Cyril Brosset
C’est le grand bazar
Les sites proposant une sélection des meilleurs produits pullulent sur Internet. S’ils mettent en avant leur sérieux et leur indépendance, tous ne se valent pas.
Les « meilleurs matelas du moment », le « top 10 des antivirus », le « classement 2022 des cafetières »… du réfrigérateur à la plancha en passant par les robots ménagers, les perceuses et les taille-haies, quel que soit le produit sur lequel on effectue des recherches, des sites proposent de nous aider à sélectionner le plus adapté à nos besoins. Pour ce faire, ils publient des guides d’achat, donnent des conseils et passent en revue les atouts et les points faibles des modèles disponibles sur le marché. Ils vont même jusqu’à les classer en fonction de leurs performances et à désigner un ou plusieurs « meilleurs choix ». Un peu comme Que Choisir avec les tests comparatifs… sauf que ces plateformes mettent l’ensemble de leurs contenus en accès libre et gratuit sur Internet. Et pour cause !
Celles-ci reposent sur un modèle économique différent du nôtre. Alors que nous ne nous rémunérons que grâce aux abonnés et aux lecteurs en kiosque (ils payent pour nous lire), ces sites, eux, gagnent leur vie en ayant recours à l’affiliation, un système de commissionnement leur permettant de toucher de l’argent sur chaque vente réalisée par leur intermédiaire. Amazon, Fnac, Cdiscount et bien d’autres proposent cette formule. Il suffit que le visiteur d’un site affilié clique sur un lien (intitulé « J’achète », « Voir l’offre », « Voir le prix le plus bas », etc.) pour qu’il soit redirigé vers les pages du marchand. Si l’internaute acquiert réellement l’article, le vendeur reverse à son « apporteur d’affaires » la rétribution promise. En fonction du type de produit et du commerçant, elle oscille entre 1 et 15 % du prix de vente, même si elle s’élève le plus souvent entre 3 et 6 %.
Bien apparaître sur Google, la clé du succès
Longtemps confidentielle, l’affiliation s’est considérablement développée avec le boom du commerce en ligne. À tel point que ces dernières années, un grand nombre de plateformes ont été lancées uniquement dans le but de capter ces commissions. Il faut dire que cette activité ne nécessite pas de gros investissements. Un site internet, quelques contenus et des accords avec une poignée de distributeurs suffisent souvent à démarrer.
Pour autant, l’opération ne sera rentable à terme que si deux conditions sont remplies. La première est d’attirer un maximum de clients potentiels, notamment via une sélection scrupuleuse des produits. Si la plupart des comparateurs s’intéressent aux équipements les plus demandés par les utilisateurs (réfrigérateurs, lave-linge, matelas, etc.), certains tentent de tirer leur épingle du jeu en se concentrant sur des marchandises plus spécifiques, moins recherchées par les internautes, mais sur lesquelles peu de contenus existent. Voilà pourquoi on trouve sur le Web des comparatifs consacrés aux abris de jardin, aux guitares électriques ou aux pièges à taupes ! Pour chaque catégorie de produits, la société éditrice du site crée des contenus variés : guides d’achat, actualités…
Plus ils seront nombreux, plus ils auront de chances de générer beaucoup de trafic sur le site. Ils doivent aussi être remis à jour très régulièrement et, surtout, répondre aux exigences des moteurs de recherche en matière de référencement naturel. Structure de l’article, visuels attrayants, présence de mots-clés : tout est fait pour qu’ils apparaissent en bonne position dans les pages de résultats des moteurs de recherche, en particulier celui de Google. Et pour qu’un consommateur souhaitant obtenir des informations sur tel ou tel produit clique sur le lien de la plateforme plutôt que sur celui d’un concurrent. Par contre, la qualité de l’écriture et la lisibilité des textes passent souvent au second plan. Si quelques éditeurs font des efforts pour fournir des contenus sérieux, d’autres n’hésitent pas à confier la rédaction des guides d’achat et des résultats des comparatifs à des non-spécialistes payés au lance-pierre, voire à traduire à la va-vite ceux publiés sur des sites étrangers.
Des produits rarement testés
La seconde condition pour s’assurer un retour sur investissement satisfaisant : encourager le plus grand nombre de visiteurs possible à cliquer sur les liens d’affiliation intégrés dans leurs pages et à acheter sur les sites partenaires les produits qu’ils recommandent. Pour cela, chacun sa technique. « Nous faisons le pari de proposer un contenu de qualité à nos lecteurs, avec des informations objectives et des tests s’appuyant sur des critères précis », soulignent Romain Bellon et son épouse Mila, les créateurs de Sleeps, un comparateur de matelas. « Faute de moyens suffisants, ces tests sont encore limités, mais nous les améliorons sans cesse », promettent-ils.
Le problème ? Tous les sites ne mettent pas l’impartialité et la fiabilité au cœur de leurs priorités. Le lecteur peut donc difficilement faire la part des choses. Beaucoup n’indiquent pas en effet clairement sur quels éléments ils se fondent pour évaluer les produits dont ils parlent. Et quand c’est le cas, ils se contentent, la plupart du temps, de tenir compte des renseignements délivrés par les fabricants, auxquels ils ajoutent parfois des avis d’utilisateurs piochés sur Internet. Certains comparateurs affirment tester les marchandises. Cependant, rien ne prouve que ce soit vrai et, en plus, on ignore comment ces essais ont été effectués.
