comptes de retrouver les ayants droit légaux (enfants...), et ce pour une raison toute simple, explique Dominique Dorchies, directrice générale déléguée de Natixis Interépargne : « Les Perco et les nouveaux Percol sont des comptes titres, c’est-à-dire des produits sans clause bénéficiaire. Le cas échéant, leur encours va s’inscrire dans l’actif successoral du salarié décédé. » En 2016, les asset managers ont ainsi consigné 1 milliard d’euros au titre des 429 000 comptes clôturés (salariés décédés ou comptes inactifs depuis plus de 10 ans) sans que les enfants ou autres parents des salariés concernés par cette mesure aient été tenus au courant de quoi que ce soit. En revanche, concernant les assureurs, la réglementation est plus aboutie puisqu’elle les contraint à faire l’effort de trouver les bénéficiaires de second rang (enfants...) des contrats « article 83 », comme ils doivent le faire pour les assurances vie (lire encadré).
Garder les données à jour, un enjeu crucial
Autre exemple, la recherche des ex-salariés toujours vivants, titulaires d’un Perco ou d’un contrat « article 83 » ne comportant aucun terme, c’est-à-dire aucune date minimale contractuelle à partir de laquelle les fonds deviennent disponibles (le plus souvent, il s’agit de l’âge légal de départ en retraite, 62 ans actuellement) et ayant, par ailleurs, quitté depuis longtemps la société qui leur a proposé ces placements. Aujourd’hui, il arrive encore que ces personnes ne puissent pas être identifiées par les teneurs de comptes ou les assureurs, en dépit « de recherches multiples de points de contact », précise Xavier Collot, directeur de l’épargne salariale et retraite chez Amundi. La situation s’explique ainsi : les coordonnées détenues par les professionnels (adresse postale, e-mail, numéro de téléphone...) sont incomplètes ou caduques, et les entreprises qui ont mis en place ces produits ont perdu la trace de leurs ex-salariés. Résultat, si les titulaires en question ne se manifestent pas pour rompre l’inactivité de leur contrat (courrier, appel téléphonique ou simple connexion en ligne) – dans la mesure, bien évidemment, où ils s’en souviennent –, les années peuvent défiler sans qu’il se passe quoi que ce soit ! Pour Corinne Dromer, présidente du Comité consultatif du secteur financier (CCSF), instance officielle en charge d’étudier les relations entre les établissements financiers et leurs clientèles, ces exemples montrent qu’il y a « des trous dans la raquette qui œuvrent au phénomène de déshérence des contrats d’épargne retraite supplémentaire, alors qu’il faut, plus que jamais, se préoccuper du pouvoir d’achat de chacun ».
Fixer un terme par défaut aux contrats n'en prévoyant pas
Une chose est sûre, cependant : l’inactivité des contrats et, in fine, leur déshérence potentielle, est un sujet qui connaît en ce moment un certain regain d’intérêt. D’abord, il y a les modifications apportées par la loi Pacte en octobre 2019. En effet, en instaurant le PER, produit unique et « portable », qui peut devenir le réceptacle de tous les contrats d’épargne retraite préexistants sans remise en cause des avantages fiscaux acquis, le législateur a œuvré indirectement contre le risque de déshérence... à venir. C’est une avancée, même si cette problématique reste aujourd’hui tout entière. Autre disposition préconisée dans un rapport de la Cour des comptes de février 2019 : fixer un terme par défaut aux contrats « article 83 » n’en prévoyant aucun, afin de pouvoir les consigner en cas d’inactivité. Une mesure en vigueur depuis juillet dernier, souligne Brigitte Villette, directrice de la gestion individualisée chez AG2R La Mondiale, « puisque la limite d’âge pour l’envoi des contrats sans échéance à la Caisse des dépôts et consignations (CDC) s’élève désormais à 120 ans ». Reste toutefois un petit « détail » technique à régler : quand faire commencer la période d’inactivité qui doit permettre aux assureurs de liquider les avoirs au bout de 10 ans pour les envoyer à la CDC, avant ce terme ultime des 120 ans ?
Faire apparaître les droits acquis dans les espaces personnalisés
Plus récemment, diverses pistes ont émergé. Par exemple, « pourquoi ne pas étendre le dispositif réglementaire en vigueur depuis 2008 pour le PEE et le Perco ? », interroge Arnaud Jacoulet, directeur épargne salariale et retraite à l’Association française de la gestion financière (AFG). Ce dispositif est utile pour le salarié (art. R. 33416 du code du travail), car il oblige le teneur de comptes à lui communiquer, chaque année, l’identité et l’adresse des autres établissements financiers auprès desquels il bénéficie aussi d’un PEE ou d’un Perco. Hélas, le système devient inopérant dès que celui-ci quitte l’entreprise ou déménage sans l’avoir signalé. De façon plus formelle, une première proposition de loi (n° 2516 de décembre 2019), puis une seconde (n° 2782 de mars 2020), relative à la déshérence des retraites supplémentaires, ont recommandé une mesure de bon sens, qui devrait, on l’espère, emporter l’adhésion de tous : faire figurer dans chaque espace personnalisé créé sur Info-retraite.fr (le portail officiel des retraites tous régimes confondus, soit 5,2 millions de comptes actuellement), les droits acquis au sein de tous les contrats d’épargne retraite supplémentaire, sans distinction de statut juridique. Cette solution tierce a le mérite de respecter les modalités du règlement général sur la protection des données (RGPD). Et elle a déjà été validée par tous les membres du CCSF (Trésor, associations de consommateurs dont l’UFC-Que Choisir...), ce qui n’est pas rien !
