Les sur-marges de la grande distribution
Alors que la grande distribution est aujourd’hui le plus gros acteur sur le marché en pleine croissance du bio, l’UFC-Que Choisir rend publique une étude qui montre que les promesses des grandes enseignes (offre large et prix bas) ne sont pas tenues. Notre analyse économique et de terrain portant sur les fruits et légumes, révèle non seulement l’indigence de l’offre, mais également l’existence d’une politique de marges très élevées sur les produits bio. Par conséquent, l’Association demande aux Pouvoirs Publics que la transparence soit faite sur les prix et les marges nettes réalisées par produit et par enseigne, afin de contribuer, par la concurrence, à une meilleure accessibilité du bio.
Un panier de fruits et légumes bio 79 % plus cher que son équivalent en produits conventionnels
Le prix élevé des fruits et légumes bio constitue un frein pour les consommateurs, rédhibitoire pour les plus modestes. En effet, notre étude identifie que le prix d’une consommation annuelle en fruits et en légumes exclusivement bio pour un ménage français revient en moyenne à 660 €, contre 368 € pour les équivalents en conventionnel, soit 79 % plus cher. Si les coûts de production sont plus élevés en bio qu’en agriculture conventionnelle (rendements plus faibles, main-d’œuvre relativement plus importante, coûts des contrôles et de la certification…), ceci n’explique qu’à peine la moitié du surcoût payé par les consommateurs.
Des tarifs prohibitifs s’expliquant par les marges exorbitantes de la grande distribution
46 % du surcoût du bio provient en réalité des ‘sur-marges’ réalisées sur le bio par les grandes surfaces : en moyenne les marges brutes sur les fruits et légumes sont deux fois plus élevées (+ 96 %) en bio qu’en conventionnel. Cet écart de marge est encore plus spectaculaire pour les deux produits frais les plus consommés du rayon : + 145 % pour la tomate et + 163 % pour la pomme ! Au global, la stratégie de marge de la grande distribution – à la justification économique obscure – aboutit à renchérir de 135 € le panier bio annuel d’un ménage. Autrement dit, seulement la moitié du surcoût du bio payé par le consommateur va à la production, le reste étant capté par la distribution en sur-marges.
Une politique de marge contreproductive qui réduit l’accès au bio et pénalise son développement
Ces marges brutes excessives sont non seulement un frein rédhibitoire à l’accès au bio pour de nombreux consommateurs, mais sont en plus économiquement aberrantes pour tous les acteurs de la chaîne. Notre étude montre qu’en baissant seulement de moitié sa sur-marge sur le bio, la grande distribution permettrait aux ménages consommant du bio de réaliser une économie annuelle pouvant aller jusqu’à 72 €. Cette baisse, en enclenchant un cercle vertueux élargissant l’accès au bio à de nouveaux consommateurs, permettrait aisément à la grande distribution de conserver sa marge brute totale sur le rayon fruits et légumes1. Ce développement du marché bio serait qui plus est bénéfique pour les producteurs en leur offrant davantage de débouchés.
Une offre bio indigente
L’enquête réalisée par les bénévoles de l’UFC-Que Choisir dans 1 541 magasins met en lumière l’indigence de l’offre pour les deux fruits et légumes frais privilégiés par les consommateurs : les tomates et les pommes. Dans près d’un cas sur deux (43 %), il est impossible de trouver à la fois des pommes et des tomates bio dans un même magasin. Pire, 23 % des magasins ne proposent aucun de ces deux produits en version bio. Magasin U est l’enseigne pour laquelle l’offre bio en tomates et en pommes est la moins étoffée, suivie par Intermarché et Monoprix.
La situation n’est pas pour autant réjouissante dans les magasins qui commercialisent ces fruits. En effet, nos enquêteurs ont constaté que lorsque des tomates bio étaient commercialisées, dans près d’un cas sur quatre les casiers étaient vides (7 %) ou aux trois quarts vides (16 %) ! Concernant les pommes, seulement deux variétés sont proposées en moyenne en bio, contre 8 en conventionnel.
Au vu de la convergence de l’intérêt sanitaire et environnemental du bio, l’UFC-Que Choisir, soucieuse de permettre à plus de consommateurs d’accéder aux produits de l’agriculture biologique, exige que la grande distribution fasse preuve d’une réelle cohérence entre certains de ses slogans commerciaux sur le bio et ses pratiques en termes de tarification et de disponibilité des produits bio, et demande à l’Observatoire de la formation des prix et des marges d’étudier la construction des prix dans les magasins de la grande distribution pour les principaux produits d’agriculture biologique, et de faire toute la transparence sur les marges nettes réalisées par produit pour chaque enseigne.
À la suite de la publication de notre étude, la grande distribution a réagi, notamment par l’intermédiaire de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD), pour contester les conclusions de nos travaux, en affirmant que « le taux de marge brute sur les fruits et légumes bio est en moyenne équivalent à celui pratiqué sur les fruits et légumes conventionnels. »
L’UFC-Que Choisir ne dit pas autre chose ! Étant donné que le coût d’achat par la distribution des fruits et légume bio est en moyenne deux fois plus élevé que pour le conventionnel, appliquer un taux de marge « équivalent » revient bel et bien à facturer aux consommateurs une marge brute en euros environ deux fois plus importante pour le bio que pour les produits conventionnels. En somme, la FCD valide par sa réponse la justesse de nos calculs, ce qui n’est pas surprenant puisque nous nous basons sur des données officielles mises à disposition par le Ministère de l’agriculture.
Dès lors, était-il « totalement partial » de raisonner comme nous l’avons fait en marge en euros par kg, et non en taux de marge comme l’aurait pudiquement préféré la distribution ? Non, à deux égards. D’une part, car il est courant de travailler sur les niveaux de marge en euros par kg, comme le fait par exemple l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires. D’autre part, car les consommateurs, à l’achat, paient la marge de la grande distribution en euros, et non en taux, et c’est bien celle-ci qui explique une partie trop importante du différentiel de prix entre bio et conventionnel.
1 Sur la base de l’hypothèse d’un doublement de la part de marché du bio en volume à 5,6 % contre 2,8 % actuellement.