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Autoroutes

La rente des concessionnaires dénoncée

Dans un avis non contraignant, l’Autorité de la concurrence s’interroge sur « la rentabilité exceptionnelle des sociétés d’autoroutes ». Elle propose treize recommandations « choc ».

Une nouvelle volée de bois vert s’abat sur les sociétés d’autoroutes ! Régulièrement épinglées par la Cour des comptes, c’est cette fois-ci l’Autorité de la concurrence qui vient de leur administrer un sévère coup de bâton.

Saisie par la Commission des finances de l’Assemblée nationale, elle a rendu un avis, non contraignant, sur le secteur autoroutier. Le réseau à péages (soit environ 9 000 km) a été privatisé en 2006 et son exploitation confiée à trois géants du BTP : Vinci, Eiffage et Abertis. En 2013, le chiffre d’affaires du réseau autoroutier concédé s’est élevé à près de 9 milliards d’euros, soit une hausse d’environ 25 % depuis sa privatisation.

Et le président de l’Autorité de la concurrence, Bruno Lasserre, a rapidement mis les points sur les « i » lors de la présentation à la presse de cet avis. « La rentabilité des sociétés d’autoroutes qui oscille entre 20 et 24 % est exceptionnellement… exceptionnelle, a-t-il déclaré. Dans une économie de marché, c’est énorme. Évidemment, nous ne sommes pas là pour condamner l’économie de marché. Mais les profits exagérés sont légitimes s’ils sont associés à des coûts et des risques ».

Justement, en défense, les concessionnaires assurent qu’ils en prennent beaucoup. Prix des péages, aléas du trafic, poids des emprunts : autant de contraintes fortes qui pèsent sur eux.

Mais cette ligne de défense, l’Autorité de la concurrence l’enfonce facilement. Le risque du prix ? Il est quasiment inexistant du fait des règles de fixation des tarifs du péage : leur augmentation annuelle doit être d’au moins 70 % de l’inflation, le montant obtenu étant abondé par des hausses – «  très généreuses », selon l’Autorité – prévues dans les contrats de plan signés pour cinq ans avec l’État. Non sans une certaine ironie, le gendarme de la concurrence note d’ailleurs que les péages ne peuvent qu’augmenter puisque la réglementation sur les tarifs n’évoque que des hausses. En cas d’inflation négative, les sociétés d’autoroutes n’ont donc pas à baisser le coût du péage !

Quant au risque trafic, il est bien limité, estime l’Autorité. Sur son aire géographique, une autoroute a le monopole. Elle n’est pas concurrencée par une autre. De plus, jusqu’à 2030, les études convergent pour évaluer à 0,7 % par an la hausse du trafic sur les autoroutes.

Pour ce qui est des risques liés aux lourds emprunts contractés pour les investissements (acquisition du réseau, construction, travaux…), là encore, l’Autorité de la concurrence juge l’argument peu recevable. « La dette est importante, admet Bruno Lasserre. Mais c’est un choix stratégique des sociétés. Elles ne recourent pas à l’autofinancement pour leurs opérations mais à l’emprunt parce qu’elles peuvent, notamment, bénéficier de conditions fiscales avantageuses. » Une politique qui profite directement aux actionnaires des sociétés. L’Autorité de la concurrence a ainsi calculé que de 2006 à 2013, 136 % du résultat net (bénéfice après impôts et charges) leur a été distribué sous forme de dividendes.

Et les critiques ne s’arrêtent pas là ! L’Autorité s’interroge sur « les modalités d’attribution contestables » des travaux. Rappelant que les concessionnaires sont également des entreprises de BTP, elle note que les mécanismes d’appels d’offres mis en place peuvent favoriser celles-ci au détriment de sociétés qui ne leur appartiennent pas. À l’arrivée, ce ne sont pas toujours les offres les plus avantageuses et pertinentes qui sont retenues. Le tout se déroulant sous le regard passif des pouvoirs publics…

Le réquisitoire est implacable. À lire son avis, on comprend que l’Autorité a été quelque peu effarée par les conditions (et concessions) ultra favorables accordées aux exploitants autoroutiers. Les dindons de la farce ? L’État, le contribuable et l’usager qui manifestement paie trop cher le droit de rouler sur autoroutes.

Objectif : encadrer plus efficacement les activités des sociétés d’autoroute

Aussi, l’Autorité propose un traitement de choc pour rééquilibrer la situation, sous la forme de 13 recommandations classées en trois catégories.

L’Autorité préconise tout d’abord une meilleure régulation du secteur autoroutier, ce qui passe, entre autres, par la création d’une autorité du transport terrestre, l’introduction dans les contrats signés avec l’État de clauses de réinvestissement et de partage des bénéfices ou encore une renégociation des règles de fixation du péage.

Ensuite, l’Autorité plaide pour un renforcement de la concurrence entre prestataires pour la réalisation de travaux sur le réseau, ce qui doit se traduire par un abaissement du seuil de mise en concurrence de 2 millions d’euros, fixé actuellement à 500 000 €. Dernière série de mesures à prendre, profiter du plan de relance autoroutier en cours de négociation, et soumis à autorisation de la Commission européenne, pour revoir dans un sens plus favorable à l’État et à l’usager les règles fondamentales qui encadrent le secteur autoroutier. L’une des mesures phares : arrêter d’allonger en permanence la durée des concessions en compensation des investissements consentis par les exploitants sur le réseau.

Les pistes sont tracées. Réaliste, l’Autorité de la concurrence sait que leur exploration sera difficile. « Les contrats sont très bien ficelés et il y a un risque juridique à changer les règles du jeu », reconnaît Bruno Lasserre. Il faut également une réelle volonté politique pour s’engager dans de telles directions, face à un lobby autoroutier que le président de l’Autorité qualifie de « très puissant ». Pas sûr, dans ces conditions, que la révolution autoroutière soit pour demain.

Arnaud de Blauwe

Arnaud de Blauwe

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