ACTION UFC-QUE CHOISIR
Sur-marges sur les fruits et légumes bio

La grande distribution matraque toujours les consommateurs !

Deux ans après la publication d’une étude économique pointant les sur-marges de la grande distribution sur les fruits et légumes bio1, l’UFC-Que Choisir dénonce aujourd’hui la persistance de cette déplorable politique, dommageable pour le pouvoir d’achat des consommateurs et l’environnement. Afin de faire (enfin !) toute la lumière sur l’ampleur de la pratique, l’Association presse l’Observatoire de la Formation des prix et des marges de publier les niveaux de marges par enseigne et par rayon. Au niveau individuel, sur la base d’une enquête de terrain publiée dans le numéro 583 de Que Choisir, actuellement en kiosque, l’association conseille aux consommateurs de faire jouer la concurrence car la grande distribution n’est pas systématiquement meilleur marché que les magasins spécialisés bio.

Face aux alertes sur les risques sanitaires et environnementaux des pesticides, les consommateurs français se tournent de plus en plus vers les produits biologiques (+ 36 % sur les deux dernières années2). La grande distribution ayant encore renforcé sa part de marché sur le bio3 sur cette même période, l’UFC-Que Choisir a souhaité réactualiser son étude sur les « marges du bio ». Et le moins que l’on puisse dire c’est que les marges des fruits et légumes bio restent toujours en travers de la gorge.

+ 83 %, + 109 %, + 149 %, les sur-marges se concentrent sur les produits les plus consommés

Sur la base des cotations officielles publiées pour 24 fruits et légumes4, l’UFC-Que Choisir dénonce le niveau exorbitant des marges brutes sur le bio : en moyenne, 75 % plus élevées qu’en conventionnel. Pire, cette moyenne masque de très fortes disparités selon les produits, et ce sont sur les plus consommés que la grande distribution se gave le plus. Si le niveau de marge en bio est équivalent au conventionnel pour l’oignon, l’ail ou la carotte, sur les 3 fruits et légumes les plus consommés (la pomme de terre, la tomate et la pomme) les marges brutes sont respectivement 83 %, 109 % et 149 % supérieures au conventionnel. La palme des sur-marges revient au poireau, où la grande distribution marge 2,5 fois plus sur le bio que sur le conventionnel (+ 165 %).

Sur-marges de la grande distribution : l’exemple de la pomme bio  
Exemple de la pomme bio

Il faut arrêter de croire que la cherté du bio provient exclusivement du surcoût agricole… Ainsi, dans le cas de la pomme par exemple, alors que le prix agricole en bio est supérieur de 70 % au conventionnel, la marge brute de la distribution est deux fois et demie plus importante. Conséquence : un prix en rayon double pour le bio par rapport au conventionnel.

La grande distribution capte 41 % du surcoût du bio

Lorsqu’on cumule les prix des 24 fruits et légumes étudiés, le budget annuel pour un ménage français s’élève à 657 € pour le bio, contre 379 € pour l’équivalent conventionnel. Alors qu’une partie seulement de cet important écart tarifaire s’explique par les moindres rendements de l’agriculture biologique, pas moins de 41 % de l’écart est dû à la différence dans les marges appliquées par la grande distribution : 287 € en bio contre 173 € en conventionnel. Cette situation est d’autant moins acceptable qu’à ce jour, la grande distribution n’a produit aucun élément chiffré permettant de justifier une différence dans les frais de distribution entre le bio et le conventionnel (manutention, stockage, mise et pertes en rayon, etc.).

Marges de la grande distribution sur le budget annuel de fruits et légumes :287 € en bio contre 173 € en conventionnel !

Par rapport à l’étude de 2017, la marge brute globale pratiquée par la grande distribution sur la consommation de bio n’a que très légèrement diminué (de seulement 6 %), démontrant l’absence de véritable inflexion dans les politiques de sur-marges. Car si le taux de marge5 est désormais légèrement inférieur pour le bio, il ne faut pas s’y tromper : pour les consommateurs, ce qui compte n’est pas le taux de marge, mais bien le montant de marge dont ils doivent s’acquitter. Comme le prix de revient agricole est bien plus élevé en bio, lui appliquer un taux de marge proche de celui appliqué aux produits conventionnels se traduit immanquablement par une marge en euros bien supérieure sur le bio !

Cette évolution permet en revanche de contredire l’argument des distributeurs selon lequel leurs marges seraient définies de manière fixe en fonction des seules contraintes techniques de mise en rayon, et montre qu’au contraire elles sont ajustées selon des logiques purement mercantiles. Or cette pratique est particulièrement coûteuse pour le budget des consommateurs : si la grande distribution appliquait au bio la même marge qu’en conventionnel, le budget annuel d’une consommation de fruits et légumes bio diminuerait de 18 %, soit 121 € d’économie par ménage6 !

