Audrey Vaugrente
Cancer du seinUn dépistage individualisé à l’essai
Moderniser le dépistage organisé, c’est ce que propose une étude européenne initiée par la France. Le rythme des mammographies de dépistage du cancer du sein pourrait être adapté au risque de chaque femme. Les équipes qui y participent espèrent ainsi améliorer la survie après le diagnostic, tout en limitant les effets néfastes du programme actuel (surtraitement, faux positifs, etc.).
L’annonce tombe en parfait accord avec le calendrier. En plein mois consacré au dépistage du cancer du sein (Octobre rose), une équipe se penche sur l’intérêt d’assouplir le dépistage organisé. Celui-ci fait l’objet de critiques depuis plusieurs années, y compris de la part de Que Choisir. Baptisée MyPeBS (1), l’étude propose d’adapter la fréquence des mammographies selon le risque individuel. Le coup d’envoi aura lieu le 1er décembre.
Coordonné par la France, ce projet se déroulera dans quatre autres pays (Belgique, Italie, Royaume-Uni, Israël). L’objectif ? Montrer qu’il est possible d’espacer ou de rapprocher les examens de dépistage en se fondant sur le risque de chacune. Pour cela, 85 000 femmes de 40 à 70 ans seront suivies pendant 4 ans. La moitié bénéficiera d’une approche personnalisée. Les autres continueront de recevoir une mammographie tous les 2 ans, comme recommandé actuellement.
Les failles du système
Si cette étude est lancée, c’est que les critiques émises jusqu’ici ont du vrai. Et un soutien de poids : la revue de la collaboration Cochrane (groupement de scientifiques indépendants) (2), publiée en 2013. L’Institut national du cancer (INCa) estime que le dépistage organisé réduit la mortalité de 15 à 21 %. La revue, elle, n’a pas observé d’impact significatif. Elle rappelle aussi que ce programme est synonyme de surdiagnostic et d’anxiété pour les patientes, pour un bénéfice modeste.
« Pour 2 000 femmes invitées à participer à un dépistage au cours d'une période de 10 ans, un décès par cancer du sein sera évité et 10 femmes en bonne santé qui n'auraient pas été diagnostiquées si elles n'avaient pas participé au dépistage seront traitées inutilement », selon la revue Cochrane. Autrement dit, des cancers qui n’auraient pas évolué font l’objet d’une prise en charge invasive, avec des conséquences à long terme.
« Le problème, c’est qu’on ne sait pas quels cancers évolueront ou pas, donc on traite, explique le Dr Suzette Delaloge, oncologue médicale à l’Institut Gustave-Roussy (Villejuif) et coordinatrice de l’essai clinique. Les femmes échappent à la chimiothérapie mais passent par la chirurgie, la radiothérapie et une hormonothérapie pendant 5 ans… »
L’autre problème posé par le dépistage organisé, c’est que son rythme n’a que peu réduit le nombre de cancers repérés à un stade avancé, nécessitant un traitement lourd. « Il y a également 15 à 17 % de cancers d’intervalle, c’est-à-dire qui n’ont pas été dépistés par la mammographie faite deux ans plus tôt », indique l’oncologue française.
Quatre niveaux de risque au lieu d’un
L’essai clinique MyPeBS propose donc de changer et stratifier le dépistage selon le niveau de risque de cancer. « À partir de 40-50 ans, on est capable d’évaluer le risque de cancer pour les 5 ou 10 ans qui suivent », précise le Dr Suzette Delaloge.
