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Arnaque

Les faux livrets d’épargne reviennent en force

Les propositions de livrets d’épargne affichant des taux de rémunération très alléchants se multiplient sur Internet. Derrière elles, des escrocs utilisent des méthodes bien rodées pour soutirer un maximum d’argent aux victimes qui tombent dans leurs filets.

« Les Français profitent de ce livret jusqu’à 8 %. Êtes-vous éligible ? », « Ce nouveau livret d’épargne à 3,89 % disponible partout en France ! », « Un rendement 10 fois supérieur à celui du livret A »… Si vous fréquentez les sites Internet de grands médias, sans doute êtes-vous déjà tombé sur ces bannières ou encarts publicitaires aux promesses réjouissantes. Mis en confiance par un environnement éditorial sérieux, certains se laissent tenter et en un clic, sont propulsés sur un site sur lequel ils peuvent « tester leur éligibilité » à ce placement miracle. Il suffit alors de rentrer nom, prénom, e-mail et numéro de téléphone pour qu’un message s’affiche : vous allez être recontacté par un conseiller.

Dernier exemple en date, celui débusqué sur un site d’information économique : un livret d’épargne à 3,89 % est mis en avant. On apprend qu’il apporte « sécurité et rendement » ainsi qu’une fiscalité clémente puisqu’il n’est « soumis à aucune imposition ». Mais ces arguments sont fallacieux puisque les livrets sécurisés affichent aujourd’hui des rendements peau de chagrin : 0,5 % net pour le livret A et le livret de développement durable et solidaire (LDDS) ou 1 % net pour le livret d’épargne populaire (LEP). Espérer plus sans risque de perte en capital et sans aucun impôt à payer est donc tout simplement impossible.

Un site qui propose une épargne à 3,89 % : passez votre chemin !

Le site Capital-placement.info vers lequel dirige l’annonce proclame que « cette nouvelle épargne "secrète" cartonne dans toute la France ! ». Et ses arguments ne nous sont pas inconnus ! Il s’agit de la nouvelle adresse d’une ancienne arnaque au livret dont nous nous étions fait l’écho il y a un an, Epargnefrance.com. Les deux sites font pourtant partie de la liste noire tenue par l’ACPR, le régulateur du secteur. Même constat avec Placement-France.com et son placement à 6 % vu sur le site d’un quotidien national et qui renvoie vers le site Economiemag.com, tous deux déjà blacklistés.

Un argumentaire à toute épreuve

Mais figurer sur cette liste noire ne signifie pas que les margoulins ont arrêté leurs manœuvres. Preuve en est, nous avons cliqué sur le lien du site d’un magazine économique pour « tester notre éligibilité ». Et ça n’a pas manqué, un conseiller nous a rappelés. « Vous avez fait une simulation depuis le site de notre partenaire, nous revenons vers vous pour le livret à 3,77 %. » Commence alors un discours-fleuve très assuré qui s’appuie sur un argument a priori solide : nous avons au bout du fil un interlocuteur disant appartenir à Santander, rien de moins que la plus grande banque espagnole. Leur livret ? C’est le plus intéressant : c’est de « l’alternative de placement, c’est pourquoi vous avez un taux qui n’est pas commun », appuie-t-il.

Et notre « gestionnaire de patrimoine » de préciser que le livret, qui nous engagerait pour 36 mois, est investi en parts de Sociétés civiles de placement immobilier (SCPI), « très porteuses dans le contexte actuel ». Pourtant, ce type de placement comporte un risque de perte en capital. Mais pas ici ! « Une attestation de garantie nominative » doit nous être adressée ainsi qu’un « certificat actant que le livret est garanti jusqu’à son terme », le tout net d’impôt, continue le faux banquier. Or aucun de ces arguments n’est vrai. Et une rapide recherche sur son numéro de téléphone fait apparaître qu’il a déjà été utilisé dans l’arnaque aux faux livrets, le conseiller prétextant alors appartenir à la banque ING.

La discussion se termine et le gestionnaire nous fait parvenir des documents de souscription à en-tête de la banque espagnole pour souscrire au fameux « Livret d’épargne SCPI ». Le document est très bien fait sur la forme, mais son fond est tout sauf dans les clous de ce que doit proposer un établissement sérieux. Des erreurs difficiles à détecter pour les particuliers non aguerris.