Fruits et légumes bio : les magasins spécialisés moins chers que les grandes surfaces

La cherté du bio en grandes surfaces n’est pas une fatalité. Un récent relevé de prix réalisé par l’UFC-Que Choisir7 avec l’aide de ses bénévoles montre ainsi que les magasins spécialisés peuvent constituer un recours pour les consommateurs. En effet, bien qu’ils soient globalement plus chers que les grandes surfaces lorsque l’on prend en compte l’ensemble des produits bio, la situation est bien différente pour les seuls fruits et légumes, dont les prix s’avèrent 19 % moins élevés dans les magasins spécialisés8. Dès lors, et notamment compte tenu de la progression marquée du nombre de magasins spécialisés en France (416 points de vente supplémentaires au cours des deux dernières années, soit une progression de 18 %), la mise en concurrence par les consommateurs des différents modes de distribution pourrait pousser les grandes surfaces à adopter des politiques de marges plus raisonnables et donc favorables à la démocratisation du bio.

Sur la base de son étude, l’UFC-Que Choisir, souhaitant encourager la consommation du bio au vu de ses bénéfices sanitaires et environnementaux :

  • Exhorte l’Observatoire de la formation des prix et marges à une transparence totale et salutaire en publiant les niveaux de marges par enseigne et par rayon (« naming and shaming »), dans le cadre de ses prochains travaux9 sur les produits de l’agriculture biologique ;
  • Recommande aux consommateurs de faire jouer la concurrence entre les modes de distribution, afin de trouver les prix du bio les plus compétitifs.

Addendum du 27 août 2019

La publication de l’étude de l’UFC-Que Choisir sur les marges de la grande distribution sur les fruits et légumes bio a suscité de nombreux commentaires et, de la part des acteurs de la distribution, des critiques portant selon le cas sur la fiabilité des données utilisées, la méthodologie ou encore sur la manière de calculer la marge. Pour chacune de ces critiques, l’UFC-Que Choisir fait une mise au point.

• Quelle est l’origine des données utilisées pour l’étude de l’UFC-Que Choisir ?

Les acteurs de la distribution ne communiquant aucun niveau de marge, l’UFC-Que Choisir a utilisé pour son étude les cotations publiées de manière hebdomadaire par le Réseau des Nouvelles des Marchés (RNM), service dépendant de l’établissement public FranceAgriMer, office agricole sous tutelle du Ministère de l’Agriculture. Les données du RNM permettent de connaître précisément l’évolution et le niveau des prix de plus de 130 fruits et légumes conventionnels à cinq stades de la commercialisation : production, expédition, import, prix de gros et prix en rayon. Enfin, pour plus d’une vingtaine des produits les plus consommés, le RNM donne les prix des productions bio. Le RMN constitue par conséquent une source de données particulièrement fiables pour les fruits et légumes, à telle enseigne que ce sont les données qui sont utilisées par l’Observatoire de la formation des Prix et des marges des produits alimentaires pour déterminer les niveaux de marges sur les fruits et légumes conventionnels.

• Quelle est la méthodologie employée ?

La marge brute réalisée par un distributeur sur une denrée est la différence entre le prix de vente au consommateur (hors taxe) et le prix auquel le distributeur a acheté la denrée à son fournisseur. Si le RMN publie chaque semaine les prix en rayons des fruits et légumes, en revanche il n’est pas en capacité de connaître les prix d’achats de la distribution puisque ceux-ci sont évidemment confidentiels. C’est pourquoi, nous avons utilisé le prix expédition intégrant les opérations de lavage, de triage, de calibrage et de conditionnement, qui représente donc le mieux ce que coûtent les fruits et légumes à la grande distribution. Pour avoir des chiffres représentatifs sur une année et lisser les fortes variations que connaissent les cours des fruits et légumes, nous avons calculé pour chaque fruit et légume la moyenne arithmétique des cotations hebdomadaires pour le prix expédition et le prix au détail, sur un historique d’un an à partir des derniers chiffres publiés, c’est-à-dire pour la période allant de mai 2018 à mai 2019.

Pour calculer l’impact global des marges de la distribution sur le budget annuel des consommateurs, nous avons multiplié la marge relevée pour chaque fruit et légume, bio et conventionnel, par la consommation annuelle de ce produit pour un foyer français moyen (source : Interfel et Kantar Worldpanel). Nous avons retenu 24 fruits et légumes (abricot, ail, banane, carotte, chou-fleur, clémentine, concombre, courgette, endive, fraise, kiwi, melon, nectarine, oignon, orange, pêche, poire, poireau, pomme, golden, pommes de terre, prunes, raisin, salade, tomate) un échantillon qui représente pas moins de 88 % de la consommation globale de fruits et de légumes. Pour assurer l’homogénéité entre les prix expédition et les prix en rayon, nous n’avons retenu que les cotations nationales, excepté pour les produits pour lesquels les productions françaises sont très limitées ou inexistantes (oranges et clémentines). Pour 8 fruits ou légumes (banane, clémentine, endive, fraise, kiwi, orange, poire, raisin), certains prix bio n’étant pas disponibles à l’un des stades (expédition ou détail), nous avons alors appliqué dans ce cas de figure au produit bio la marge relevée sur le produit conventionnel correspondant -hypothèse favorable à la grande distribution-.

