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Alimentation

Une loi qui se dégonfle

Après avoir suscité beaucoup d’espoirs, la loi sur l’agriculture et l’alimentation, adoptée définitivement le 2 octobre, n’est pas à la hauteur des débats lors des États généraux de l’alimentation. Décryptage.

Entre septembre et décembre 2017, des centaines d’heures de réunions marathon avaient mis autour d’une même table des représentants des filières agricoles et agroalimentaires, et des associations issues de la société civile (associations de consommateurs, environnementalistes, de protection des animaux…) lors des États généraux de l’alimentation. En étaient sorties des dizaines de propositions, qui devaient constituer la trame de la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous.

Preuve de l’intérêt – et des passions – qu’elle a suscités, des milliers d’amendements ont ensuite été déposés par les députés et les sénateurs lors de son examen. Pour, en définitive, aboutir à un texte critiqué de toutes parts quant à son efficacité, que ce soit sur le revenu des agriculteurs ou l’amélioration de la qualité des aliments.

Pratiques commerciales

Le volet sur la répartition de la valeur tout au long de la chaîne alimentaire est dense, mais pas forcément au bénéfice des consommateurs. Ainsi, l’une des mesures phares, la majoration de 10 % du seuil de revente à perte (1), pourrait amputer leur pouvoir d’achat de 1,5 à 5 milliards d’euros en deux ans, selon les estimations de l’UFC-Que Choisir.

Et il n’est même pas acquis que cette mesure bénéficie aux agriculteurs. Après l’avoir soutenue, les syndicats agricoles s’inquiètent désormais : sans encadrement, la marge dégagée remontera-t-elle jusqu’au maillon production ? Les produits concernés par la hausse du seuil de revente à perte sont des grandes marques, comme Nutella, Coca-cola, Nescafé, etc., qui appartiennent en général à des multinationales. Leurs actionnaires auront-ils réellement à cœur de renflouer les revenus des agriculteurs français ? Il est permis d’en douter ! Autre possibilité, les distributeurs pourraient faire davantage pression sur leurs fournisseurs pour baisser leurs prix et éviter un mouvement inflationniste, auquel cas la loi aurait l’effet inverse de son objectif premier…

Dans le volet sur « une alimentation saine et durable », quelques mesures auront un impact concret sur la consommation quotidienne.

Cantines et restauration collective

D’ici à 2022, les cantines scolaires mais aussi les autres établissements de restauration collective sociale tels que crèches ou Ehpad devront servir au moins 50 % de produits de qualité (labels, AOC, produits fermiers, etc.), dont 20 % minimum de produits biologiques. Pendant deux ans à partir de la prochaine rentrée, les cantines devront expérimenter un menu végétarien hebdomadaire, et un bilan de son impact sur le gaspillage alimentaire, la fréquentation et le coût des repas sera tiré.

Plastique

Par ailleurs, la chasse aux ustensiles en plastique jetables est étendue tous azimuts : outre les assiettes et verres, exit, dès janvier 2020, les pailles, couverts, couvercles de verre, plateaux-repas et, pour les cantines, les contenants de cuisson, réchauffe et service ainsi que les bouteilles d’eau plate. Dommage que cette décision forte pour l’environnement et pas si difficile à mettre en œuvre ne soit applicable qu’entre 2025 et 2028 selon la taille de la commune. Dans les restaurants commerciaux, c’est à partir de juillet 2021 que l’on devra proposer un doggy bag réutilisable ou recyclable (sauf si les produits sont accessibles à volonté, a pris soin de préciser le législateur !).

Information du consommateur

Des mesures pour une meilleure information du consommateur ont également été prises. Le miel, un produit souvent victime de fraudes, bénéficie d’un article exclusif. S’il est composé d’un mélange de produits en provenance de plusieurs pays, tous ceux-ci seront indiqués sur l’étiquette. Terminé par conséquent les mentions suspectes telles que « mélanges de miels originaires et non originaires de l’UE » !

Cependant, plusieurs articles adoptés en deuxième lecture vont finalement disparaître. Interpellé par une soixantaine de sénateurs, le Conseil constitutionnel s'est prononcé le 25 octobre 2018 sur la constitutionnalité de la loi. Il a validé certains articles, comme l’interdiction à compter du 1er janvier 2020 d’ustensiles en plastique jetables. Mais il en a censuré 23 autres, estimant qu'ils constituaient des « cavaliers législatifs » (sans lien, même indirect, avec le projet de loi initial). Sont ainsi supprimés l'article 31, qui prévoyait d’interdire l'utilisation de dénominations associées aux produits d'origine animale dans la promotion de produits d'origine végétale comme « steak » ou « saucisse », ou encore l'article 42, qui entendait renforcer la protection de la dénomination « équitable ».

Flou

Certaines mesures ne sont lancées qu’à « titre expérimental », c’est le cas pour le menu végétarien dans les cantines, l’affichage de la composition des menus... Diverses notions présentes dans la loi Alimentation restent floues, telle l’alimentation « locale » ou les produits « respectant le cycle de vie ». Enfin, plusieurs mesures réclamées par la société civile passent carrément à la trappe, comme l’inscription dans la loi de l’interdiction du glyphosate ou des OGM, et l’agriculture bio est abordée de façon anecdotique.

(1) Le seuil de revente à perte interdit de vendre un produit en dessous du prix auquel il a été acheté. Cette loi impose de le revendre au moins 10 % au-dessus de son prix d’achat.

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