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Antibiotiques

“Je me bats contre un système défaillant”

Philippe Coville, subit les effets indésirables très handicapants d’un antibiotique de la famille des fluoroquinolones. Depuis, il bataille pour que des mesures de réduction du risque soient mises en œuvre, comme cela est fait dans d’autres pays européens.

Philippe Coville
Serait-il acceptable qu’après un accident, on continue de laisser voler et tomber des avions à cause d’un défaut parfaitement identifié ? Évidemment non ! C’est pourtant ce qui se passe dans le domaine du médicament avec les fluoroquinolones. Ces antibiotiques entraînent des effets indésirables graves et ne devraient être prescrits que lorsqu’ils sont indispensables. Or, rien n’est mis en place en ce sens. J’ai découvert cela après avoir moi-même subi les effets délétères de la ciprofloxacine (Ciflox). L’été dernier, une banale infection urinaire se déclare la veille de mon départ en vacances en Italie. Mon médecin me prescrit 14 jours de traitement avec cet antibiotique. 

Au bout de 10 jours, je commence à avoir des douleurs dans un mollet puis les deux, qui remontent dans les genoux, les hanches et même les poignets et les doigts. Impossible de descendre à la plage ni même de marcher sur le plat. Je rentre en France et passe le mois d’août dans un fauteuil. Là, je commence à chercher.

Mener l’enquête

Je tape « fluoroquinolones » dans Google et tombe sur une association suisse dédiée à ses effets délétères, l’Areedf, qui fait un travail d’alerte et de soutien aux victimes. Je me rends sur le site de l’Agence européenne du médicament et découvre que la dangerosité de cette classe de médicaments est en réalité bien connue. Elle a fait l’objet d’un rapport de 80 pages en 2019. Les dégâts sont qualifiés de « durables, invalidants et potentiellement irréversibles ». La commission de pharmacovigilance pour l’évaluation des risques a mené des auditions sur le sujet. Je pleure en écoutant les témoignages. Le message est clair : on devrait réserver ces fluoroquinolones aux problèmes très graves ou quand il n’y a pas d’alternatives. Des restrictions d’utilisation ont d’ailleurs été émises en ce sens au niveau européen. En France, elles ont été diffusées – une seule fois ! – par l’Agence du médicament. Sans effets. Aujourd’hui, le constat est le suivant : 1. Les médecins ne connaissent pas la dangerosité de ce qu’ils prescrivent. 2. Les patients ne sont pas prévenus des dangers qu’ils encourent. 3. Aucune action n’a été mise en œuvre pour former, informer et faire respecter les restrictions d’usage. Le problème est connu, mais rien n’a changé.

En septembre dernier, j’ai écrit à tout un aréopage de professionnels de santé français : l’Association française d’urologie [beaucoup de prescriptions concernent des infections urinaires, ndlr], la Société de pathologie infectieuse, l’Agence du médicament… Aucune réponse concrète ! Depuis, je multiplie les courriers et contacts, en vain. Les effets indésirables continuent et des victimes se retrouvent handicapées parfois au point de perdre leur emploi. Moi-même, à 58 ans, j’étais plutôt en bonne forme. Aujourd’hui, je ne tiens pas debout plus d’une demi-heure. Il faut éviter cela à d’autres.

Restrictions d’usage • La France en retard

Les antibiotiques appar­tenant à la classe des fluoroquinolones provoquent des effets indésirables rares mais graves, qui portent atteinte au système musculo-squelettique (articulations, tendons, muscles) et au système nerveux (fatigue, brouillard cérébral...). Dangereux mais très efficaces, ces médicaments doivent être considérés comme des antibiotiques de « réserve », à n’utiliser que dans certains cas précis. 

En France, cette conception ne semble pas prévaloir. En 2019, la consommation de cette classe était 2 fois supérieure à celle de l’Allemagne et 4 fois supérieure à celle de la Norvège. À ce jour, l’exemple du traitement des infections urinaires chez les hommes est éloquent. Les fluoroquinolones restent le traitement de référence en France. Au Royaume-Uni en revanche, une autre classe de médicaments est recommandée pour les infections urinaires « simples », les fluoro­quinolones n’étant envisagées que pour des atteintes plus graves comme une prostatite. Et même dans ce cas, elles sont assorties de l’alerte suivante : « Prendre en compte la question de la sécurité », ce qui n’est pas le cas chez nous. Fin juillet, un document d’information et de bon usage était enfin préparé par l’Agence du médicament et la Société de patho­logie infectieuse.

Perrine Vennetier

Perrine Vennetier

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