ENQUÊTE

Aliments, médicaments, maquillage…Chassez les nanoparticules !

De très nombreux produits du quotidien intègrent des nanoparticules, dont les effets sur l’environnement et la santé interrogent. Voici comment les éviter.

Pensez aux fourmis qui réussissent à soulever plusieurs dizaines de fois leur poids, ou au fil de l’araignée capable, dans certains cas, de supporter celui de petites chauves-souris. Leur point commun ? Un volume minuscule, qui contribue à leurs capacités exceptionnelles. Les substances désignées par le terme « nanos » sont dans le même cas. Les nanotubes de carbone, jusqu’à 50 000 fois plus fins qu’un cheveu, s’avèrent beaucoup plus résistants que l’acier, par exemple. Les particules nanoscopiques de dioxyde de titane, elles, permettent aux crèmes solaires de filtrer les UV tout en restant invisibles. Pratique !

Ces substances, fabriquées par millions chaque année, jouent le rôle de colorants, d’antiagglomérants, d’antibactériens…

Mais il y a le revers de la médaille. Lorsqu’elles sont ingérées, inhalées ou en contact avec des muqueuses, les nanos, en raison de leur taille, peuvent pénétrer dans les cellules de l’organisme. Et, lorsque ce dernier n’arrive pas à les dégrader, y provoquer des dégâts. En attendant d’en savoir plus sur les effets de chacune d’elles, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation (Anses) recommande donc clairement de « favoriser les produits dépourvus de nanomatériaux », afin de « limiter l’exposition des travailleurs et des consommateurs […] et d’éviter la dispersion de ces particules dans l’environnement ».

Cette alerte n’empêche pas des millions de tonnes de nanos d’être fabriquées volontairement chaque année dans le monde. Elles y jouent le rôle d’antiagglomérants, de colorants ou encore d’antibactériens dans des denrées alimentaires, des couches, du maquillage… En France, plus de 300 catégories différentes ont déjà été recensées.

L’évaluation du risque pose question

Certes, toutes ces substances ne se présentent pas en permanence et totalement sous forme nanoparticulaire. Certaines demeurent parfois, en partie au moins, à une échelle plus grande, a priori moins problématique, à l’instar du dioxyde de titane de dimension micrométrique, toléré comme colorant dans les dentifrices. Leur autorisation est de plus soumise à une analyse du risque par les agences européennes.

Cependant, la fiabilité de cette dernière pose question. « L’évaluation du danger pour la santé et l’environnement, telle que pratiquée pour des substances classiques, n’est pas adaptée aux propriétés très particulières des nanos », juge notamment Aurélie Niaudet, experte à l’Anses. Sans compter qu’en Europe, plusieurs années séparent quasi systématiquement la reconnaissance d’un problème de l’interdiction effective d’un composé. Un délai durant lequel les consommateurs non avertis, les travailleurs manipulant les produits ainsi que l’ensemble de la faune et de la flore y restent donc exposés.

C’est le cas du dioxyde de titane, utilisé en tant que colorant blanc depuis près d’un siècle. Dès 2016, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) admettait ne pas disposer de données suffisantes permettant de garantir son innocuité. Cependant, il a fallu patienter jusqu’en mai 2021 pour qu’elle finisse par reconnaître officiellement un risque, et ce n’est qu’en août 2022 que la mise sur le marché de denrées contenant cet additif a été prohibée (la France avait pris de l’avance en les proscrivant dès 2020). Quant à son usage comme colorant dans les médicaments ou comme antibactérien dans les matériaux au contact de produits alimentaires, il est encore permis !

Les nanoparticules de silice (ou dioxyde de silicium), elles, restent autorisées dans presque toutes sortes de références, y compris en tant qu’additif dans l’alimentaire. Pourtant, diverses études suggèrent plusieurs méfaits sur la santé (perturbation du microbiote intestinal, augmentation de l’intolérance au gluten…). L’Efsa a reconnu, en 2017, un « manque de données pour réaliser l’évaluation du risque ». Et le Comité scientifique pour la sécurité des consommateurs, chargé de conseiller la Commission européenne, évoquait dès 2021 sa crainte d’un « risque pour la santé du consommateur » lié à leur présence dans nombre de cosmétiques.

