Marie-Amandine Stévenin
Présidente de l'UFC-Que Choisir
Le Premier ministre a annoncé ce samedi 6 avril la mise en place d’une « taxe lapin » (de l’expression « poser un lapin ») de 5 euros à compter du 1er janvier 2025 contre les rendez-vous non honorés. Une mesure qui n’aura aucun effet sur l’accès aux soins, va certainement alourdir les démarches administratives qui pèsent sur les médecins, stigmatiser fortement les patients, et risque de créer des tensions dans les salles d’attente en cas de contestation de l’aspect « non justifié » des absences. Un projet à enterrer.
Il s’agit là d’un dispositif sorti du chapeau pour répondre au lobbying de certains syndicats de praticiens libéraux, qui n’ont pas hésité à avancer une estimation de 23 millions de rendez-vous non honorés par an. Ce chiffre me parait fantaisiste, ne reposant sur aucune méthodologie solide. Des estimations plus crédibles ont été avancées par le syndicat MG France et France Assos Santé : ces rendez-vous représenteraient plutôt autour de 6 millions par an, soit 2 à 4 % des consultations.
Le fait de ne pas honorer un rendez-vous médical sans raison valable est un manque de civisme, d’autant plus insupportable dans le contexte actuel où l’offre médicale est insuffisante. Cependant, l’application d’une telle mesure soulève beaucoup de questions.
En premier lieu, les difficultés pour caractériser une absence sans raison valable semblent un problème de taille. Des impondérables existent malheureusement (problèmes de transport, garde d’enfants…) et tout patient qui annule son rendez-vous n’est pas nécessairement de mauvaise foi. Cette mesure n’est pas de nature à apaiser les relations entre médecins et patients et on peut prévoir avec certitude une explosion des litiges pour contester l’aspect non justifié des absences en cas de désaccord du patient avec la déclaration du médecin.
En second lieu, la sanction financière de la « taxe lapin » alourdit inutilement les démarches administratives des médecins, sans garantie d’atteindre réellement le public visé, et sans apporter de solution pérenne au médecin qui subit ces absences.
Les données des plateformes de prises de rendez-vous en ligne suggèrent qu'une grande majorité des « lapins » qu’elles recensent sont le fait d'un petit nombre de patients, plutôt des jeunes urbains surconnectés qui effectuent des réservations multiples et ne retournent en général pas voir plusieurs fois le même praticien. Des mesures ciblées, mises en œuvre sur ces plateformes, pourraient permettre de régler le problème sans stigmatiser tous les patients ni accroître les démarches des médecins. En effet, ces plateformes pourraient par exemple sensibiliser ces publics en priorité, et, s'ils récidivent malgré des rappels à l'ordre, bloquer ou clôturer leurs comptes.
Enfin, les annonces gouvernementales suggèrent que le patient devra laisser l'empreinte de sa carte bancaire au moment de la prise de rendez-vous. Au regard de l'ampleur des fraudes bancaires et des vols possibles des données personnelles est-il bien prudent de collecter ces données ? Qui en assurera la sécurité ? N'y a-t-il pas un risque que ce système conduise à contraindre les médecins à passer par des plateformes internet de réservation, ajoutant à la fracture sanitaire la fracture numérique ?
Par ailleurs, je rappelle que le modèle de la rémunération forfaitaire (par capitation) des médecins, et un poids moindre de la tarification à l'acte, permettraient aux professionnels d’être bien moins pénalisés par un rendez-vous manqué et leur permettrait de consacrer leur temps à leurs patients plutôt que le perdre à réaliser une démarche administrative dont la finalité ne manque d’interroger.
J’appelle donc le Gouvernement à renoncer à ce projet qui a tout de la fausse bonne idée, et les députés et sénateurs à ne pas le voter s’il devait être présenté au Parlement.
Marie-Amandine Stévenin
Présidente de l'UFC-Que Choisir
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