• Les taux de marge sont-ils proches voire identiques en conventionnel et en bio ?

Il faut tout d’abord souligner qu’aucun acteur de la distribution ne s’est aventuré à contester les montants de marges brutes que nous avons calculés, leurs défenses portant essentiellement sur l’idée que les taux de marges en conventionnels et en bio seraient similaires. Selon eux, les montants de marges seraient légitimement plus élevés en bio, puisqu’ils découleraient de l’application mathématique et rigide d’un coefficient unique (le taux de marge) à des prix agricoles plus élevés en bio. Pour mémoire, le taux de marge est un coefficient, exprimé en pourcentage, qui est égal à la marge appliquée par le distributeur sur un produit, divisée par le prix auquel le distributeur a acheté ce produit à son fournisseur.

Or en alimentaire, il n’y a pas un taux de marge unique, mais autant de taux de marge que de produits. Rien qu’en conventionnel, les taux de marge varient énormément d’un fruit et légume à l’autre : allant de 69 % pour la nectarine à 239 % pour l’oignon. Mieux, quand on compare les taux de marge réalisés pour un même fruit ou légume en bio et en conventionnel, il apparaît que, contrairement aux affirmations de la distribution, ils sont généralement très différents. Si par exemple, les taux de marge sont inférieurs en bio par rapport au conventionnel pour l’oignon (73 % contre 239 %), l’ail (89 % contre 187 %) ou encore la carotte et le melon, à l’inverse ils sont supérieurs pour la salade (142 % contre 85 %), la pomme (121 % contre 82 %) ou encore la tomate et le poireau. Il apparaît donc que le taux de marge rigide et automatique est un mythe et qu’au contraire, la logique à l’œuvre dans la détermination des différents taux de marge du bio consiste notamment à pratiquer les taux les plus élevés sur les produits les plus consommés (salade, pomme, tomate).

• Marge ou taux de marge : quel est l’indicateur le plus pertinent ?

Dans le cadre de la gestion d’une entreprise, le taux de marge est un indicateur très utilisé, qui a toute sa logique. Mais pour les consommateurs, l’impact des politiques de marges pratiquées par la distribution se mesure non pas en pourcentages de marge, mais bien en fonction du montant en euros de ces marges. Et l’UFC-Que Choisir n’est pas la seule à privilégier la marge : c’est également le cas de l’Observatoire de la formation des prix et des marges en alimentaire qui depuis de nombreuses années analyse la construction des prix alimentaires et la répartition des marges, non pas sous l’angle des taux de marges, mais bel et bien selon leur montant. Quant à ceux qui estiment qu’il aurait été préférable d’utiliser la marge nette (c’est-à-dire le bénéfice réalisé sur un produit donné), nous ne pouvons qu’être d’accord… si ces données n’étaient pas aussi confidentielles. C’est d’ailleurs pourquoi nous avons demandé que l’Observatoire publie le niveau de marge nette par enseigne et par rayon.

Retrouvez la totalité de l'enquête dans le n° 583 de "Que Choisir" en kiosques actuellement ou sur notre site.

2 Progression en valeur des achats de produits biologiques entre 2016 et 2018 –Les chiffres 2018 du secteur bio – Agence Bio – juin 2019.

3 Entre 2016 et 2018, la part de marché de la grande distribution sur les produits biologiques est passée de 45 % à 49 % - Les chiffres 2018 du secteur bio – Agence Bio – juin 2019.

4 Etude réalisée sur la base des cotations des produits biologiques et conventionnels, publiées sur la période allant de mai 2018 à mai 2019 par le Réseau des Nouvelles des Marchés, pour 24 fruits et légumes représentant 86 % de la consommation des ménages.

5 Le taux de marge est un coefficient égal à la marge appliquée par le distributeur sur un produit, divisée par le prix auquel le distributeur a acheté ce produit

6Si la grande distribution appliquait aux fruits et légumes bio la même marge brute qu’en conventionnel, le budget de la consommation annuelle serait de 536 € (Prix agricole 335 € + marge distribution 173 € + TVA 28 €), soit une économie de 18 %.

7 Relevés de prix réalisés entre janvier et février 2019 sur les sites Internet drive de 3350 magasins de la grande distribution et par les enquêteurs de l’UFC-Que Choisir dans 712 magasins spécialisés.

8 Les détails de notre enquête prix sont disponibles dans le numéro 583 de septembre 2019 du magazine Que Choisir.

9 L’Observatoire de la formation des prix et marges a annoncé le 3 juin 2019 la mise en place d’un groupe de travail sur les produits certifiés issus de l’agriculture biologique pour travailler sur la répartition de valeur pour ces produits.

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