ENQUÊTE
Réseaux sociaux

Attention : trafic d’influence

Beaucoup d’internautes ont eu des soucis après avoir suivi les conseils d’achat de personnalités en vue sur les réseaux sociaux. Même si tous les influenceurs ne sont pas à mettre dans le même sac, la prudence reste nécessaire. Enquête.

Ici un épilateur « ultraefficace », là une crème censée donner du volume à la poitrine, là encore des écouteurs haut de gamme à moins de 20 €… Sur Instagram, Facebook, YouTube et d’autres réseaux sociaux, des « célébrités » vantent les atouts de cosmétiques, de vêtements ou d’appareils high-tech, mais aussi de denrées alimentaires, de bijoux, d’objets de décoration, etc. La liste est longue. Si la démonstration vous convainc, il suffit en général de faire glisser votre doigt vers le haut de l’écran de votre smartphone (la fonctionnalité Swipe-up) pour basculer sur le site du vendeur et acheter le produit. Quelques clics, un numéro de carte bancaire et le tour est joué. Dans les jours qui suivent, l’article est expédié chez vous.

Commandes non honorées ou non conformes

Sauf que tout ne se passe pas toujours comme prévu. Un grand nombre de personnes ayant suivi les conseils d’un influenceur assurent que la marchandise commandée ne leur a pas été livrée, à l’instar de deux d’entre elles. Audrey n’a jamais vu la couleur de la rose éternelle que son petit ami lui avait offerte après l’avoir vue dans une vidéo. Quant à Tiffany, elle attend toujours la bouteille isotherme recommandée par deux influenceuses. En outre, les clients lésés ayant exigé d’être remboursés n’ont pas, pour la plupart, obtenu gain de cause. « L’influenceuse et son agence m’ont baladée en me faisant croire qu’elles allaient m’aider, mais ça n’a rien donné. Quant au site de vente en ligne, il a disparu », se souvient Tiffany. D’autres ont fini par réceptionner l’article, mais souvent avec un gros retard et pas toujours en bon état. De plus, alors que l’influenceur avait fait miroiter à ses abonnés un produit d’exception, beaucoup d’entre eux affirment n’avoir reçu qu’un gadget bas de gamme inefficace, voire inutilisable. Cette mésaventure est arrivée, par exemple, à Laëtitia et à Marine. La première avait commandé des collants soi-disant « indestructibles ». Or, trois d’entre eux se sont déchirés dès qu’elle les a enfilés. La seconde avait acheté un épilateur préconisé par une influenceuse ; l’appareil n’a pas fonctionné une seule fois. « Lorsque j’ai demandé des explications à la plateforme, je me suis fait insulter et mon compte a été bloqué. Plus jamais je ne commanderai un produit présenté par un influenceur », se désole-t-elle.

Une publicité très rentable pour les marques

Faire appel à des personnalités en vue pour promouvoir ses produits, la pratique n’est pas nouvelle, mais cette technique commerciale a pris de l’ampleur avec les réseaux sociaux. « Le phénomène s’est même amplifié depuis un an, car les fabricants ont trouvé, par le biais des influenceurs, un bon moyen de garder le contact avec leurs clients durant la crise sanitaire », constate Caroline Matz, responsable de la communication et du marketing de Reech, une agence qui propose aux entreprises de les aider à monter leurs campagnes de publicité en ligne. Il faut dire que pour les professionnels, cette stratégie présente de sérieux avantages, au premier rang desquels la possibilité de parfaitement cibler son public. En fonction de l’âge, du sexe ou encore des centres d’intérêt des consommateurs qu’elles souhaitent toucher, les marques choisissent parmi plusieurs milliers d’influenceurs prêts à faire la publicité de leurs produits. En plus, grâce aux données fournies par les réseaux sociaux, elles peuvent établir presque instantanément l’impact réel de chaque partenariat. En quelques secondes, elles connaissent non seulement le nombre et le profil des personnes qui ont regardé la publication, mais elles savent aussi comment ces dernières l’ont perçue en analysant les commentaires déposés et en comptabilisant les « J’aime » et les partages. Il suffit même aux fabricants d’insérer un lien qui renvoie vers leur site Internet ou d’attribuer un code promo spécifique à chaque influenceur pour recenser exactement combien de personnes se sont rendues sur leur plateforme ou ont acheté leurs produits après avoir visionné la présentation. Autant d’informations qui valent de l’or. « Le marketing d’influence est d’une redoutable efficacité, observe le chercheur François Nicolle. Il coûte moins cher et s’avère bien plus rentable qu’une campagne de communication classique. Une entreprise ne dépense que quelques milliers d’euros pour promouvoir ses produits ou améliorer sa visibilité sur les réseaux sociaux, et le résultat se révèle très satisfaisant, car l’internaute est toujours plus tenté de croire quelqu’un qu’il connaît, qu’il suit et en qui il a confiance, plutôt qu’une publicité impersonnelle. »

