par Raphaëlle Vivent
PFAS, dioxines, salmonelles…Est-ce encore sain de manger des œufs ?
Près de 9 Français sur 10 mangent des œufs chaque semaine, avec une moyenne de 4 par personne, selon l’interprofession du secteur. Bon marché, ils sont une excellente source de protéines, de vitamines et de minéraux… mais sont régulièrement concernés par des alertes sanitaires.
Ces dernières années, plusieurs agences régionales de santé (ARS) ont mis en garde contre la consommation d'œufs issus de poulaillers domestiques dans différents territoires. En cause, la présence quasi systématique de plusieurs polluants organiques persistants (POP) aux conséquences néfastes sur la santé : perturbation endocrinienne, immunodépression, effets cancérogènes... Dans la liste des POP, on trouve les composés per- et polyfluoroalkylés (PFAS), ces polluants éternels persistant dans l’environnement et dans le corps humain ; les dioxines, ces résidus toxiques formés lors de la combustion du bois et des produits pétroliers ; les PCB, des dérivés chimiques du chlore, dont l’utilisation est interdite en France depuis 1987 ; ou encore le furane, un composé volatil organique incolore utilisé dans certains secteurs de la fabrication de substances chimiques.
Quelles sont les zones concernées ?
Depuis 2023, l'ARS Île-de-France déconseille la consommation d'œufs domestiques dans l’ensemble des 410 communes de l’unité urbaine de Paris. Elle a étudié 25 sites volontaires, dont 14 situés à proximité des trois principaux incinérateurs de déchets autour de la capitale (Ivry-sur-Seine dans le Val-de-Marne, Issy-les-Moulineaux dans les Hauts-de-Seine et Saint-Ouen en Seine-Saint-Denis) et 11 plus éloignés. Au moment des mesures, 23 échantillons dépassaient le seuil réglementaire qui s’applique aux œufs commercialisés pour au moins 1 des 4 catégories de polluants recherchés.
Mêmes recommandations de la part de l’ARS Auvergne-Rhône-Alpes dans plusieurs communes du sud de Lyon (Rhône), proches des usines des géants de la chimie Arkema et Daikin. La raison ? La présence de PFAS dans des quantités supérieures aux seuils dans les poulaillers testés. En Haute-Savoie, des analyses sont en cours dans 9 communes autour de Rumilly, où se trouve l’usine Tefal, pour analyser les taux de PFAS dans les œufs des particuliers. À Lomme (Nord), une étude menée par la mairie a montré une forte présence de dioxine dans les œufs domestiques du quartier du Marais, situé à proximité d’une fonderie. Une analyse de l’ARS est en cours.
Les communes proches d’incinérateurs et de sites industriels, mais aussi des grands axes routiers, des centres urbains (à cause du chauffage) ou encore des remblais avec des matériaux (gravats, etc.) contaminés sont à risque. Comme le souligne l'ARS Île-de-France, il est possible pour les particuliers d’effectuer des analyses de dioxines, furanes, PCB et PFAS dans certains laboratoires, pour un coût d’environ 650 € (1).
Qu’en est-il des œufs d'élevage ?
Les analyses menées par les différentes agences régionales de santé concernent uniquement les œufs domestiques, ceux issus d’élevages disposant de leurs propres contrôles. Dans les zones concernées par les alertes sanitaires aux POP, les tests menés par les directions départementales de la protection des populations (DDPP) n’ont mis en évidence aucun dépassement des seuils réglementaires dans les élevages. Selon l’ARS Île-de-France, les pratiques professionnelles (notamment en termes d’alimentation des poules) et l’installation des élevages professionnels à l’écart des espaces urbains limitent le risque d’exposition des poules. Enfin, les œufs issus d’élevages en plein air ou bio sont statistiquement plus contaminés que les œufs de poules élevées en bâtiment, sans pour autant dépasser les seuils réglementaires européens.
Toutefois, plusieurs ONG dénoncent une réglementation insuffisante pour contrôler les PFAS dans les aliments. « Au niveau européen, on a depuis 2023 des teneurs maximales pour seulement quatre PFAS : PFOS, PFOA, PFNA, PFHxS. Mais rien pour les milliers d’autres substances qui composent cette famille », constate Natacha Cingotti, responsable des campagnes chez Foodwatch international. De son côté, l’association Générations futures avait relevé dans un vaste rapport sur l'alimentation publié en juin la présence d’au moins un PFAS dans 39 % des œufs analysés, issus de quatre pays européens. Les deux associations militent pour l’arrêt des rejets à la source, pour le renforcement de la surveillance alimentaire et pour le durcissement des normes sanitaires.
