par Anne-Sophie Stamane
AndrocurLabos, médecin et pharmacien condamnés

Le défaut d’information a été retenu pour condamner les laboratoires ayant commercialisé le médicament Androcur (cyprotérone) ou ses génériques, ainsi que le généraliste et le pharmacien ayant respectivement renouvelé et délivré le traitement à une patiente victime d’effets secondaires graves.
La décision est une première judiciaire pour les victimes des progestatifs, ces médicaments qui, donnés essentiellement aux femmes, et le plus souvent en dehors de leurs indications, ont provoqué des tumeurs au cerveau (méningiomes), certes non cancéreuses, mais entraînant des opérations lourdes et, parfois, des séquelles. Dans le dossier d’une cinquantenaire longtemps traitée par Androcur, puis ses génériques, le tribunal de Poitiers vient de reconnaître la responsabilité pour faute des laboratoires Bayer, Sandoz et Viatris, pour défaut d’information.
La décision a été communiquée par l’avocat de la victime, Me Romain Sintès. Il est reproché aux industriels de ne pas s’être assez mobilisés, une fois le risque identifié en 2008, pour diffuser l’alerte. Par conséquent, la patiente a subi une perte de chance, car elle n’a pas pu choisir d’arrêter ou de poursuivre sa médication à la lumière de nouveaux effets secondaires. Bayer, le titulaire initial de l’autorisation de mise sur le marché, a bien sollicité auprès des autorités sanitaires une modification de la notice, mais c’était insuffisant, souligne le jugement : « […] la SAS Bayer ne s’est pas donnée tous les moyens pour assurer une information rapide et efficiente à destination finale des consommateurs, utilisateurs actifs ou anciens de l’Androcur, pour répondre aux exigences du devoir d’information à partir de ses connaissances de pharmacovigilance de 2008 […]. » En particulier, la firme aurait dû informer sans attendre, et directement, les pharmaciens et médecins, aussi bien spécialistes que généralistes. Et une fois les nouveaux effets indésirables bien documentés, en 2011, une mention visible sur la boîte des molécules concernées aurait permis aux personnes sous Androcur, y compris celles qui l’étaient depuis longtemps, de reconsidérer l’intérêt de leur traitement au regard du risque qu’il présentait pour leur santé. L’analyse du tribunal rappelle celle retenue en 2022 en faveur des victimes du changement de formule du Levothyrox.
Risque de méningiome
Autre particularité de la décision rendue à Poitiers, le médecin généraliste ayant renouvelé la prescription, ainsi que le pharmacien l’ayant délivré, sont également condamnés pour défaut d’information. S’il arrive de voir des professionnels de santé mis en cause dans les procédures à l’amiable, il est plus rare qu’ils soient condamnés devant les tribunaux aux côtés des fabricants de médicaments. En l’occurrence, le juge a estimé qu’à partir de 2011, le risque de méningiome était clairement établi, et qu’il appartenait au médecin, même s’il ne faisait que renouveler une prescription, d’en avertir la patiente. Le pharmacien était tenu au même devoir. Que les laboratoires n’aient pas pris la peine de répercuter leur connaissance du risque de méningiome vers ces professionnels de santé ne les exonère en rien de leur responsabilité.
Anne-Sophie Stamane