Ces exemples – et il en existe plein d’autres – confortent la recommandation de l’Anses d’éviter les produits comportant des nanoparticules. Ce qui est plus facile à dire qu’à faire. La composition n’est pas toujours précisée sur les emballages et, quand elle y figure, encore faut-il savoir repérer les substances nanos parmi les longues listes de mots latins et de noms de code indéchiffrables. En principe, lorsqu’il s’agit d’additifs alimentaires et d’ingrédients cosmétiques, la mention « [nano] » doit être présente sur l’étiquette.

Mais, dans les faits, cette obligation est rarement respectée. En 2018, Que Choisir avait réalisé des analyses sur 14 références qui ne donnaient nulle part cette indication. Pourtant, nous avions détecté des nanos dans chacune d’entre elles… Le même constat ahurissant était dressé par les services de la répression des fraudes, en 2017, et par Avicenn, association de veille et d’information sur les nanosciences, en 2022.

Commission et Parlement s’opposent

« Les fabricants jouent sur la définition des nanomatériaux, considérant que si l’objet n’est pas en majorité ou volontairement présent à l’état nano, alors ce n’en est pas un », explique Mathilde Detcheverry, d’Avicenn. « En 2022, la Commission européenne a publié une recommandation de définition qui va en partie dans leur sens, mais les députés de l’Union ont refusé qu’elle soit intégrée dans le règlement européen sur les produits alimentaires, et il devrait en être de même à l’avenir concernant celui sur les cosmétiques », poursuit la spécialiste.

Surtout, « cette recommandation de définition ne veut rien dire sur le plan sanitaire », pointe Aurélie Niaudet, de l’Anses. Elle ajoute : « Ce n’est pas parce qu’une nanoparticule apparaît en petite quantité qu’elle n’est pas préoccupante pour la santé. » Or, c’est bien sur le règlement européen que s’appuient actuellement les marques Gallia, M&M’s et Cup Noodles ainsi que les fabricants de Phytobronz et Bion3 Junior pour justifier l’absence de mention « [nano] » sur l’étiquette de leurs articles (lire l'encadré ci-dessous).

En l’état, éviter totalement les nanoparticules se révèle donc impossible. Néanmoins, notre panorama ci-dessous des références qui en contiennent devrait vous aider à limiter, au moins un peu, votre exposition… en attendant que les autorités s’emparent plus sérieusement du problème.

Compléments alimentaires et médicaments

Des milliers de compléments alimentaires et de médicaments contiennent des substances reconnues ou suspectées par l’Agence de sécurité sanitaire française (Anses) de se présenter, au moins parfois, sous forme nanoparticulaire. Et elles semblent souvent y jouer un rôle non essentiel (antiagglomérant, colorant…).

Il nous a fallu moins de 5 minutes pour trouver, en pharmacie, des produits en comportant : le Bion3 Junior, qui renferme du carbonate de calcium et de l’oxyde de zinc, le Phytobronz, qui incorpore des oxydes de fer, ou encore le Naproxène, qui intègre du dioxyde de titane. Ajoutons qu’en 2022, Avicenn, l’association de veille sur les nanos, avait détecté des nanoparticules de silice dans le seul complément alimentaire qu’elle avait testé (des gélules de vitamine C de la marque Solgar).

 Comment limiter son exposition ? 

Examinez la liste d’ingrédients des compléments alimentaires pour échapper au moins aux substances nanos les plus fréquentes. Plus généralement, n’en prenez pas en dehors de toute prescription médicale. La plupart d’entre eux n’ont pas démontré leur utilité. On peut consulter en ligne, sur la base de données publique des médicaments, les excipients de chacune des formes disponibles d’une même spécialité, afin d’éviter les nanos les plus courantes. Mais il faut avoir du temps. Dans tous les cas, n’abandonnez jamais un traitement en cours. Les risques seraient bien plus élevés que le bénéfice d’une moindre exposition au dioxyde de titane, par exemple.

Produits pour bébés

L’organisme des tout-petits étant particulièrement sensible, il est troublant de découvrir que les laits infantiles renferment le plus souvent des substances reconnues ou suspectées comme nanos par l’Agence de sécurité sanitaire française (Anses), telles que du carbonate de calcium ou du phosphate de calcium.

