BILLET DE LA PRÉSIDENTE
Accès aux soins

Filtrage à l’accès aux urgences, ou l’art de masquer un symptôme sans traiter le mal

Quatre jours après avoir remis à la Première ministre Élisabeth Borne les conclusions de sa « mission flash », François Braun a été nommé ministre de la Santé. En charge de déployer le filtrage à l’accès aux urgences qu’il a préconisé pour cautériser leur crise chronique, sa tâche est immense pour traiter le mal à l’une de ses racines, et notamment résorber les difficultés d’accès aux soins en ville comme à l’hôpital.

Au début de cet été 2022, et comme je le soulignais déjà l’an passé, l’accès aux soins est déjà particulièrement dégradé. La quasi-totalité des SAMU et des urgences de France font face à une pénurie de médecins qui les contraint à supprimer des lignes de présence médicale, notamment la nuit, au détriment des usagers.

En effet, le nouveau ministre de la Santé préconise la généralisation du SAS (Service d’Accès aux Soins). Concrètement, ce dispositif vise à obliger les usagers à appeler le 15 avant de se rendre aux urgences, pour qu’un tri soit effectué par les assistants de régulation médicale au téléphone. Les urgences jugées comme vitales sont admises à l’hôpital, et les autres sont renvoyées vers des généralistes, sur la base de déclarations orales des patients plutôt que celle d’un examen par un médecin. Traitement de choc, ce remède n’a pourtant rien de nouveau dans un secteur frappé par des crises chroniques.

Si ce tri à l’entrée permet en théorie de préserver l’accès à l’hôpital pour les urgences vitales, faute de mieux à court terme, je tiens à rappeler l’évidence : aucun usager ne va aux urgences par plaisir. Je suis donc stupéfait que la première recommandation du rapport Braun, et donc peut-être celle primordiale pour son auteur, soit d’« informer la population avec une campagne nationale et locale sur le bon usage des services d’urgence ». Comment accepter de faire peser au premier chef sur les usagers la responsabilité de la saturation des urgences, et non sur les pouvoirs publics, dont les politiques pour l’hôpital ont échoué lamentablement ? En effet, seulement 6 % des passages aux urgences sont jugés inutiles par le personnel soignant. Ces cas sont donc extrêmement minoritaires, et on ne peut en aucun cas demander aux usagers de juger de leur propre état avec la précision d’un professionnel, et ce avant même d’avoir été examinés. Par ailleurs, il faut comprendre les raisons poussant à se présenter au guichet des urgences, qui résultent notamment de l’intolérable fracture sanitaire, géographique et financière, se traduisant par l’existence de déserts médicaux à très faible accessibilité de praticiens libéraux sans dépassements d’honoraires.

La pénurie de personnel soignant est devenue la règle. Le Gouvernement doit en prendre acte, et s’atteler à reconstruire une offre de soins suffisante en attirant et formant suffisamment de personnel soignant, tant à l’hôpital qu’en médecine de ville, sans quoi, comme l’ont illustré les conséquences des reports de soins lors de la crise du Covid, le coût en termes de santé publique sera massif. En effet, à force de reporter les actes jugés non urgents, on finit par créer des urgences : à titre d’exemple, en 2020, environ 93 000 diagnostics de cancers n’ont pas pu être établis du fait du retard de prise en charge des patients, et les tumeurs qui ont été détectées l’ont été à un stade plus avancé.

L’UFC-Que Choisir prendra toute sa part dans le débat public à la rentrée prochaine afin de repenser une offre de soins suffisante pour les usagers. Sans cela, toute mesure de gestion de la pénurie n’est que cataplasme sur une jambe de bois.

Alain Bazot

Alain Bazot

Président de l'UFC-Que Choisir

Lire aussi

Soutenez-nous, rejoignez-nous

La force d'une association tient à ses adhérents ! Aujourd'hui plus que jamais, nous comptons sur votre soutien. Nous soutenir

image nous soutenir

Newsletter

Recevez gratuitement notre newsletter hebdomadaire ! Actus, tests, enquêtes réalisés par des experts. En savoir plus

image newsletter