Arnaud de Blauwe
La contre-attaque
Le récent rapport de l’Autorité de la concurrence sur la gestion des autoroutes depuis leur privatisation en 2006 a fait un mal fou aux sociétés concessionnaires. Après avoir encaissé le K.-O., elles tentent de se relever et de faire entendre leurs arguments. Ce n’est pas gagné, mais pas inintéressant non plus !
Si la Cour des comptes a pris l’habitude de critiquer à intervalles réguliers le système autoroutier français, la charge de l’Autorité de la concurrence, en octobre dernier, est plus inédite. Dans un avis consultatif remarqué, l’institution dénonce la « rente » – « ce mot est utilisé plus de 70 fois dans le rapport », note un dirigeant de société d’autoroutes – que les concessionnaires tirent du réseau, privatisé en 2006.
Selon l’Autorité, Vinci, Eiffage et Abertis, les trois principaux groupes autoroutiers, réalisent des bénéfices « exceptionnels », peu en rapport avec le niveau de risques qu’ils prennent. Le gendarme de la concurrence a sorti sa calculette. Depuis la privatisation, le chiffre d’affaires du réseau autoroutier concédé a crû de 25 % (9 milliards d’euros en 2013) et la rentabilité des sociétés a oscillé entre 20 et 24 % soit, sur 100 € de péage, un bénéfice compris entre 20 et 24 €. L’Autorité note également que la hausse des péages a systématiquement augmenté plus vite que l’inflation annuelle enregistrée depuis 2006.
Une réaction en deux temps
Le jour de la publication du rapport, la réaction de l’Association des sociétés françaises d’autoroutes (Asfa) a été bien timide : un communiqué d’une trentaine de lignes seulement se contentant de rappeler que les règles du jeu étaient fixées dans des contrats signés avec l’État. Un texte qui indiquait également que les sociétés exploitantes avaient surtout repris une lourde dette. Bref, on pensait que les concessionnaires « agressés » allaient en rester là et, comme de coutume, attendre que l’orage passe.
Mais cette fois-ci, ils ne sont pas restés inactifs. La contre-attaque s’est organisée. Par exemple, Vinci, le « leader » du secteur, s’emploie à rétablir « sa » vérité. Déjeuners avec des journalistes, colloques, contacts « appuyés » avec les parlementaires… si dans l’ensemble, le groupe ne conteste pas les chiffres contenus dans le rapport de l’Autorité, il ne les interprète pas du tout de la même manière. L’institution laisse entendre que les tarifs du péage ont « explosé » depuis la privatisation ? Peut-être, répond Vinci. Mais encore aurait-il fallu comparer avec la situation antérieure. D’après le groupe, entre 2004 et 2006, la hausse annuelle a été de 2,07 % pour une inflation à 1,79 %. Depuis 2006, la progression est de 1,95 %, pour une inflation annuelle moyenne de 1,56 %. Autrement dit, Vinci note qu’il n’y pas matière à crier au scandale sur ce point.
Les autoroutes ont été bradées lors de leur privatisation ? « Nous avons d’abord acheté une dette », notait Jean Mesqui, le délégué général de l’Asfa, lors d’un colloque organisé cette semaine par Vinci. Et ce même Jean Mesqui de déplorer « l’attaque facile » de l’Autorité de la concurrence à propos des bénéfices : « Il est normal que notre lourd investissement de départ (les sommes versées pour acquérir les concessions, ndlr) soit compensé. Nous ne sommes pas propriétaires du réseau. À la fin des périodes de concession, nous devrons rendre à l’État une infrastructure parfaitement entretenue, ce qui a un coût. Notre seul actif c’est le contrat signé avec lui ! ».
L’État montré du doigt
L’État, justement ! À l’heure où Emmanuel Macron, ministre de l’Économie et de l’Industrie, annonce qu’il va revoir certaines règles ; à l’heure où, dans la foulée du rapport de l’Autorité de la concurrence, une mission parlementaire recommande de dénoncer les contrats de concession, c’est sur lui que les exploitants d’autoroutes tentent de dévier le tir.
La démarche n’est toutefois pas si injuste que cela. En se joignant au concert de critiques qui pleuvent sur les concessionnaires, l’État tente de faire oublier un peu facilement ses responsabilités. Après tout, c’est bien lui qui a négocié les conditions de vente, de gestion et d’exploitation du réseau. C’est bien lui qui, à intervalles réguliers, allonge la durée de concession et autorise les hausses tarifaires annuelles. Et c’est encore lui qui doit vérifier si les conditions d’attribution des travaux effectués sur le réseau sont loyales, que ces opérations ne sont pas trop facilement confiées aux sociétés filiales des groupes autoroutiers.
L’État, une victime bien compatissante. À lui désormais de montrer qu’il veut changer de statut. En devenant un partenaire prioritairement soucieux de défendre l’intérêt public avec fermeté. Quitte à aller au conflit. Mais derrière ses gesticulations, en aura-t-il la volonté et le pouvoir ? Les contrats, qui ont donc apparemment été mal négociés, sont si bien ficelés qu’il sera sûrement difficile de les détricoter pour revenir à un plus juste équilibre profitable, d’abord, à l’usager !