En ce qui concerne les couches, « certaines étapes des procédés de fabrication mettraient en œuvre de la silice, dont une partie sous forme nanoparticulaire », écrivait l’Anses en 2019 ; à l’instar des changes de marque Pommette, même si son fabricant assure qu’il cessera d’en utiliser dès le mois de septembre.

 Comment limiter son exposition ? 

Si la liste exhaustive des ingrédients est toujours indiquée sur les boîtes de laits en poudre pour bébés, ce n’est pas le cas sur les emballages des couches. Impossible donc d’écarter le risque de présence de nanos dans ces dernières : aucun label, à notre connaissance, ne garantit leur absence.

Cosmétiques

Maquillage, crèmes hydratantes ou solaires, dentifrices… « Il existe des dizaines de substances nanoparticulaires différentes, dans des milliers de cosmétiques », pointe Mathilde Detcheverry, de l’association Avicenn. Et pour cause, « elles y jouent parfois un rôle essentiel, de colorant ou d’irisant, pour lequel il n’existe pas à ce jour d’alternative satisfaisante ».

On y trouve même fréquemment des composés non autorisés, tels que les oxydes de fer ou le dioxyde de titane nanométrique, utilisés comme colorants. En 2022, Avicenn a détecté au moins une de ces molécules dans chacun des 6 soins cosmétiques qu’elle a testés (et notamment ceux en photo ci-dessus). Même triste constat pour les services de la répression des fraudes qui, en 2021, avaient décelé des nanos interdites dans 18 des 20 produits de maquillage analysés.

 Comment limiter son exposition ? 

La tâche est d’autant plus ardue que ces substances se cachent parfois derrière des noms de code méconnaissables, tels que CI 77891 pour le dioxyde de titane. Le label Cosmos, sur de nombreux produits dits « bios », est censé en limiter un peu l’usage, mais sa fiabilité interroge : il y a deux ans, Avicenn a repéré des nanoparticules prohibées dans un baume à lèvres porteur de ce label.

Aliments bruts

On n’imagine pas une seconde que ces aliments en comportent, et pourtant « il est possible que des nanos se retrouvent dans des fruits, des légumes ou des céréales », affirme Bruno Lamas, chercheur en toxicologie alimentaire à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae). De fait, plusieurs produits phytosanitaires « comprennent des coformulants largement répandus […] pouvant entrer dans la définition française de “substance à l’état nanoparticulaire” », reconnaît Phyteis, le lobby français des fabricants de pesticides.

Et ce n’est pas tout. « Certains engrais renferment également des nanos, puisqu’elles aident notamment à apporter plus efficacement les nutriments jusqu’aux racines des plantes », poursuit Bruno Lamas. Ces dernières finissent-elles dans nos aliments et l’eau que nous buvons ? Aucun des spécialistes que nous avons interrogés n’avait connaissance de données sur la question. « Les procédés de traitement de l’eau permettent peut-être d’éliminer ces polluants », évoque seulement Aurélie Niaudet, experte à l’Agence de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses).

La viande aussi est susceptible d’être contaminée. Certaines nanos issues des contenants dans lesquels cette dernière est conservée seraient en mesure d’y migrer. En 2022, Avicenn, l’association de veille et d’information sur les nanosciences, avait détecté du dioxyde de titane dans le buvard sur lequel étaient emballées des escalopes de poulet Le Gaulois. D’autres encore pourraient s’immiscer dans la chair des bêtes à travers l’alimentation des animaux d’élevage. Divers additifs potentiellement nanos y sont autorisés, comme le dioxyde de silicium, l’oxyde de zinc ou les oxydes de fer.

 Comment limiter son exposition ? 

La tâche semble malheureusement impossible… sauf à cultiver soi-même ses fruits, légumes et céréales, et à démarrer un élevage de poules. Le label bio ne garantit pas l’absence de nanos, ni dans les pesticides et engrais, ni dans les additifs utilisés en alimentation animale, ni encore dans les emballages.