Des stratégies d’arnaque bien rodées

La suite de l’histoire ne finit jamais bien. Des témoins nous la racontent. Comme Sylvie qui, appâtée par un livret dont on lui promet qu’il lui rapportera 7 % par an, a réalisé un premier versement de 30 000 € puis, quelques jours plus tard, un second de 40 000 € à la société Oppenheim Capital. « L’escroc m’a contacté dix fois par téléphone pour me mettre en confiance, en me disant que l’entreprise était une filiale de la Deutsche Bank. J’ai même reçu un virement de 850 € de leur part pour me tenir en haleine... »

Autre récit avec Bruno, qui a confié 10 000 € à la société IWB en vérifiant, par précaution, qu’elle figurait bien au registre des agents financiers (le Regafi) de la Banque de France. Ce qui était le cas. « Aujourd'hui je n'arrive pas à récupérer mon dû, la personne en charge de mon dossier ne répond plus, raconte-t-il, c'est un soi-disant collègue à lui qui me dit qu'il n'y a pas de souci, que je serai à la tête de 34 000 €, mais que pour récupérer cette somme, je dois m'acquitter de 9 400 € ! » Bruno est, par ailleurs, depuis sa mésaventure, démarché par des sociétés toutes domiciliées aux Pays-Bas qui lui proposent des « livrets à 3-4 voire 7 %, et qui sont toutes deux inscrites au Regafi ! ». De quoi y perdre son latin.

Preuve que les escrocs savent rassurer en se prévalant de sociétés financières sérieuses : banques et leurs filiales, petits et grands courtiers, gestionnaires de patrimoine… Qui tous figurent au Regafi. Les margoulins pensent même à créer des adresses e-mail fantaisistes, où figurent ces grands noms afin que le consommateur ferré, en toute confiance, envoie carte d’identité ou RIB. Et c’est le début de l’engrenage : un premier virement a lieu, parfois plusieurs autres en fonction du bagout de l’interlocuteur. Et quand le doute vient à poindre dans l’esprit de l’épargnant, les escrocs s’éclipsent ou tentent un va-tout, comme avec Bruno. 

Une chose est claire : Sylvie et Bruno ne reverront jamais la couleur de leur argent. Il s’est envolé sur des comptes à l’étranger et a rempli les poches de détrousseurs qui mènent grand train. Leur seul moyen d’agir reste le dépôt d’une plainte pour escroquerie. Mais sans aucune garantie de voir un jour le commanditaire arrêté et condamné, les escrocs opérant dans le domaine des placements étant particulièrement astucieux. L’argent qu’ils récupèrent dans un premier temps sur un compte d’une banque de l’Union européenne (les Pays-Bas, l’Espagne, la Pologne ou le Portugal reviennent souvent) est transféré par la suite, parfois en cascade, vers des pays plus lointains ce qui complique la tâche des enquêteurs et de la justice.

Des arnaques relayées sans aucune vérification

L’arnaque au livret d’épargne reste d’autant plus d’actualité que les près de 200 milliards d’euros mis de côté par les Français depuis le début de la crise sanitaire aiguisent les convoitises. De grands sites d’information continuent en effet à relayer ces bannières publicitaires racoleuses. Elles ne sont pas de leur fait, mais de l’entreprise à laquelle elles confient leurs espaces publicitaires, en particulier la régie Outbrain. Les règles d’affichage de ces encarts sont, certes, bien respectées, le contenu étant indiqué comme « sponsorisé », donc publicitaire. Mais cette régie n’opère aucune vérification sur le sérieux de l’activité des annonceurs. Résultat, du régime minceur aux placements miracles, c’est la foire aux arnaques.

L’arnaque commence souvent par un encart publicitaire sur un site d’information tout ce qu’il y a de plus sérieux.

Alors pourquoi les grands sites d’information ne font pas filtrer par leur régie ces contenus indésirables qui nuisent pourtant à leur image de marque en trompant les lecteurs ? Pourquoi les banques des victimes ne sont pas plus vigilantes dès lors qu’un virement important et exceptionnel est émis, à fortiori vers un pays étranger, alors qu’elles sont censées les alerter en cas d'opération inhabituelle ? Autant d’interrogations qui restent en suspens… Selon l'Autorité des marchés financiers, 23 millions d’euros ont été dérobés l’an dernier grâce à ces arnaques qui ont encore de beaux jours devant elles.

Élodie Toustou

Élodie Toustou

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