ENQUÊTE

Traitement hormonal de la ménopauseInformation ou promotion ?

Audrey Vaugrente

par Audrey Vaugrente

Remis en question en 2002, le traitement hormonal de la ménopause fait actuellement l’objet d’une intense campagne de réhabilitation. Jetant le doute sur ses effets indésirables, des médecins assurent qu’il peut même prévenir certaines maladies. Ces experts ont déclaré avoir été rémunérés par les laboratoires pharmaceutiques. Leur enthousiasme peut donc être questionné.

Un « passeport qualité de vie après 50 ans », la « Rolls Royce » de la prévention de l’ostéo­porose… Et pourquoi pas une cure de jouvence ? À entendre certains gynécologues, le traitement hormonal de la ménopause (THM) serait victime d’une diabolisation injuste depuis la découverte d’effets indésirables (cardio­vasculaires, cancers du sein) dans les années 2000. Il aurait en fait de nombreux bénéfices, au-delà des seuls symptômes de la ménopause. Mais ces experts ont des liens d’intérêts avec les fabricants de THM (Bayer, Besins, Theramex) ou des labos qui veulent se lancer (Gedeon Richter). Que valent donc leurs arguments ?

Utile dans quels cas ?

La ménopause et la phase qui la précède entraînent des symptômes parfois très lourds : bouffées de chaleur et sueurs nocturnes (symptômes vasomoteurs), troubles de la sphère génitale et urinaire (infections urinaires, sécheresse vaginale, incontinence…). Pour les soulager, une combinaison d’hormones (estrogène et progestatif), appelée THM, peut être proposée. Son efficacité sur les symptômes vasomoteurs est indiscutable. En cas de signes génito-urinaires, il s’avère utile en application vaginale si les gels lubrifiants ne suffisent pas. Et des bénéfices sur le sommeil sont allégués. « Les symptômes de la ménopause, notamment les sueurs nocturnes, provoquent des troubles du sommeil, reconnaît la Dr Agnès Fournier, épidémiologiste à l’Institut Gustave-Roussy, qui déclare n’avoir aucun lien d’intérêts. Agir sur ces symptômes devrait donc avoir un effet sur le sommeil. »

Mais les promoteurs du THM vont plus loin et promettent un impact plus large, par exemple sur les troubles de la mémoire ou de l’humeur, voire une réduction de la mortalité. « Le THM va également permettre la poursuite d’une libido, affirme même le gynécologue Michel Mouly (1) sur France Inter. Il permet aussi de réduire de 25 à 35 % le risque de survenue de la maladie d’Alzheimer. » Outre quelques liens avec les industriels, ce très médiatique médecin est l’auteur de plusieurs livres consacrés à la promotion du traitement de la ménopause. Mais aucune étude ne permet d’affirmer que le THM a un impact sur le désir sexuel, l’humeur… et encore moins en prévention de la maladie d’Alzheimer ou pour réduire la mortalité précoce !

Miraculeux pour les os ?

Autre argument récurrent en faveur du THM, son utilité en prévention des fractures dues à l’ostéoporose. De fait, le risque d’en souffrir augmente avec l’âge et la baisse du taux d’estrogènes. D’un ton dramatique, la Pr Florence Trémollières (2) le déplore : « Depuis la désaffection envers le THM, je vois tous les jours des femmes de 60 ans avec des fractures, jamais auparavant », dit-elle dans Marie-Claire. Cette affirmation n’est assortie d’aucune déclaration de ses liens d’intérêts avec les labos. Les professionnels de santé sont cependant tenus de le faire quand ils s’expriment publiquement (article L 4113-13 du code de la santé publique). Pour sa part, elle a reçu 29 000 € depuis 2021 de la part de labos commercialisant des THM. Contactée par nos soins, elle n’a pas apporté de preuves appuyant ses propos sur les fractures.

S’il est vrai que le THM diminue le risque de fractures dues à l’ostéoporose, son efficacité s’amoindrit fortement après l’arrêt du traitement. Or, il est recommandé de limiter la prescription de THM dans le temps. En outre, ce n’est pas un traitement de première ligne de l’ostéoporose : ce sont bien les biphosphonates (comme l’acide alendronique/Fosamax) qui sont à privilégier et après une première fracture. Le THM se limite aux cas d’intolérance à ces médicaments et s’il y a des symptômes de la ménopause. Dans le cas contraire, sa prescription n’est pas justifiée.

Une protection cardiovasculaire ?

Dans les années 2000, la communauté médicale apprend l’existence d’un risque cardiovasculaire associé au THM par le biais d’une étude américaine (WHI). L’étude est interrompue précocement après la survenue d’événements graves. L’analyse conclut à une hausse du risque de cancer du sein et d’incidents cardiovasculaires (thrombose, AVC, infarctus) liée au THM. Aujourd’hui, certains gynécologues remettent en question ces observations, et promettent même un effet protecteur s’il est pris avant 60 ans. « Si vous l’introduisez plus tardivement après la ménopause, la patiente ne bénéficiera pas de la “protection” (coronarienne) apportée par son traitement hormonal », explique ainsi la Pr Geneviève Plu-Bureau (3) à Medscape (site d’information médicale). Cette gynécologue a notamment accompagné et soutenu les fabricants Besins et Theramex auprès de la Haute Autorité de santé (HAS) lors de la réévaluation des THM en 2025.

