Fabienne Maleysson
Colorant E171Les médicaments aussi !
Omniprésent dans les médicaments, le colorant E171 (dioxyde de titane), soupçonné de provoquer des troubles du système immunitaire et des lésions précancéreuses de l’intestin, ne concerne pas uniquement les amateurs de confiseries. L’UFC-Que Choisir saisit les pouvoirs publics pour que le risque représenté par la présence de cet additif potentiellement nocif dans un très grand nombre de médicaments soit évalué.
Les produits alimentaires ne sont pas les seuls à pouvoir contenir du E171 ou dioxyde de titane (TiO2), et de loin. Bien davantage que dans vos placards de cuisine, c’est dans votre armoire à pharmacie qu’il se cache. Faites le test en consultant les notices de vos comprimés, gélules et autres sachets, ce colorant est omniprésent ! Les chiffres obtenus en consultant la base de données recensant les médicaments mis sur le marché en France sont vertigineux : plus de 4 000 médicaments contiennent le colorant E171.
Quelques exemples (1) parmi les plus consommés : Doliprane, Dafalgan, Efferalgan et les génériques de paracétamol, Advil et les génériques d’ibuprofène, Spasfon, Augmentin et génériques d’amoxicilline, Tahor et Crestor (statines), médicaments à base de metformine (antidiabétiques), d’omeprazole (contre les ulcères et le reflux gastro-œsophagien), de losartan (antihypertenseurs). Bref, l’additif se niche partout, qu’il s’agisse de spécialités prises en automédication par tout un chacun ou de traitements quotidiens pour malades chroniques. Sans compter les compléments alimentaires : une recherche sur un site de parapharmacie remonte 650 résultats qui concernent la plupart des grandes marques (Arkopharma, Forte Pharma, Omega Pharma, Juvamine, Oenobiol, Naturactive, Solgar, Pileje, etc.) et des secteurs (minceur, fatigue, stress, ménopause, confort articulaire, etc.).
Les nanoparticules en cause
La récente étude de l’Inra (Institut national de la recherche agronomique) qui évoque la toxicité du TiO2 utilisé dans les produits alimentaires l’attribue au fait qu’il se présente en partie sous forme de nanoparticules, des particules infiniment petites aux propriétés et aux potentialités toxiques bien différentes de celles de plus grande taille. C’est là le cœur du problème. Le dioxyde de titane utilisé dans les médicaments est-il lui aussi en partie nanoparticulaire ? Apparemment, oui. « Nous avons commandé la poudre donnée aux rats chez un fournisseur d’additifs pour l’industrie alimentaire, précise Éric Houdeau, directeur de recherche à l’Inra, qui a piloté cette étude. Je ne peux pas être affirmatif mais tout laisse à penser que c’est le même type de poudre qui est utilisée par les laboratoires pharmaceutiques. » La réglementation européenne précise d’ailleurs que les colorants autorisés dans les médicaments doivent obéir aux mêmes spécifications que ceux employés par l’industrie agroalimentaire et, sur les notices, le dioxyde de titane emprunte son nom de code à l’additif E171. A priori, il s’agit donc de la même chose.
Un des leaders du marché des ingrédients à destination de la pharmacie, Colorcon, a déjà tenté de répondre aux précédentes mises en cause du dioxyde de titane en assurant que ce colorant n’est jamais nanoparticulaire car à cette petite taille, le TiO2 ne possèderait pas de propriétés colorantes et opacifiantes. Un plaidoyer pro domo peu convaincant : en avril 2013, la firme annonçait que l’Association internationale des fabricants de colorants avait entrepris une vaste étude pour démontrer que le dioxyde de titane commercialisé par ses membres ne contenait pas de « nanos ». Les conclusions se font toujours attendre… Et dans la poudre utilisée par les chercheurs de l’Inra, bel et bien destinée à colorer des produits, il y avait 45 % de nanoparticules.
Dangerosité à confirmer
Si risque il y a, il concerne donc aussi l’absorption via les médicaments. Ce n’est néanmoins pas une raison suffisante pour stopper un traitement utile et efficace (2). La quantité de dioxyde de titane absorbée par ce biais est probablement limitée car il ne s’agit que de l’excipient de comprimés, gélules ou sachets qui eux-mêmes ne pèsent pas bien lourd. Par ailleurs, si l’étude menée par l’Inra alourdit les soupçons, elle ne constitue pas à ce stade une preuve de dangerosité chez l’homme.
C’est l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire) qui doit désormais évaluer cette toxicité. Vaste question car les recherches en la matière sont extraordinairement complexes, longues et coûteuses. Les ministères de la Santé, de l’Économie et de l’Agriculture ont annoncé le 20 janvier qu’ils saisissaient l’Agence mais deux semaines plus tard, cette dernière n’avait toujours pas reçu de courrier officiel précisant les contours de cette saisine. L’UFC-Que Choisir demande donc aux pouvoirs publics que la présence de dioxyde de titane dans les médicaments soit prise en compte par l’Anses dans son évaluation.
Si le moindre doute subsistait sur l’innocuité de ce composé, il faudrait songer à une interdiction, non seulement dans les aliments mais aussi dans les médicaments. Le rôle du dioxyde de titane n’est qu’esthétique et même si l’apparence d’un médicament facilite l’observance et participe de l’effet placebo qui contribue réellement à l’efficacité d’un traitement, les laboratoires doivent pouvoir trouver des alternatives totalement sûres.
(1) La présence de dioxyde de titane peut dépendre des formes et dosages des médicaments en question.
(2) Ce qui est rarement le cas des compléments alimentaires, voir notre enquête.