Élisa Oudin
Le compte n’y est pas toujours pour les bénéficiaires !
De nouveaux éléments montrent que les bénéficiaires de contrat d’assurance vie ne perçoivent pas toujours l’intégralité du montant auquel ils pourraient prétendre lorsqu’ils sont contactés par la compagnie d’assurance.
Pas sûr que l’on en ait totalement fini avec le problème des assurances vie en déshérence ! En effet, plusieurs témoignages que nous avons reçus de bénéficiaires d’assurances vie gérées par CNP Assurances, filiale de la Poste et de la Caisse des dépôts, révèlent parfois d’importants manques à gagner.
L’indemnisation des particuliers semble dans ces cas s’effectuer à la tête du client, avec un type de calcul qui peut varier sans raison juridique apparente. Troublant, lorsque les particuliers réclament des comptes à CNP Assurances, une indemnisation supplémentaire de plusieurs milliers d’euros leur est souvent accordée, sans savoir sur quel fondement.
Rappel à l’ordre
On se souvient que l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), le gendarme de la banque et assurance, a sévèrement condamné plusieurs assureurs (Cardif, une filiale de BNP Paribas et CNP Assurances en 2014), en raison de leurs pratiques concernant les bénéficiaires d’assurance vie. L’autorité de tutelle dénonçait alors la mauvaise volonté de certaines grandes sociétés à retrouver les bénéficiaires de contrats d’assurance vie en déshérence (dormant depuis des années après le décès du souscripteur). Depuis, les parlementaires se sont emparés de la question et la loi Eckert de 2014 est venue préciser les engagements des établissements financiers. Une vague de régularisations a d’ailleurs suivi l’adoption de la nouvelle réglementation.
Mais après ce sévère rappel à l’ordre, tout ne semble pas définitivement réglé. Même lorsque les bénéficiaires sont identifiés, ils ne perçoivent pas forcément l’intégralité des sommes (capital + intérêts) dues. M. Antoine O. a ainsi reçu, le 9 janvier 2015, un courrier de CNP Assurances lui révélant qu’il est bénéficiaire, avec sa sœur, d’une assurance vie souscrite par son père, lequel est décédé en 2002. Treize années se sont écoulées entre les deux dates. CNP propose de verser 12 602 € au frère et à la sœur, soit 405 € de gain sur ce contrat ouvert en 2000 (le montant des primes versées s’élève en effet à 12 196 €). Ainsi en 15 ans, le bénéfice n’aura été en moyenne que de 0,2 % par an ! En outre, aucune information n’est donnée par l’assureur pour permettre aux bénéficiaires de comprendre le mode de calcul de la valorisation du contrat. M. O. adresse alors un courrier de réclamation à CNP. Réponse de la compagnie : l’indemnisation que recevront les bénéficiaires va soudainement passer à 2 500 € ! Un simple courrier aura suffi à faire changer le montant de la revalorisation du contrat. Mais, en revanche, toujours aucune trace de la méthode et du calcul ayant permis d’arriver à ce résultat…
Des milliers d’euros d’écart
Autre exemple, Mme F. B. qui réside à Béziers (34), reçoit en 2015 une proposition de CNP pour une assurance vie ouverte par sa tante dont elle est bénéficiaire. Le montant suggéré par l’assureur s’élève à 59 376 €, soit une somme inférieure à celle des primes versées… Réclamation de Mme B. et première réponse de la CNP en août 2016 : une rémunération complémentaire est accordée à la bénéficiaire du contrat. Le calcul de cette somme est basé sur le taux Eonia (rémunération des taux d’emprunt de l’État), ce qui porte, selon CNP, le montant à 4 800 €. Étonnement de Mme B. de ce calcul, qui ne correspond pas à la méthode de revalorisation des contrats préconisés par le médiateur de l’assurance dans son rapport annuel de 2014-2015. Ce dernier a en effet bien précisé : « Après que j'eus examiné le bien-fondé et la pertinence des réclamations et saisi les sociétés d’assurances concernées, la plupart ont proposé une revalorisation du capital calquée sur la revalorisation qui aurait été appliquée au contrat si celui-ci était resté en vigueur, ce qui apparaît un minimum. Aussi ai-je estimé qu’au-delà de la simple revalorisation du capital, se posait également la question de l’indemnisation du préjudice subi par les bénéficiaires du fait de l’indisponibilité des fonds. Il m’est apparu opportun de proposer une indemnisation complémentaire fondée sur l'élément objectif qu'est le taux d’intérêt légal simple appliqué à compter de la date du décès de l’assuré ». On est loin du compte !
Sans se décourager, Mme B. saisit alors le médiateur de l’assurance en 2018 qui lui confirme son droit à réparation du préjudice subi pour le retard. Forte de cette confirmation, elle adresse une seconde demande de revalorisation du capital calquée sur la revalorisation qui aurait été appliquée au contrat, ainsi qu’une indemnisation du retard. La CNP finit alors par lui accorder 3 799 € en plus des 4 800 €, soit 8 599 €. Une somme significative mais toujours loin des 35 000 € que Mme B. estime que CNP lui doit au titre de la revalorisation du contrat. Et surtout, comme c’est le cas dans les autres témoignages, on ne trouve toujours aucune indication de la méthode suivie pour le calcul des sommes dues…
Il ne fait pas de doute que ces étranges pratiques qui modulent les indemnisations selon les bénéficiaires introduisent de graves inégalités entre ces derniers et nécessitent de plus amples informations. Nous ne manquerons pas de poursuivre nos investigations sur ce sujet.