Une chose est sûre : les estrogènes seuls, par voie orale, augmentent le risque de thrombose veineuse ou d’embolie, risque qui est presque éliminé avec les formes cutanées (patch, gel). C’est l’approche privilégiée en France. L’ajout d’un progestatif augmente le risque d’AVC, en particulier après 60 ans, mais il est moins certain que les formes locales le diminuent. « La question du risque d’infarctus est certainement la plus débattue et la plus complexe », reconnaît la Dr Fournier. Quelques données, de faible qualité, suggèrent que le THM aurait un effet protecteur s’il est prescrit à des femmes avec peu d’athérosclérose – donc plutôt jeunes. « En revanche, si on le donne à des femmes qui en ont déjà, il y a un risque de rupture des plaques d’athérome, donc d’infarctus, à cause du THM », précise-t-elle.

Un risque de cancer du sein à modérer ?

Dans le même esprit, les experts remettent en question l’augmentation du risque de cancer du sein liée au THM. « Le cancer du sein est notamment corrélé à la durée de l’imprégnation hormonale. Il dépend de l’âge des premières règles, de la ménopause et de la durée du traitement », relativise par exemple la Pr Plu-Bureau. D’autres, comme le Dr Mouly, vont jusqu’à suggérer que le THM est une chance : il « ne l’induit pas [le cancer du sein] mais le révèle plus tôt », dit-il dans Paris Match, annonçant une mortalité divisée par 2. Une affirmation qui n’est pas soutenue par des données scientifiques. Les recommandations du Gemvi précisent au contraire que ce risque, lié à l’association estrogène/progestatif, apparaît à partir de 5 ans de traitement, avec un supplément de 2 cas pour 1 000 femmes et qui mont à 6 cas après 10 ans.

Toutefois, les risques varient selon les progestatifs utilisés. « Pour les associations contenant de la progestérone micronisée ou de la dydrogestérone, le risque est augmenté d’environ 30 % pour un traitement en cours depuis plus de 5 ans. Avec un progestatif de synthèse, le risque est doublé », chiffre la Dr Fournier. Certaines études suggèrent que l’usage d’estrogènes seuls pourrait limiter le surrisque de cancer du sein, voire l’éliminer. Mais c’est encore très incertain. Et, en l’absence de progestatif, c’est le risque de cancer de l’endomètre (muqueuse qui tapisse l’utérus) qui augmente. Un progestatif est donc essentiel pour la majorité des femmes (n’ayant pas eu d’ablation de l’utérus).

Mais là encore, la nature du progestatif induit des risques différents. Un point souvent passé sous silence. La progestérone micronisée et la dydrogestérone, préférables du point de vue du surrisque du cancer du sein et de thrombose veineuse, ont une contrepartie : « Contrairement aux progestatifs de synthèse, ils n’apportent pas de protection suffisante contre le risque de cancer de l’endomètre induit par les estrogènes », indique la Dr Fournier. Une information cruciale pour aider les femmes à choisir.

Un THM français moins risqué ?

Pour rassurer le public sur ces traitements, les experts expliquent que le THM « à la française » n’a rien à voir avec les traitements testés dans les études américaines des années 2000. « Des études de haut niveau montrent qu’il n’augmente pas les risques cardiovasculaires ni significativement le risque de cancer du sein sur une période de 6 à 7 ans », plaide le Dr Geoffroy Robin (4) chez Medscape. Un médecin qui a perçu depuis 2021 près de 28 000 €, principalement pour son expertise scientifique et des interventions en congrès.

Des différences existent, c’est vrai. La France privilégie depuis longtemps l’estradiol par voie cutanée et des progestatifs spécifiques (progestérone micronisée, dydrogestérone). Aux États-Unis, les patientes recevaient presque toutes des estrogènes conjugués équins et de l’acétate de médroxyprogestérone. Tout n’est donc pas comparable. Cependant, on ne dispose pas d’études de haut niveau sur l’approche française. La HAS déplore, dans sa réévaluation des THM, la faible qualité des travaux disponibles. Les études des années 2000, elles, ont permis de sécuriser les pratiques. Pour preuve, en France, ce sont les THM oraux qui ont le plus reculé.

Si le THM a des bénéfices clairs sur certains symptômes liés à la ménopause, sa promotion excessive pour la santé des os, du cœur ou sur la mortalité relève d’une forme de désinfor­mation et constitue une perte de chances pour les femmes. Une information loyale et indépendante sur les risques et les bénéfices de ces traitements est essentielle pour leur permettre de faire un choix éclairé.

Ressources utiles

→ « Traitement hormonal de la (péri) ménopause : le point sur les avantages et les inconvénients », CBIP, 2025.
→ « Réévaluation des spécialités indiquées dans le traitement hormonal de la ménopause », HAS, 2025.
www.transparence.sante.gouv.fr. Vous y trouvez tous les montants versés par les labos pharmaceutiques aux professionnels de santé.
Dossier « Médecins et labos : des liaisons dangereuses »


(1) Le Dr Mouly n’a pas répondu à nos sollicitations.
(2) La Pr Trémollières nous écrit : « Je ne souhaite pas donner suite à votre demande. »
(3) La Pr Plu-Bureau précise que le THM ne doit pas être prescrit à des seules fins préventives.
(4) Le Pr Robin indique refuser les interventions de présentation de traitements mais intervenir comme « organisateur et/ou orateur à des programmes de formation médicale continue ».

Audrey Vaugrente

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