par Fabrice Pouliquen, Yves Martin, Noé Bauduin
ÉnergieQue valent les offres d’électricité dédiées aux véhicules électriques ?

Charg’Heures de TotalEnergies, Elec’Car d’Engie, Octopus Go… De plus en plus de fournisseurs d’électricité lancent des offres dédiées aux propriétaires de voiture électrique. Avec des heures creuses, voire « super-creuses », à prix cassés. On les a comparées.
Si les ventes ont baissé ces derniers mois, le parc de véhicules électriques continue tout de même de croître en France. L’Association nationale pour le développement de la voiture électrique (Avere), qui tient des comptes réguliers, dénombrait 1,386 million de véhicules 100 % électriques au 31 décembre 2024, et même 2,1 millions en comptant les hybrides rechargeables.
Cela représente un nombre non négligeable de Français passés à la mobilité électrique que les fournisseurs d’énergie sont tentés d’attirer. EDF, dans ses offres au prix de marché, et TotalEnergies ont dégainé les premiers. Cinq autres ont suivi : Engie, Ilek, Ekwateur, Alterna et Octopus.
Cette liste devrait s’étoffer encore. Mathias Laffont, délégué général adjoint à l’Union française de l’électricité (UFE), l’association professionnelle du secteur, y intègre même d’ores et déjà les contrats en « heures pleines-heures creuses (HP-HC) » que proposent tous les fournisseurs. Contrairement à l’option de base, qui ne comprend qu’un seul prix du kilowattheure (kWh), quel que soit le moment de la journée, l’option HP-HC en distingue deux : l’un plus élevé en heures pleines, qui correspondent aux moments où la tension sur le réseau électrique est la plus forte, et l’autre bien plus intéressant, en heures creuses, dans la situation inverse.
En finir, au moins, avec l’option de base
Pour Mathias Laffont, passer à un contrat avec option HP-HC devrait quasiment être un réflexe lorsqu’on acquiert une voiture électrique. Certes, il y a des exceptions – lorsque, par exemple, la recharge du véhicule est faite plus souvent au travail qu’à domicile. Mais, globalement, nos calculs vont dans le sens du directeur général de l’UFE. Nous avons comparé les coûts de recharge d’un véhicule électrique suivant qu’on choisit l’option de base ou l’option HP-HC du tarif réglementé de vente d’électricité (TRVE), l’offre réglementée par les pouvoirs publics, qui sert de boussole au reste du marché. Nous avons réalisé ces simulations avec 2 véhicules électriques : une Renault Zoe dotée d’une batterie de 52 kWh, citadine typique, et une Tesla Modèle 3, un plus gros gabarit, affichant une autonomie standard (50 kWh). Dans les deux cas, nous avons supposé que leur propriétaire effectuait 1 000 km par mois, nécessitant 5 recharges mensuelles pour la Zoe et 3 pour la Tesla.

Le propriétaire d’une Zoé, s’il recharge toujours sa voiture en profitant au maximum des heures creuses (un « bon élève » !), économisera 2,94 € par mois (38,99 € contre 41,93 €) en passant de l’option de base du TRVE à l’option HP-HC. Le gain sera même de 6,65 € s’il s’équipe d’une borne dédiée (wallbox) permettant un pilotage plus fin de la recharge. Le propriétaire d’une Tesla est gagnant aussi : il économise 1,83 € par mois s’il se branche sur une prise simple et 3,84 € avec une wallbox. Enfin, même s’ils rechargent leur voiture en n’étant attentifs aux heures creuses que 2 fois sur 3 (« élève moyen »), l’option HP-HC reste la plus intéressante économiquement (voir le profil « élève moyen » dans le graphique ci-dessous).
Heures creuses… et « super-creuses »
Qu’apportent en plus ces offres proposées par certains fournisseurs aux propriétaires de véhicule électrique ? Elles se classent en trois catégories.
- Les premières conservent le modèle classique HP-HC défini par les gestionnaires de réseau (Enedis le plus souvent). Mais, pour séduire les propriétaires de voiture électrique, le prix en heures creuses est encore plus bas. Par exemple, le tarif HC tombe à 0,131 €/kWh dans l’offre Octopus Go contre 0,1657 €/kWh dans l’offre Octopus classique. Attention : ces fournisseurs le disent moins, mais pour les heures pleines (soit 16 heures de la journée), le tarif grimpe ; il est de 0,2215 €/kWh dans l’offre Octopus Go contre 0,2093 €/kWh dans l’offre classique. Les offres d’EDF (EDF Vert Électrique), d’Ekwateur et d’Engie (Elec’Car) sont aussi construites sur ce modèle.
