Morgan Bourven
Bataille des voyagistes pour réduire la protection des consommateurs
Plusieurs syndicats de voyagistes mènent une campagne de lobby visant à supprimer leur responsabilité « de plein droit » en cas de mauvaise exécution des prestations lors d’un voyage. Ils ont obtenu une victoire au Sénat et espèrent maintenant convaincre les députés. L’UFC-Que Choisir dénonce leurs arguments.
Le séjour que vous aviez réservé auprès d’un tour opérateur se passe mal, car l’hôtel n’est pas de la catégorie promise, des activités ont été annulées ou les dates des vols ont été modifiées ? Depuis 1992, votre interlocuteur dans cette situation est le vendeur de votre séjour : il est responsable de plein droit de la bonne exécution des prestations promises. Mais les voyagistes veulent profiter des discussions autour du plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises (loi Pacte) pour revenir sur cette mesure de protection des consommateurs.
Petit retour en arrière : les voyagistes sont vent debout contre cette responsabilité « de plein droit » car il s’agit d’une spécificité française, qui n’existait pas dans la directive européenne du 13 juin 1990 relative aux voyages, vacances et circuits à forfait. Elle a été mise en place en France en 1992, pour rehausser le niveau de protection des consommateurs. Lors de la transposition d'une nouvelle directive européenne datant de 2015 relative aux voyages à forfait (c’est-à-dire les voyages organisés vendus sous forme de package), applicable depuis le 1er juillet 2018, cette spécificité française a été conservée, malgré l’opposition des voyagistes.
Des arguments contestables
Dans le cadre de la discussion sur la loi Pacte, un amendement signé par 132 sénateurs a été déposé et voté par le Sénat, le 7 février, pour que la responsabilité de plein droit soit retirée.
« La suppression du niveau "de plein droit" de la responsabilité des agents de voyages a été adoptée suite à une argumentation pertinente d’Élisabeth Doineau, sénatrice de la Mayenne et de Rachid Temal », s’est félicité les Entreprises du voyage (EDV), l’un des syndicats du secteur, dans un communiqué. « La mobilisation des adhérents des EDV, du Seto [Syndicat des entreprises du tour-operating, ndlr] et de l’APST [Association professionnelle de solidarité du tourisme, ndlr] et la qualité de nos arguments ont convaincu les sénateurs », ajoute le syndicat qui appelle désormais à « envoyer le courrier type rédigé par le syndicat des Entreprises du voyage aux députés » pour les convaincre de suivre l’avis des sénateurs.
Cette campagne de lobby intervient alors que cette transposition a fait l’objet d’une vaste concertation avec l’ensemble des acteurs concernés, la Chancellerie, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et le gouvernement dans le cadre de la rédaction de l’ordonnance. L’état actuel des dispositions législatives est donc le fruit d’un débat qui a déjà eu lieu, même si son résultat ne plaît pas aux voyagistes.
En outre, les arguments avancés par les syndicats ne convainquent pas. L’amendement voté au Sénat, qui suit l’argumentation des voyagistes, estime que « le gouvernement français procède à une "surtransposition" de la directive européenne. […] Cette surtransposition entraînera un écart de réglementation substantiel avec les autres États membres, qui aboutira à une perte de compétitivité pour les organisateurs de voyages français, dans un marché particulièrement soumis à la concurrence européenne ».
Or, le maintien de la responsabilité de plein droit en droit français ne relève en aucun cas d’une surtransposition de la directive européenne. Son article 13.2 permet pour les États membres de maintenir leurs régimes nationaux de responsabilité en l’état (pour la France : responsabilité de l’organisateur et du détaillant), cette disposition ayant d’ailleurs été introduite à la demande de l’Hexagone pour pouvoir maintenir son régime de responsabilité. En aucun cas donc, l’argument selon lequel la suppression de « plein droit » permettrait d’éviter une surtransposition et donc de prémunir la France d’une procédure d’infraction de la part de la Commission européenne, n’est recevable.
L’UFC-Que Choisir souligne également que la responsabilité du voyagiste s'inscrit dans le cadre du forfait vendu par l’organisateur ou le détaillant. La responsabilité de plein droit en France est bien, tout comme la directive le prévoit, liée à la fourniture des prestations vendues. L’organisateur est ainsi tout bonnement tenu de la bonne exécution du forfait et de la sécurité du voyageur. Le fait qu’en droit français la responsabilité soit de « plein droit » ne change donc en rien la logique globale de la responsabilité telle qu’elle est définie par la directive européenne.
Notons d’ailleurs que le président du groupement d’agences de voyages TourCom, Richard Vainopoulos, a déconseillé à ses adhérents d’envoyer la lettre type des EDV aux députés : « non seulement, cette lettre se trompe de combat mais elle ne pourra être que ressentie comme un réflexe corporatiste », a-t-il écrit à ses adhérents dans un courrier révélé par le site TourMag.com. Selon lui, « sur un plan pénal (concernant les cas d’escroquerie), la directive ne change rien et la responsabilité de l’agence reste entière. Sur un plan commercial, le code du Tourisme rend désormais les tours opérateurs coresponsables avec les agences. Cette coresponsabilité constitue un réel progrès même si on peut regretter qu’elle n’ait pas été étendue aux compagnies aériennes ».
L’impact sur le consommateur
Cette responsabilité de plein droit, en place depuis près de 30 ans, permet tout simplement au voyageur consommateur d’identifier facilement son interlocuteur en cas de mauvaise exécution des prestations achetées. Cette disposition est en droite ligne avec le texte de la directive européenne qui prévoit dans son article 13 que la responsabilité du professionnel est « indépendante du fait que ces services doivent être exécutés par lui-même ou par d'autres prestataires de services de voyage ».
C’est bien ici que la protection du consommateur prend toute sa valeur puisqu’en cas de non-exécution, mauvaise exécution, défaillance de sécurité d’une des prestations comprises dans son forfait touristique, le consommateur peut se retourner vers l’interlocuteur auprès duquel il a acheté ce forfait. À charge pour l’organisateur de se retourner vers le prestataire défaillant qui a causé l’inexécution ou mauvaise exécution du contrat. La directive indique d’ailleurs que « la responsabilité de l'organisateur ne devrait pas affecter le droit de celui-ci de demander réparation à des tiers, y compris à des prestataires de services ».
La suppression de cette responsabilité « de plein droit » aurait pour conséquence de rendre extrêmement plus difficile pour le consommateur l’exercice de ses recours en cas de problème... Une telle évolution pourrait se traduire par une multiplication de contentieux juridiques pendant plusieurs années.