Une drôle de vision de l’indépendance
Autre point : ces plateformes revendiquent haut et fort, dans leurs conditions générales, leur indépendance vis-à-vis des constructeurs et des distributeurs. Mais, en réalité, leur position est plus ambiguë puisqu’elles sont rétribuées sur chaque achat effectué. Un système de commissionnement qui peut pousser certaines à présenter les produits sous leur profil le plus flatteur ou à cacher leurs défauts, afin d’inciter le maximum d’internautes à sortir le porte-monnaie. En outre, tous les commerçants n’offrent pas le même niveau de rémunération. Qui nous dit que des comparateurs ne mettent pas davantage en avant les articles commercialisés par les revendeurs les plus généreux ?
Enfin, le fait que les produits soient fournis gracieusement par les fabricants pose également question. Comment être certain que ces dons en nature n’impactent pas l’évaluation globale ? À Que Choisir, on ne connaît que trop bien ces biais potentiels et l’influence, directe ou indirecte, qu’ils risquent d’avoir sur les notations. C’est la raison pour laquelle nous achetons absolument tous les équipements que nous testons. Et que nous n’acceptons aucune commission sur les ventes réalisées via notre site Internet.
Quatre sites qui sèment le trouble
Se fier à des comparatifs gratuits sur Internet pour faire ses achats, pourquoi pas ? À condition d’être vigilant, car tous n’agissent pas avec une grande probité. La preuve par quatre.
Jaimedormir.com et son conflit d’intérêts
Outre des conseils et des guides d’achat, Jaimedormir.com propose des matchs entre marques de matelas en s’appuyant, en théorie, sur des avis de consommateurs et le prix de vente. Sauf que quel que soit son adversaire, Tediber monte toujours sur la première marche du podium ! Le problème, c’est que ce site est édité par… Tediber, le fabricant de ces matelas ! Il a beau assurer, dans ses conditions générales, que « ces liens capitalistiques indirects n’influencent en aucun cas le classement », on a du mal à y croire.
Lemeilleuravis.com et son multispécialiste
Des téléviseurs aux piscines en passant par les épilateurs et les vélos, Lemeilleuravis.com propose des comparatifs sur des dizaines de produits différents. La plupart sont écrits par un certain Armand, qui n’hésite pas, à chaque fois, à se présenter comme un spécialiste du sujet. Pour le test consacré aux abris de jardin, il affirme être charpentier. Concernant celui dédié aux tondeuses à batterie, il se dit chargé d’entretien d’un golf. Il se déclare aussi carreleur sur le test de croisillons autonivelants, responsable d’une enseigne d’électroménager lorsqu’il parle de ventilateurs et propriétaire d’un bar quand il est question des jeux de fléchettes… Multicarte, cet Armand !
Latableverte.fr et ses mentions légales
Bien que souvent fastidieuse, la lecture des mentions légales peut s’avérer instructive. C’est le cas de celles de Latableverte.fr, comparateur spécialisé dans les produits liés à la cuisine. Cela commence par la mention : « Le site https://latableverte.fr est édité par https://latableverte.fr », sans plus de précisions. Ni l’adresse ni le nom du responsable n’y figurent, comme la loi l’impose. On y découvre aussi que « l’ensemble des produits présentés ne sont pas forcément testés physiquement », et que « les mots “Review” et “Test” sont parfois utilisés par abus de langage pour faire référence à l’avis du rédacteur, qui demeure subjectif ». Tiens donc ! En outre, il est précisé que le site « ne peut être tenu pour responsable en cas d’erreur sur les caractéristiques techniques données pour un article ». Et on invite les lecteurs à « toujours vérifier l’exactitude des informations et à consulter les fiches produits des constructeurs, fournisseurs et sites marchands ». Pas très rassurant.
Devibat.com et son faux rédacteur
Pour rédiger ses conseils d’achat, le site Devibat.com fait notamment appel à un certain Marc, qui dit avoir 36 ans. La photo de son visage accompagne même chacun de ses articles. Sauf qu’il nous a suffi de quelques secondes pour découvrir qu’elle provenait d’une banque d’images (séries de clichés mises souvent gratuitement à la disposition, notamment, des professionnels). Pas vraiment de quoi mettre en confiance.
Les confrères s’y mettent
BFM, Le Parisien, Le Monde, 20 minutes, L’Express… Chaînes d’infos et journaux, et pas des moindres, proposent eux aussi leurs guides d’achat, leurs guides shopping ou leurs comparateurs sur leur propre site internet. Le principe est le même que sur les autres plateformes : des articles, des conseils, parfois des tests… À ceci près qu’eux bénéficient de la notoriété de ces noms prestigieux. Ils ont beau préciser que leurs journalistes n’ont pas participé à la rédaction des contenus promotionnels, le mélange des genres pose question quant à la crédibilité et l’indépendance de ces médias vis-à-vis des marques qu’ils promeuvent et des e-commerçants vers lesquels ils renvoient.