Pour y parvenir, plusieurs outils sont exploités : une mammographie pour mesurer la densité du sein, un questionnaire sur les facteurs de risque individuels et familiaux, ainsi qu’un génotypage réalisé à partir d’un échantillon de salive. « On identifie les petites variations de l’ADN qui augmentent ou diminuent un peu le risque de cancer du sein, développe l’oncologue. Ce ne sont pas des mutations génétiques familiales mais des polymorphismes. »
À partir de ce score, les femmes seront réparties en quatre groupes de risque. S’il est jugé faible, les mammographies pourront être réalisées tous les 4 ans. Les volontaires à risque moyen maintiendront le rythme d’une fois tous les 2 ans. Si le risque est considéré comme élevé, l’imagerie se fera tous les ans. Enfin, les participantes à risque très élevé bénéficieront, en supplément, d’une IRM. Ce double examen améliore la précision du dépistage, évitant de passer à côté d’un cancer.
L’objectif principal de cette expérience est de montrer qu’un dépistage personnalisé est au moins aussi efficace que le programme habituel, mais qu’il peut en outre réduire le nombre de cancers diagnostiqués à un stade avancé.
Pas à n’importe quel prix
Les équipes espèrent aussi observer une réduction du nombre de faux positifs, de traitements inutiles. Mais il faudra aussi que cette stratégie n’ait pas un impact délétère sur le bien-être des volontaires. L’inquiétude inutile est l’un des reproches faits au dépistage organisé actuel : environ 3 % des mammographies positives se révéleront des fausses alertes (ou faux positif). Cela ne doit pas être remplacé par une angoisse permanente. L’annonce d’un risque peut en effet s’avérer hautement anxiogène sans forcément inciter à poursuivre sa prise en charge.
Enfin, il faudra évaluer l’ampleur des bénéfices obtenus au regard du coût d’un tel système. « Notre programme coûte un peu plus cher, reconnaît le Dr Suzette Delaloge. Mais si on repère des cancers plus tôt, les dépenses de traitement peuvent être bien moindres. » Cette évaluation passera par une réévaluation complète du budget qu’exige réellement chaque système de dépistage : examens de contrôle, biopsies, traitements (utiles ou non)… Car la précision ne se fera pas à n’importe quel prix.
Les promesses exagérées de l’Hôpital Américain de Paris
Hasard du calendrier, l’Hôpital Américain de Paris (AHP) annonce également l’inauguration d’un système de dépistage individualisé, le Women’s Risk Institute. Mais là où MyPeBS sert de modèle positif, ce programme témoigne bien des dérives financières qui peuvent survenir. Il faudra compter 480 € (hors examens d’imagerie remboursés) pour en bénéficier, sans remboursement possible.
Comme pour MyPeBS, une approche personnalisée est développée, à l’aide d’une mammographie en 3D (qui livre une image de meilleure qualité) et d’une évaluation du risque individuel et familial par questionnaire. Le logiciel MammoRisk permettra d’établir un score de risque, faible à élevé.
Mais l’établissement privé s’éloigne du cadre recommandé et propose ce protocole à partir de 35 ans. Cette cible n’est pas visée par le dépistage organisé. Il faut dire qu’à cet âge, les cas de cancer du sein restent rares et la densité du sein rend la mammographie peu fiable. Sans compter que le score MammoRisk a été validé chez des femmes de plus de 40 ans.
L’AHP propose en outre un suivi de prévention individuel. Chaque femme pourra recevoir des conseils d’activité physique, de nutrition ou sur les traitements hormonaux qu’elle prend (contraception, ménopause), dans l’espoir de réduire son risque. Cette proposition n’est pas sans faille. « On dispose d’arguments indirects car il existe très peu d’études sur l’impact de la prévention. Par exemple, on peut voir que les très grandes sportives font moins de cancer du sein », admet le Dr Mahasti Saghatchian, oncologue médicale à l’AHP.
Reste que la proposition est pour le moins anxiogène et hors des clous, ce protocole n’ayant pas encore été validé. Impossible, donc, d’affirmer que ce suivi (trop) précoce aura un quelconque bénéfice pour les femmes.
(1) MyPeBS (My Personal Breast cancer Screening) propose également une plateforme d’information aux femmes souhaitant se porter volontaires ainsi qu’à celles déjà recrutées.
(2) Revue Cochrane sur le dépistage du cancer du sein par mammographie (2013).