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Assurance vie

Aviva rattrapé par son passé

Aviva, l’assureur d’origine britannique qui gère l’emblématique contrat de l’Afer (48,2 milliards d’euros d’encours fin 2014), doit aujourd’hui plusieurs millions d’euros au titre de vieux contrats d’assurance vie dits « à cours connus », souscrits il y a plus de vingt ans par certains assurés et dont les engagements n’ont pas été tenus. Cette bombe à retardement pourrait avoir un effet domino dévastateur.

Pour bien comprendre les tenants et aboutissants de cette affaire, un zoom arrière s’impose. Tout commence à la fin des années 1980 lorsque la compagnie Abeille-vie (reprise par Aviva en 2002) propose à ses clients aisés des contrats à « cours connus ». Le principe, gagnant-gagnant, consiste à offrir aux assurés la possibilité d’investir sur des multisupports diversifiés et dynamiques et d’y effectuer des arbitrages à cours connus d’avance. Un assuré, qui constatait un jour (j) que l’une des unités de compte (UC) où était placée une partie de son contrat valait 105 contre 100 la semaine précédente, pouvait décider un arbitrage en sachant que son opération serait comptabilisée à la valeur enregistrée à j-7 (donc 100). En d’autres termes, il était sûr d’empocher une plus-value de 5, quitte à revendre ensuite rapidement, si la valeur de l’unité de compte retombait en dessous de 100. Pour faire simple, c’était un peu comme s’il jouait aux courses après l’arrivée des chevaux.

Décision illégale

À l’époque, Abeille-vie, qui gagnait des commissions sur chaque arbitrage, n’a pas voulu voir plus loin que le bout de son chiffre d’affaires immédiat. Pourtant, ces contrats, lancés à un moment où les transactions en ligne n’en étaient qu’à leurs balbutiements, sont devenus de véritables bombes à retardement lorsque la Bourse a fait sa révolution Internet. Semblable à l’apprenti sorcier de Walt Disney dépassé par les évènements, Abeille-vie a dans un premier temps fait porter le risque de ces effets d’arbitrage sur son actif général. Mais cette solution ne fut pas du goût de la commission de contrôle des assurances.

Poussée dans ses retranchements, la compagnie a alors tout simplement choisi de bloquer le système des arbitrages à cours connus en… supprimant les supports actions des contrats qui permettaient ces opérations. Une décision illégale. Un assureur ne peut en effet modifier unilatéralement de la sorte un contrat. Abeille-vie aurait pu proposer, comme d’autres l’ont fait (Axa et AGF à l'époque), de reprendre ces contrats « à cours connus » moyennant une grosse indemnité versée aux souscripteurs concernés. Mais elle a préféré une option radicale qu’Aviva risque aujourd’hui de payer chèrement.

Des millions de dédommagements en suspens

Les assurés qui se sont estimés lésés ne sont en effet pas restés les bras croisés. Ils ont fait appel à des huissiers, et certains d’entre eux ont porté l’affaire devant les tribunaux. Non sans succès. Le 11 septembre 2014, après moult étapes transitoires, la Cour de cassation a validé le principe de l’indemnisation de ces contrats à cours connus. Parallèlement, quelques jours avant, le 27 août, le tribunal de grande instance de Paris avait homologué un rapport d’expertise chiffrant, pour la période 1997-2007 à 9,4 millions d’euros le préjudice des quatre membres d’une même famille en possession de ces contrats dont la valeur initiale était de… 8 000 € (ce qui correspond à une valorisation annuelle de + 68 % !).

L’un de ces plaignants, Max Hervé Georges, n’entend d’ailleurs pas en rester là. Il estime à plusieurs millions supplémentaires l’argent que lui doit la compagnie au titre de la valeur actualisée à 2015 de son contrat. Parallèlement, une autre décision de la cour d’appel est tombée le 10 février dernier (affaire Iagolnitzer). Elle condamne Aviva à verser 3,2 millions d’euros. Mais ce montant est jugé trop faible par la défense qui, s’appuyant sur d’autres hypothèses d’expertise, s’est pourvue en cassation. Et il ne s’agirait là que de la partie émergée de l’iceberg. « Plusieurs dizaines de milliers de personnes sont détentrices de ces contrats. Quant aux dédommagements dus par Aviva, si l’on se base sur le taux de valorisation de 68 % homologué par l’expertise d’août 2014, on peut, sans exagération, les chiffrer en milliards d’euros », avancent Maîtres Nicolas Lecoq-Vallon et Hélène Feron-Poloni, en charge d’une trentaine de dossiers sur les « cours connus ».

L’Afer en ligne de mire

Aviva France s’affirme pourtant sereine face à une situation qu’elle estime gonflée par ses détracteurs et pour laquelle « des provisions ont été constituées depuis près de vingt ans et réévaluées chaque année », précise le directeur général de la compagnie, Nicolas Schimel.

« Cette fuite en avant est totalement irresponsable, tempête Me Lecoq-Vallon. Un risque prudentiel énorme est en jeu et pèse par ricochet sur les assurés de l’Afer, dont les contrats sont gérés par Aviva. D’ailleurs, plusieurs d'entre eux ont demandé le rachat de leur contrat, et si Aviva persiste dans sa politique de dénégation, ce mouvement pourrait bien virer à un "bank run" (panique bancaire, ndlr) ! ». Inquiet, le collectif « Dans l’intérêt des adhérents » a décidé de déposer une résolution exigeant une sécurisation renforcée des actifs du contrat Afer qui sera discutée lors de la prochaine AG de l’association prévue le 25 juin à Brest.

Laurence Delain-David

Laurence Delain-David

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