Concrètement, futurs retraités et retraités auraient, en un seul et même lieu, une lecture conjointe de leurs droits de retraite par répartition, au titre des régimes obligatoires, et de leurs droits par capitalisation. S’il est adopté, ce texte, bienvenu, serait tout de même un brin cocasse, lorsque l’on sait combien ces deux visions de la retraite s’opposent régulièrement... Ce qui fait malicieusement dire au directeur d’une très importante caisse de retraite obligatoire, pourtant favorable à cette intégration, mais qui tient à garder l’anonymat, « que l’on pourrait enfin s’apercevoir que les retraites par capitalisation sont, la plupart du temps, extrêmement modestes en regard de celles par répartition ».
Vers qui vous tourner aujourd’hui ?
Si vous pensez être bénéficiaire d’un contrat d’épargne retraite supplémentaire dont vous n’avez plus trace actuellement, vous pouvez :
- vous rapprocher des entreprises dans lesquelles vous avez travaillé et qui seraient susceptibles d’avoir mis en place un plan d’épargne pour la retraite collectif (Perco) ou un « article 83 » à votre profit ;
- vous armer de patience et contacter un à un, de préférence par Internet, les assureurs gestionnaires des « article 83 ».
Si vous pensez être bénéficiaire (enfant...) d’un contrat d’épargne retraite supplémentaire souscrit par l’un de vos parents décédé ou pour son compte via une entreprise, vous pouvez :
- vous rapprocher de toutes les entreprises où votre parent a travaillé et qui auraient pu mettre en place un Perco, ou saisir en ligne l’Agira (Agira.asso.fr), structure qui réunit toutes les sociétés d’assurance exerçant sur le marché français pour rechercher un « article 83 », un plan d’épargne retraite populaire (Perp) individuel ou un contrat Madelin.
Si vous pensez être bénéficiaire (enfant...) d’un contrat d’assurance vie souscrit par l’un de vos proches ou par un tiers décédé, vous pouvez :
- mandater un notaire pour qu’il interroge l’administration fiscale par le biais du fichier Ficovie répertoriant toutes les assurances vie d’un montant supérieur à 7 500 € ;
- saisir en ligne l’Agira pour vérifier si un contrat d’assurance vie a été souscrit à votre profit ;
- faire une ultime recherche sur Ciclade.caissedesdepots.fr pour demander la restitution de l’épargne déjà consignée.
4 questions à Daniel Labaronne
Député de la 2e circonscription d’Indre-et-Loire et vice-président de la Commission des finances
QC : Votre proposition de loi relative à la déshérence des contrats d’assurance de retraite supplémentaire a été adoptée, le 22 juin dernier, en première lecture à l’Assemblée nationale. Quand sera-t-elle effective ?
Daniel Labaronne : Il faudra encore patienter de nombreux mois. Dans le meilleur des cas, après adoption en première lecture par le Sénat, la loi pourra être promulguée rapidement, peut-être d’ici à la fin de cette année. Dans un scénario différent, sa mise en œuvre sera évidemment repoussée.
QC : Quels contrats sont principalement visés ?
D. L. : Les supports collectifs à adhésion obligatoire souscrits directement par les entreprises. Lorsque les gestionnaires de ces produits ne sont pas tenus au courant du départ d’un salarié, le lien est coupé.
QC : Qu’apportera ce texte ?
D. L. : Chacun pourra immédiatement savoir s’il bénéficie ou non d’un contrat d’épargne retraite supplémentaire. Pour cela, il lui suffira de se connecter à son compte personnel retraite sur le portail officiel Info-retraite.fr. Les retraités concernés regagneront du pouvoir d’achat. Toutefois, ce nouveau moyen n’exonère pas les gestionnaires de ces contrats de se soumettre à leurs obligations de recherche des bénéficiaires.
QC : Va-t-il résoudre le problème de la déshérence de ces contrats ?
D. L. : Non, mais il va en régler la plus grande partie. Il y a nécessité à agir vite, car ce phénomène de la déshérence connaît une augmentation inquiétante, si l’on en croit le rapport de 2018 de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et celui de 2019 de la Cour des Comptes.
Assurances vie non réglées : un si long chemin
La lutte contre la déshérence des contrats d’assurance vie a débuté il y a une vingtaine d’années : envoi obligatoire d’un courrier annuel récapitulant l’épargne détenue, consultation du fichier RNIPP... Mais ces contraintes, de portée limitée, sont mal respectées par les assureurs. Aussi l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) les sanctionne-t-elle sévèrement en 2014 : 40 millions d’euros pour CNP, 50 millions d’euros pour Allianz... La même année, la loi Eckert est promulguée – elle entrera en vigueur début 2016. Depuis, les bénéficiaires des contrats sont recherchés de façon active et structurée. Les assureurs doivent identifier, tous les ans, les assurés décédés, prendre contact avec les ayants droit (dans le cas où ils ne se sont pas manifestés d’eux-mêmes) ou lancer une enquête pour les retrouver, le tout sans frais, y compris s’ils doivent engager des dépenses importantes (recours à un généalogiste, par exemple). Si le décès remonte à plus de 10 ans, si le compte demeure inactif et que les recherches n’ont pas abouti, l’épargne est transférée à la Caisse des dépôts et consignations pour 20 ans. Cette échéance atteinte, soit au plus tôt la 30e année qui suit la mort du souscripteur du contrat, les fonds deviennent propriété de l’État.