Autre risque : les salmonelles
La consommation d’œufs peut aussi aller de pair avec la contamination aux salmonelles. Ce sont des bactéries qui peuvent être hébergées dans l'intestin des animaux vertébrés et qui sont le plus souvent transmises à l'être humain par le biais d'aliments contaminés (viande, charcuterie, lait cru, fromages ou œufs). Les infections (salmonellose) se traduisent par des diarrhées, de la fièvre, des vomissements et des douleurs abdominales, pouvant avoir des conséquences graves sur les personnes fragiles. En France, en 2019, les salmonelles sont responsables de 39 % des cas de toxi-infections alimentaires collectives (TIAC) confirmées, et les œufs et les aliments à base d’œufs crus (mayonnaise, crème, mousse au chocolat, tiramisu, etc.) sont à l’origine de près de la moitié des toxi-infections alimentaires collectives dues à Salmonella. En octobre 2024, près de 3 millions d'œufs ont été rappelés en raison d’un risque de contamination par une salmonelle.
Qu’en disent les experts ?
Dans le cas des œufs, cette contamination peut être interne ou externe. « Interne signifie que c’est la poule qui transmet la salmonelle directement à l'œuf. La bactérie est donc à l’intérieur, explique Marianne Chemaly, directrice scientifique sécurité sanitaire des aliments à l’Agence de sécurité sanitaire (Anses). Mais ce type de contamination reste rare, car les élevages commerciaux de type standard sont très contrôlés. » En cas de contamination externe, la bactérie se trouve sur la coquille et provient de l’environnement : sol, poussière, plume, excréments des poules… « Dans ce cas-là, pour éviter l’infection, il faudrait respecter des mesures d’hygiène simples, comme se laver les mains après avoir manipulé les œufs, éviter qu’un bout de coquille se retrouve dans le plat ou conserver la préparation au réfrigérateur », précise Marianne Chemaly.
Pour la contamination interne, il est plus difficile de s’en prémunir. L’experte conseille toutefois de conserver les œufs au frigo, car le froid ralentit la multiplication des bactéries. En cas de cuisson complète des œufs, le risque est supprimé parce que les hautes températures détruisent les salmonelles.
Les bons gestes
Tout d’abord, le marquage sur les œufs permet de connaître les conditions de vie des poules d’élevage. Sur chaque œuf est inscrit un chiffre allant de 0 à 3, les lettres du pays d’origine (FR pour la France) et le numéro de l’élevage. Le code 3 correspond aux œufs de poules élevées en cage (16 poules par m²), le 2 à l’élevage au sol (9 poules par m²), le 1 à l’élevage en plein air (quelques sorties, 9 poules par m² à l’intérieur, 4 à 5 m² par poule à l’extérieur) et le 0 à l’élevage bio (les poules doivent passer au moins un tiers de leur vie à l’extérieur, 6 poules par m² à l’intérieur, 4 à 5 m² par poule à l’extérieur). À noter que pour tous ces modes d’élevage, les poules sont abattues prématurément après un peu plus d’un an de ponte intensive. Le broyage des poussins mâles est, lui, interdit depuis 2023, la filière ayant désormais recours à des méthodes pour déterminer le sexe de l’embryon dans l’œuf, afin d’éliminer les mâles.
Par ailleurs, en tant que consommateur, plusieurs règles sont à respecter pour éviter une intoxication. Tout d’abord, ne jamais laver les œufs avant de les stocker. « L’eau abîme la cuticule de l’œuf, une fine couche sur la coquille qui empêche les bactéries d’accéder à l’intérieur », indique Marianne Chemaly. Comme le précise l’Anses, les œufs peuvent être mangés plusieurs semaines après la date de durabilité minimale (DDM), « lorsque les règles d’hygiène ont été respectées et à condition qu’ils ne soient pas cassés ou fêlés ». Concernant la conservation : frigo ou température ambiante ? Les deux sont possibles, souligne Marianne Chemaly, qui recommande toutefois une conservation au frigo pour limiter le risque de salmonellose. Et d’ajouter : « Ce qui est important, c’est de ne pas avoir de changements de température pendant le stockage des œufs, la condensation pouvant altérer la cuticule et favoriser l’accès des bactéries à l’intérieur de l’œuf. »
Enfin, si vous possédez un poulailler domestique, vous trouverez des conseils dans ce guide sanitaire de l’autoconsommation, édité par le ministère de la Santé.
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Raphaëlle Vivent
Vert