Elsa Casalegno
L’été de tous les dangers
Alors que se déroulent et s’annoncent des événements sportifs d’ampleur, les sites de paris en ligne ont inondé les espaces publics et réseaux sociaux de publicités. L’autorité de régulation des jeux d’argent tient à l’œil ces opérateurs. En jeu : les risques élevés d’addiction, en particulier chez les jeunes.
C’est parti pour un été sportif – et joueur ! Deux grands événements internationaux – l’Euro de football, qui a débuté le 14 juin, et bien sûr les Jeux olympiques, qui s’ouvrent le 26 juillet à Paris – vont déchaîner les passions et faire flamber les mises. Depuis l’Euro 2016, et plus encore depuis le confinement, les Français sont devenus adeptes des paris sportifs en ligne. Une quinzaine d’opérateurs se partagent ce juteux marché, dont les plus connus sont Winamax, Betclic, Unibet ou encore la Française des jeux. Ils ciblent une clientèle jeune et masculine, particulièrement sujette à un risque de jeu excessif et à ses conséquences (endettement, conflits avec l’entourage, violence, dépression, etc.).
Des pratiques agressives…
Et pour racoler de nouveaux joueurs, tout est bon. Certains opérateurs se sont distingués lors de l’Euro 2020 avec des publicités si agressives qu’ils se sont fait taper sur les doigts par l’Autorité nationale des jeux (ANJ), l’instance de régulation des jeux d’argent. Certains se souviennent peut-être de la publicité de Winamax « Tout pour la daronne » et de son slogan « grosse cote, gros gain, gros respect », finalement interdits par l’ANJ.
… jugulées depuis
À la suite de ces excès, des lignes directrices ont été établies par l’ANJ : réduction du nombre de publicités à la télé, limitation du nombre de sollicitations envoyées aux joueurs, plafonnement du montant des bonus distribués, etc. Concernant le contenu des publicités, plus question de mettre en scène des signes de richesse ou de changement de vie – la « daronne » est définitivement hors jeu ! Les sites se tiennent-ils à ces règles de bonne conduite, malgré la tentation de profiter de l’Euro de football ? « Les opérateurs les ont à peu près suivies », confirme à Que Choisir Grégoire Dufay, directeur du service de l’offre de jeux à l’ANJ.
Campagne de prévention originale
En parallèle, l’Autorité a lancé ces dernières semaines une campagne de prévention originale pour sensibiliser le public. Car l’addiction au jeu n’est pas négligeable : une étude de 2019 a recensé 1,4 million de joueurs excessifs en France, dont 400 000 pathologiques. Ces chiffres ont vraisemblablement augmenté depuis, au vu du développement des jeux en ligne. « Les paris sportifs représentent le risque de jeu problématique le plus important au plan individuel, confirme l’ANJ. En effet, la part des joueurs excessifs y est 6 fois plus élevée que pour les jeux de loterie (soit 5,9 % pour les paris sportifs). »
L’ANJ a également réuni les différents opérateurs fin mai « pour leur rappeler leurs responsabilités [légales] dans la lutte contre le jeu excessif lors des prochains événements sportifs », explique l’ANJ. L’instance de régulation a aussi contrôlé les publicités qui s’étalent sur les panneaux et les écrans. Ce qui n’empêche pas les opérateurs de jouer, en toute légalité, sur l’ambiguïté des messages, à l’instar de la campagne de Winamax (lire l’encadré).
Publicités : méfiez-vous des chiffres mirobolants
Dans le métro ou dans la rue, difficile, en ce mois de juin, d’échapper aux affiches publicitaires de Winamax. À côté de portraits célèbres, comme l’inévitable Joconde ou Louis XIV, des montants impressionnants. Le texte proclame : « Ici en Île-de-France, 1 148 955 657 € ont été gagnés en 2023 sur Winamax ». Plus d’un milliard de gains en 1 an, seulement en Île-de-France… La somme, énorme, laisse songeur – ou envieux. Elle est probablement exacte (l’ANJ n’a pas pu nous la confirmer, pour des raisons de secret commercial) à un – gros – détail près. Le site omet de mentionner que, pour que des joueurs empochent des gains, il faut que d’autres perdent, et que tous aient misé auparavant… « Ces montants sont les gains bruts distribués, sans tenir compte des mises des joueurs, explique Grégoire Dufay, de l’ANJ. Or, les mises sont toujours supérieures aux gains – de l’ordre de 8 à 15 % selon les zones géographiques : aucune entreprise de jeux ne distribue davantage qu’elle n’empoche ! Par ailleurs, il s’agit ici des gains cumulés des paris sportifs et du poker. »
Machine à perdre
Conclusion (évidente) : vous avez plus de chances de perdre que de gagner ! L’ANJ s’est d’ailleurs livrée à un petit calcul : « Sur les 3,22 millions de joueurs avec au moins une mise en paris sportifs entre novembre 2020 et octobre 2021, moins de 600 000 ont un bilan positif. » Soit moins de 1 joueur sur 5. De plus, les gains sont modestes : sur ces plus de 3 millions de parieurs, « seuls 27 500 présentent un bénéfice atteignant 1 000 € », soit moins de 1 % des joueurs (et moins de 3 % de ceux qui misent plus de 1 000 €)…
Premier conseil : ne croyez jamais les publicités. Deuxième conseil : abstenez-vous de miser. Troisième conseil : si vous êtes accro, ou si vous voulez étaler votre expertise footballistique, vous pouvez tester les applis de paris sans mise d’argent, qui ont également la cote !
Sites illégaux et contrefaçons, autre manne des jeux
À l’approche des JO, il n’y a pas que les billets qui font l’objet d’arnaques. Des sites web de paris sportifs illégaux ouvrent plus vite qu’ils ne sont fermés par le Service central des courses et jeux (SCCJ, à la direction centrale de la Police judiciaire), chargé de la surveillance des jeux d’argent. En jouant via ces sites, vous risquez fort de ne jamais revoir votre mise ! L’ANJ met à disposition une liste noire des portails interdits sur son site (1), vous pouvez vous y référer, bien qu’elle ne puisse être exhaustive. Si vous tentez de vous connecter depuis la France, vous serez bloqué. Le plus sûr est de s’en tenir aux 17 opérateurs agréés, également listés sur le site de l’ANJ.
Autres activités illicites, les sites permettant la diffusion illégale de compétitions et les vêtements de sport contrefaits sont monnaie courante en France, au grand dam des diffuseurs officiels et des équipementiers. En effet, « 11 % des Français ont accédé à des contenus provenant de sources en ligne illégales pour regarder du sport », selon des données de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO). Chez les jeunes de 15 à 24 ans, ce chiffre monte à 15 %. De plus, 9 % des jeunes ont acheté « sciemment » des articles de sport contrefaits en ligne. Or, ils ignorent souvent qu’ils s’exposent ainsi à des amendes. Cette contrefaçon coûte 850 millions d’euros de manque à gagner aux fabricants chaque année au niveau de l’UE, dont 143 millions en France.