- D’autres fournisseurs compliquent la donne. Au découpage HP-HC, ils ajoutent des heures « super-creuses » pendant lesquelles s’applique un troisième tarif, plus bas encore que celui des heures creuses. TotalEnergies (Charg’Heures) et le fournisseur Ilek (Offre voiture électrique) suivent ce modèle. Dans ces deux offres, la journée comprend 16 heures pleines. Le reste est partagé entre 4 heures creuses et 4 heures « super-creuses ». Ilek les situe entre 3 h et 7 h et TotalEnergies entre 2 h et 6 h. Sur ces créneaux, le tarif tombe à 0,1140 €/kWh chez le premier et à 0,1310 €/kWh chez le second. Difficile de trouver plus compétitif. Mais attention, là encore : ces fournisseurs compensent ailleurs. Chez Ilek, par exemple, le tarif de l’abonnement est très élevé : 34,24 € par mois pour une puissance souscrite de 9 kVA, contre 18,01 € dans l’option HP-HC du TRVE. Pas loin du double !
- Enfin, l’offre d’Alterna se classe à part. Si elle découpe, elle aussi, la journée en heures pleines, creuses et « super-creuses », ces plages horaires changent en fonction de la saison. En « hiver » (1er novembre-31 mars), les heures creuses tombent entre 11 h et 18 h et les « super-creuses » entre 23 h et 7 h. En « été » (1er avril-31 octobre), les creuses tombent la nuit (23 h-7 h) et les « super-creuses » le jour (11 h-18 h). Autre particularité : si on additionne les creuses et « super-creuses », 15 heures par jour sont facturées à un prix du kilowattheure « au rabais ». C’est plus qu’ailleurs. En revanche, le tarif est de 0,1875 €/kWh en heures « super-creuses » l’hiver et de 0,1613 €/kWh. C’est bien plus que chez TotalEnergies (0,1310 €/kWh) ou Ilek (0,1140 €/kWh).
Qu’on se branche sur une prise ou une wallbox, qu’on ait une Zoe ou une Tesla, qu’on soit un élève « bon » ou « moyen », l’offre d’Octopus arrive toujours en tête de nos simulations. C’est celle qui permet le plus d’économie sur la recharge d’un véhicule comparée au TRVE. Le gain est de 14,68 € par rapport à l’option de base. À quelques centimes près, l’offre Vert Électrique d’EDF est tout aussi intéressante. Et, à condition d’être attentif (c’est-à-dire de recharger en veillant à tirer le meilleur profit des heures « super-creuses »), celle d’Ilek est intéressante aussi. À l’inverse, l’offre d’Alterna s’est révélée systématiquement moins intéressante que l’option HP-HC du TRVE. D’autres peuvent l’être aussi dans certains cas de figure : lorsqu’on se branche sur une prise classique, par exemple, ou qu’on n’est guère attentif (profil « élève moyen »). Si on cumule les deux, d’ailleurs, l’offre d’Engie apparaît même moins compétitive que l’option de base du TRVE.

Ne pas regarder que la voiture
Mais comparer ces offres sur le seul critère du coût de la recharge de sa voiture est trop restrictif. D’ailleurs, si Engie et EDF demandent à la souscription une preuve de la possession d’un véhicule électrique ou hybride rechargeable, d’autres ne le font pas. « Nous posons la question, mais nous ne demandons pas de preuves », indiquent Antonin Marcault, directeur général d’Alterna, et Caroline Carret, cheffe de projet Mobilité électrique chez Octopus.
Quoi qu’il en soit, si ces offres ont été pensées pour les propriétaires de véhicule électrique, disent ces fournisseurs, on peut profiter des tarifs bas du kilowattheure aux heures creuses, voire « super-creuses », pour lancer d’autres équipements électriques, en particulier ceux programmables : machine à laver, lave-vaisselle, ballon d’eau chaude…
Retour à nos tableaux. Nous avons défini 3 profils de foyer : la maison tout électrique (15 000 kWh de consommation annuelle), l’appartement tout électrique (8 000 kWh) et la maison chauffée au gaz (3 000 kWh). Dans tous les cas, nous avons considéré que les occupants parvenaient à déporter au moins 35 % de l’ensemble de leur consommation électrique en dehors des heures pleines.
Le classement change alors, puisque c’est l’offre d’Alterna qui, globalement, permet de faire le plus d’économies. Le gain est d’environ 50 € par mois pour la maison tout électrique par rapport à l’option HP-HC du TRVE. Un bémol tout de même : ce fournisseur modifie les plages horaires suivant les saisons, ce qui demande plus de vigilance pour tirer pleinement profit de l’offre. D’avril à octobre, les heures « super-creuses » tombent en pleine journée, lorsqu’on est rarement chez soi.
Des offres plus classiques – en tout cas moins casse-tête ! – se révèlent aussi intéressantes. Celle de TotalEnergies (Charg’Heures) en particulier. Un foyer tout électrique rechargeant sa voiture sur une wallbox économisera 35 € par mois par rapport, toujours, à l’option HP-HC du TRVE. L’offre Ilek vaut aussi le coup lorsqu’on a une consommation d’électricité importante qui permet de compenser le coût de l’abonnement mensuel. En revanche, pour une consommation annuelle de 3 000 kWh (notre profil de maison chauffée au gaz), elle se révèle moins compétitive que le TRVE, y compris en option de base. C’est aussi le cas de l’offre d’Engie, cette fois-ci dans la majorité de nos simulations. Pas si étonnant : le tarif des heures pleines (16 h par jour) est de 0,2585 €/kWh. Salé !
