par Elsa Casalegno
PesticidesLa nocivité pour la santé humaine se précise

Un récent rapport de l’Anses contient plusieurs alertes sur les conséquences délétères de certains pesticides. Deux familles d’insecticides, les pyréthrinoïdes et les organophosphorés, suscitent la plus forte inquiétude : elles induiraient (entre autres) divers troubles du développement de l’enfant exposé in utero ou pendant la petite enfance.
Troubles du comportement, anxiété, troubles cognitifs, lymphomes, leucémies, cancers de la prostate, atteintes spermatiques… La liste des conséquences potentielles, sur la santé humaine, de divers pesticides a de quoi faire frémir ! C’est ce que nous dit l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) dans un rapport publié le 24 avril. Ce document recense les effets sur la santé humaine de 9 substances actives (1) autorisées dans l’Union européenne (UE). Ces molécules sont principalement utilisées en agriculture, mais certaines peuvent aussi être contenues dans des produits biocides ou vétérinaires. L’objectif est de « surveiller et prendre en compte les effets indésirables […] pour ajuster leurs emplois et leurs autorisations de mise sur le marché si nécessaire », explique l’Anses.
Des impacts sur le développement de l’enfant, mais aussi sur l’adulte
Le document, élaboré par un groupe d’experts indépendants, s’appuie principalement sur une vaste expertise de l’Inserm de 2021, mais aussi sur des études plus récentes. Il aboutit à plusieurs alertes concernant les pyréthrinoïdes (dont la deltaméthrine) et les organophosphorés (dont le malathion) (2), qui peuvent avoir divers effets néfastes graves sur la santé des personnes exposées :
- troubles du comportement chez les enfants, en lien avec une exposition de la mère aux pyréthrinoïdes pendant sa grossesse ;
- troubles cognitifs chez l’adulte, en lien avec une exposition professionnelle aux organophosphorés ;
- lymphomes non hodgkiniens, en lien avec une exposition professionnelle aux organophosphorés ;
- altération des capacités motrices et cognitives ainsi que des fonctions sensorielles chez l’enfant, en lien avec une exposition prénatale aux organophosphorés.
De plus, un lien avec d’autres pathologies est fortement suspecté : leucémies, cancers de la prostate, hypothyroïdies, atteintes spermatiques (production anormale de spermatozoïdes, en quantité et en qualité), altération de capacités motrices et cognitives (lors d’une exposition prénatale au malathion), troubles du spectre autistique ou de la croissance fœtale (en lien avec une exposition prénatale aux organophosphorés).
Enfin, l’Anses confirme un lien probable entre d’autres pesticides (le glyphosate, les carbamates, les triazines, les phénoxyherbicides et les chlorophénols) et des lymphomes non hodgkiniens ou des tumeurs des tissus mous et des viscères.
Identifier les expositions et limiter les usages
Afin de limiter ces impacts délétères, l’Agence sanitaire recommande « d’identifier les sources d’exposition : médicaments (y compris vétérinaires), pesticides et biocides, y compris pour traiter les matériaux de construction [comme le bois] et d’ameublement, et les textiles ». Elle rappelle également qu’il faut en limiter l’usage au « strict nécessaire ». Ce conseil est aussi valable pour les particuliers : les colliers antipuces pour chiens, par exemple, peuvent contenir un pyréthrinoïde (la deltaméthrine).
L’évaluation de ces substances en question
Toutes ces substances sont autorisées dans l’UE, sur la base d’avis des agences sanitaires, dont l’Anses. Or, les experts ayant rédigé ce rapport soulignent le « décalage notable » entre la réglementation européenne et les risques encourus lors d’une exposition à ces substances. L’Anses l’explique par la façon dont les données toxicologiques et épidémiologiques sont (mal) prises en compte dans l’évaluation des pesticides, ainsi que par « les difficultés à accéder aux informations sur l’utilisation des pesticides » détenues par les fabricants des produits phytosanitaires et leurs utilisateurs.
Alors qu’elle constate que « les réglementations et mesures de prévention […] n’ont pas permis de protéger efficacement la santé des professionnels exposés à ces produits et celle de leurs familles » et que « la biosurveillance de la population générale est limitée », elle souligne également « l’importance d’une mise à jour régulière de l’évaluation des risques ». On est bien d’accord !
L’association de défense de l’environnement Générations futures a réagi à cette publication. Tout en « saluant le travail mené par les experts », elle regrette que l’Anses reste trop « prudente » dans ses recommandations, « souvent floues et dont l’impact concret reste très incertain ».
L’épandage par drone autorisé

Une proposition de loi « visant à améliorer le traitement des maladies affectant les cultures végétales à l’aide d’aéronefs télépilotés », dite loi « drones », rouvre grand la porte à une pulvérisation aérienne de pesticides, pourtant interdite depuis 2010. Un premier assouplissement a été introduit par la loi Egalim de 2018, autorisant des expérimentations pendant 3 ans sur les parcelles de vignes, de vergers ou de bananiers de pente supérieure à 30 %. Un rapport de l’Anses a conclu à certains avantages par rapport à une pulvérisation terrestre, en particulier une moindre exposition des employés agricoles.
Cette loi « drones » s’est saisie de ces conclusions pour pérenniser ces dérogations, et surtout pour élargir l’utilisation des drones à « d’autres types de parcelles et de cultures »… L’offensive a été menée tambour battant. Le texte, porté par le député Jean-Luc Fugit (Ensemble !), a été adopté par les députés de droite et d’extrême droite le 27 janvier, puis par les sénateurs des mêmes partis le 9 avril, et promulgué le 23 avril, suscitant l’enthousiasme de la FNSEA.
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1. Glyphosate, captane, pendiméthaline, zirame, dicamba, malathion, 2,4-D, MCPA, deltaméthrine.
2. Les organophosphorés sont encore autorisés dans l’EU, mais leur usage est déjà très limité en France, et le malathion y est interdit (son autorisation est en cours de révision au niveau européen, sachant que l’Efsa dispose désormais du rapport de l’Anses).
Elsa Casalegno