Des starlettes de la téléréalité avides de profits

Pour les influenceurs, ces partenariats constituent une aubaine. Suivant leur nombre d’abonnés, la publication d’un seul message (« post ») ou d’une succession de minividéos (« story ») peut leur rapporter de quelques centaines à plusieurs milliers d’euros. D’autant que l’exercice n’a généralement rien de très compliqué. « Les attentes et les contraintes varient selon les marques. Certaines obligent les influenceurs à suivre un script extrêmement précis, qui dicte la manière dont ils présenteront le produit et les arguments qu’ils avanceront. D’autres, au contraire, laissent libre cours à l’imagination et à la créativité des “célébrités”. Ce sont d’ailleurs ces campagnes qui marchent le mieux », commente Quentin Bordage, le patron de Kolsquare. Son agence a développé une plateforme sur laquelle les entreprises peuvent entrer en relation directement avec les créateurs de contenus.

Officiellement, tous les influenceurs assurent faire le tri dans les demandes et n’accepter que les propositions sérieuses. « En réalité, c’est surtout le cas parmi ceux qui ont mis des années à constituer leur communauté. Ils ne prendraient pas le risque de perdre la confiance de leurs abonnés en mettant en avant un produit bas de gamme ou un site douteux, certifie François Nicolle. À l’inverse, les influenceurs qui ont acquis rapidement une notoriété, notamment grâce à la télé­réalité, veulent en tirer profit au plus vite. Ils hésitent moins à accepter n’importe quel partenariat pour gagner un maximum d’argent en un minimum de temps. Ils se retrouvent alors à faire plusieurs fois par jour la publicité d’articles ou de services sans jamais vérifier que les arguments qu’ils avancent sont exacts, que les produits qu’ils promeuvent fonctionnent, ni que les sociétés qui les commercialisent sont sérieuses. »

Cette connivence entre des marques peu scrupuleuses et des influenceurs avides de gains rapides fait pas mal de dégâts. Des milliers d’internautes, principalement des jeunes, ont perdu quelques dizaines d’euros, parfois beaucoup plus, après avoir suivi leurs conseils. Le phénomène a atteint un tel niveau que les autorités ont dû réagir. La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a lancé, à l’attention des consommateurs, une campagne d’information pour les sensibiliser aux risques potentiels quand ils suivent les influenceurs, et rappelé à ces derniers, ainsi qu’aux sites pratiquant le dropshipping (lire l’encadré), les obligations légales auxquelles ils devaient se soumettre. La DGCCRF a également promis de renforcer ses contrôles. Même le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, s’est fendu d’une vidéo mettant en garde contre ces dérives. De leur côté, certains professionnels tentent aussi d’assainir le secteur. Des agences poussent les créateurs de contenus à adopter des pratiques plus respectueuses de leurs abonnés, et l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) incite les influenceurs à faire preuve de plus de transparence quand ils nouent des accords. Sauf que face aux millions d’euros en jeu, ce n’est pas demain la veille que ces hommes et ces femmes sandwichs d’un nouveau genre s’adonneront tous à un marketing d’influence plus éthique.

Les dérives dont il faut se méfier

Suivre les préconisations d’achat de son influenceur préféré ? Pourquoi pas ? À condition de faire preuve d’un peu de bon sens et de respecter quelques règles de base. Voici les abus les plus fréquents.

Les sites de dropshipping

Ces sites marchands qui encaissent les commandes, mais délèguent le stockage et la livraison à des homologues (le plus souvent, le chinois AliExpress) font beaucoup appel aux influenceurs pour accroître leur notoriété. Si le dropshipping est légal, il constitue une source d’abus. Le principal problème vient du fait que le client ne sait pas d’où sera envoyé son colis et par qui. Résultat : il est fréquent que le destinataire doive payer des frais à la réception ou que le produit ne corresponde pas à sa description. Surtout, les délais de livraison annoncés ne sont en général pas respectés. On voit mal, par exemple, comment le site Miine.fr peut être sûr de tenir sa promesse d’une livraison en huit jours alors que ses produits sont très certainement expédiés de Chine par un fournisseur sur lequel il n’a aucun contrôle.