Vers des offres de plus en plus sophistiquées ?
Ce comparatif vaut à l’instant T et la liste de ces offres dédiées aux voitures électriques devrait s’étoffer. « On va vers une utilisation de plus en plus fine des compteurs Linky », affirme en tout cas Mathias Laffont, de l’UFE. Ces compteurs, aujourd’hui largement déployés, permettent aux fournisseurs d’établir leurs propres calendriers tarifaires intégrants plus que 2 plages horaires. C’est ce que fait Alterna en modifiant les plages horaires et les tarifs suivant les saisons. « L’idée est d’exploiter la compétitivité des énergies renouvelables dont les volumes de production tirent les prix de l’électricité vers le bas à des moments précis de la journée, explique Antonin Marcault. Souvent la nuit pour l’éolien, ou aux heures méridiennes pour le solaire. Nos heures “super-creuses” ont été calquées sur ces plages. »
De son côté, Octopus vient de lancer Intelligent Octopus, une offre dédiée elle aussi aux propriétaires de véhicule électrique habitant en maison, mais d’un autre genre encore. Les tarifs proposés sont en tout point identiques à ceux proposés au TRVE. L’intérêt porte sur la recharge du véhicule, que le fournisseur propose de piloter lui-même à distance : « L’utilisateur donne ses consignes, en indiquant par exemple le taux de recharge qu’il souhaite avoir au réveil, expose Caroline Carret. Nous nous chargeons du reste, en actionnant la recharge aux moments où les prix de l’électricité sont, pour nous, les plus bas. » Octopus se rémunère grâce à la différence entre le prix du kilowattheure proposé dans son offre (le même donc que le TRV) et celui auquel il a acheté l’électricité sur les marchés. Et il verse aux clients qui lui ont confié la recharge de leur véhicule un bonus de 0,12 €/kWh sur une cagnotte qui pourra servir à payer les mensualités suivantes. Octopus annonce une économie de 250 € en moyenne, par an, sur la recharge d’une voiture électrique par rapport à une offre classique. Mais à ce jour, Intelligent Octopus n’est accessible qu’à certains véhicules électriques pour lesquels le fournisseur a passé des partenariats avec le constructeur pour piloter la recharge en temps réel. Il y en a six pour l’instant : Tesla, Volkswagen, Skoda, Cupra, Audi et Porsche.
Pilotage dynamique
Pour que l’essor des véhicules électriques surcharge le moins possible le réseau, voire s’avère un atout, un enjeu clé est de piloter leur recharge en la faisant démarrer aux heures où la demande d’électricité est la moins forte. La nuit, par exemple, lorsque les usines sont à l’arrêt. En France, la marge de progression reste importante sur ce point. Une étude d’Enedis, publiée en septembre, évaluait à 65 % la part des propriétaires de véhicule électrique ne pilotant pas la recharge de leurs véhicules, qu’ils font démarrer, le plus souvent, sitôt rentrés du travail.
Ces offres d’électricité dédiées aux propriétaires de véhicule électrique aident à rendre intéressant le pilotage dynamique. Mais encore faut-il que la technologie permette d’en profiter pleinement et facilement. C’est d’ores et déjà le cas pour Mathias Laffont, délégué général de l’UFE, et Clément Molizon, son homologue à l’Avere : « Les véhicules électriques ont tous aujourd’hui une application dédiée qui permet au moins de programmer la recharge, c’est-à-dire de la démarrer à l’heure souhaitée », commence le premier. « Les bornes de recharge dédiées permettent aussi de participer pleinement au pilotage, ajoute le second. En fixant un taux de recharge à atteindre pour le lendemain matin, par exemple, ou en demandant d’utiliser au maximum la production de ses panneaux solaires ou de ses batteries, etc. »
Reste là encore à convaincre les propriétaires de véhicule électrique de s’équiper d’une telle borne. Dans cette même étude Enedis de septembre, 52 % des sondés disaient brancher leur véhicule sur une prise classique.
Et maintenant, le vehicule-to-grid…
En même temps que la voiture électrique se démocratise, la technologie se modernise et de plus en plus de modèles disposent d’un chargeur bidirectionnel. Selon le niveau proposé, la voiture peut communiquer avec le réseau électrique. Cela lui permet de servir de source d’énergie et d’alimenter vos appareils.
Avec le vehicle-to-grid, ou « véhicule vers le réseau », disponible par exemple pour la nouvelle Renault 5 électrique, l’objectif est même de gagner l’argent. Le principe est de recharger sa voiture au moment où le tarif de l’électricité est au plus bas pour la réinjecter dans le réseau lorsqu’on en a besoin. Les kilowattheures sont alors achetés par le fournisseur d’énergie au prix fort. Pour cela, il faut disposer d’un contrat spécifique et installer une borne de recharge bidirectionnelle à son domicile.
Fabrice Pouliquen
Yves Martin