Aliments transformés

Carbonate de sodium (E500) ou de calcium (E170, présent dans les M&M’s), oxydes de fer (E172), silice (E551, repérée dans le cappuccino Maxwell House et les nouilles instantanées Cup Noodles en photo ci-dessus), phosphates de calcium (E341)… de nombreux additifs reconnus ou suspectés de se présenter parfois à l’état nanoparticulaire par l’Agence de sécurité sanitaire française (Anses) sont employés dans le secteur agroalimentaire. Et il ne suffit malheureusement pas d’éviter les produits qui comportent ce type de substances dans leur liste d’ingrédients pour s’assurer de ne pas en ingérer.

En 2022, l’association Avicenn a analysé 6 denrées (pâte feuilletée, soupe déshydratée…) dont aucune ne mentionnait [nano] sur l’étiquette. Or, elle a détecté des nanoparticules de silice dans chacun d’entre eux ! Cinq ans plus tôt, les services de la répression des fraudes avaient également recherché des nanos dans 73 articles n’indiquant pas la présence de cette catégorie d’additifs, et en avaient pourtant décelé dans 29.

Cette situation, à première vue choquante, s’explique de plusieurs manières. Tout d’abord, certaines substances ajoutées aux aliments bénéficient du statut d’additif « de transfert » : comme ils sont apportés involontairement par l’un des ingrédients de la recette, les fabricants ne sont pas tenus de les afficher sur l’emballage. C’est, par exemple, le cas du dioxyde de silicium pouvant être adjoint aux nitrites incorporés dans certains jambons. Ensuite, les composés utilisés lors de la fabrication d’un produit sont susceptibles d’y laisser des traces de façon non intentionnelle, tout en étant exemptés de l’obligation d’étiquetage, à l’instar de la silice qui permet de clarifier le vin.

Enfin, les substances que l’on trouve dans les emballages alimentaires (notamment le dioxyde de titane, pourtant interdit en tant qu’additif) et celles intégrées dans des aliments qui n’arborent aucune liste d’ingrédients (comme les boissons alcoolisées qui sont parfois colorées par des oxydes de fer) peuvent également contaminer les aliments sans que le consommateur en soit informé.

 Comment limiter son exposition ? 

Cuisiner maison et, quand on consomme des produits transformés, éviter ceux présentant de longues listes d’ingrédients aux noms compliqués. Mieux vaut, en outre, privilégier ceux porteurs du label bio : il limite l’usage d’additifs et d’auxiliaires technologiques.

Hygiène féminine

En 2022, l’association Avicenn a trouvé des nanoparticules d’argent antibactériennes dans des culottes menstruelles Nana (la marque s’est par la suite engagée à retirer cette substance de son produit). En 2019, un rapport de l’Agence française de sécurité sanitaire (Anses) révélait l’emploi de silice dans la fabrication de protections intimes.

Notre enquête a permis de confirmer que les serviettes Labell (Intermarché) sont notamment concernées, même si son fabricant promet qu’il arrêtera d’en utiliser dès ce mois de septembre.

 Comment limiter son exposition ? 

À partir du 1er janvier 2025, en France, tous les composants devront être indiqués sur l’emballage des protections périodiques. Les consommatrices pourront alors chercher les produits ne contenant ni silice, ni argent, ni dioxyde de titane… en espérant qu’ils existent.

Et aussi…

Brosse à dents antibactérienne, caleçon antiodeur, rideau purificateur d’air… l’association Avicenn a détecté des nanoparticules dans des articles très variés. Et, si certaines catégories de produits n’ont encore jamais été analysées (comme ceux dédiés à l’entretien de la maison), il est loin d’être exclu que des nanos s’y cachent. Afin de limiter son exposition comme celle des travailleurs qui confectionnent ces références, et de protéger l’environnement, la solution la plus efficace est donc d’éviter la surconsommation et de privilégier les références simples, fabriquées à partir de matières naturelles.

Rappelons enfin que le trafic automobile et le tabac sont des sources majeures de substances nanoparticulaires, qui constituent de fait des pistes d’action prioritaires pour réduire son exposition et celle de l’ensemble du vivant.

Comparatif

Évaluation Additifs alimentaires

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Domitille Vey

Domitille Vey

Rédactrice technique

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