Nos conseils. Avant de passer commande, vérifiez la renommée du site et la qualité réelle des articles, notamment en consultant les avis sur Internet. Méfiez-vous en particulier des plateformes vantées par les starlettes de la téléréalité. Des solutions comme AntiDrop ou Captain Drop permettent d’évaluer le risque qu’un webmarchand pratique le dropshipping.

Des allégations mensongères

Des montres soi-disant de luxe qui se révèlent des gadgets bas de gamme, des épilateurs qui ne font que raser, voire, comme le promet l’instagrameuse Jazz à ses 3,4 millions d’abonnés, une crème censée « donner du volume aux hanches », mais qui n’a aucun effet… Pour enchaîner les partenariats, certains influenceurs n’hésitent pas à abuser de superlatifs, et même à dire carrément n’importe quoi.

Nos conseils. Avant de commander, regardez les avis des autres acheteurs. De manière générale, ne croyez pas aux trop belles promesses et aux produits miracles.

Les partenariats cachés

Ne faites pas confiance aux influenceurs qui affirment avoir découvert le produit par hasard et l’utiliser tous les jours. Ils veulent seulement vous pousser à passer commande. La loi oblige ces personnalités à indiquer clairement qu’un contenu fait l’objet d’un partenariat commercial, mais tous ne prennent pas cette peine.

Nos conseils. Dès qu’un influenceur met en avant un article ou un service, sachez qu’il est payé pour cela ou qu’il bénéficie d’une contrepartie (des produits gratuits, de la visibilité…). Sincère ou pas, il a intérêt à en dire du bien.

Des produits dangereux et des services douteux

Par appât du gain, certains influenceurs n’ont aucun scrupule à faire la publicité d’articles contrefaisants ou de produits potentiellement dangereux, voire illégaux, tels que les masques anti-covid aux couleurs de Louis Vuitton vantés par SebyDaddy. D’autres vous promettent que vous gagnerez beaucoup d’argent en pariant ou en investissant dans des placements financiers douteux sans mentionner les risques, ni s’inquiéter du fait qu’il peut s’agir d’arnaques, comme le fait AD Laurent avec son astuce qui assurerait, selon lui, un rendement « de 20 à 35 % par mois très facilement ».

Nos conseils. Mieux vaut faire preuve de bon sens avant de succomber aux arguments des influenceurs, aussi ­convaincants semblent-ils.

Des prix exorbitants

Les influenceurs ont beau promettre l’affaire du siècle grâce à leur code promo, en cas de dropshipping, les produits qu’ils promeuvent coûtent plus cher que si vous les aviez achetés sur le site AliExpress. Exemple avec ce short de bain, bradé à 44,99 € au lieu de 59,99 € sur SwimCo, et vendu à partir de 3,12 € sur AliExpress. En France, les prix sont libres mais les promotions sont encadrées. Afficher un faux tarif de référence est puni par la loi.

Nos conseils. Même si l’influenceur vous assure que l’offre n’est valable que 24 heures ou que le stock est limité, comparez les sites. Sur AliExpress ou ailleurs, vous pourriez dénicher le même article à son vrai prix, bien plus bas !

Peu de recours

En cas de souci avec un article ou une livraison, contactez le vendeur qui a encaissé le paiement, par e-mail ou sur les réseaux sociaux, ou envoyez-lui un courrier recommandé avec AR. Toutefois, sachez que les recours contre les sites de dropshipping sont très aléatoires, tant ils restent difficiles à repérer ou mettent vite la clé sous la porte. Vous pouvez passer par l’influenceur ou son agence, mais engager leur responsabilité s’avère malaisé. En dernier recours, joignez votre banque, l’éditeur de votre carte bancaire ou PayPal. Parfois, des remboursements sont proposés. Enfin, signalez le litige à la Direction départementale de la protection des populations (DDPP) dont dépend le siège du cybermarchand, ainsi que sur Signal.conso.gouv.fr. Le mieux reste de ne pas se fier aux vendeurs mal identifiés.

L’UFC-Que Choisir met en garde

Face aux dérives constatées lors de cette enquête, l’UFC-Que Choisir a signalé certains faits à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Elle a aussi édicté une charte de bonnes pratiques que les influenceurs peuvent s’engager à suivre et à mettre en avant. 

Le service d’information juridique de l’UFC-Que Choisir

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