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Jeux vidéoLes joueurs se rebiffent

Cyril Brosset

par Cyril Brosset

Un collectif de gamers entend bien empêcher les éditeurs de jeux vidéo de bloquer l’accès à leurs produits comme bon leur semble. L’UFC-Que Choisir soutient ces consommateurs dans leur démarche.

Un éditeur de jeux vidéo a-t-il un droit de vie et de mort sur ses produits ? Peut-il, à sa guise, empêcher les personnes qui les ont achetés de les utiliser ? Ces questions secouent le monde des jeux vidéo depuis que l’éditeur français Ubisoft a pris la décision de fermer les serveurs de son jeu de course automobile The Crew, en mars 2024, privant, du jour au lendemain, des centaines de gamers du plaisir d’y jouer.

Ubisoft n’est pas le seul à procéder de la sorte. En 2021, Rockstar Games fermait les serveurs de GTA Online sur les consoles PS3 et Xbox 360. En février 2025, Wizards of the Coast stoppait ceux de Dungeons & Dragons : Dark Alliance après quatre ans d’exploitation seulement. En juillet dernier, c’était au tour d’Electronic Arts d’annoncer la fermeture en janvier prochain des serveurs de son jeu de guerre futuriste Anthem. Dans le meilleur des cas, l’opération ne bloque l’accès qu’à certaines fonctionnalités, notamment le mode multijoueur, qui permet des parties en ligne avec d’autres personnes. Néanmoins, il n’est pas rare qu’elle rende le jeu complètement inutilisable, y compris en mode solo, et ce de manière définitive.

La partie est serrée

Les éditeurs justifient cette pratique en invoquant les coûts importants que génère l’entretien de tous ces serveurs informatiques. Dès que le nombre de joueurs réguliers devient trop faible, ils préfèrent les fermer plutôt que de les maintenir en service. Peu importe que certains consommateurs s’adonnent encore à tel ou tel jeu, ou auraient aimé y revenir plus tard…

Ubisoft et compagnie déclarent être ici dans leur droit, arguant du fait que les clients n’auraient pas vraiment acheté le jeu, mais une licence. Autrement dit, un « droit à utiliser » auquel les éditeurs peuvent mettre fin quand bon leur semble. Les joueurs, eux, contestent cette interprétation. Ils affirment au contraire n’avoir jamais été informés, au moment de l’achat, d’une quelconque date de péremption du produit. Ils estiment donc l’avoir acquis sans limite de temps et, à ce titre, avoir la liberté d’en profiter autant qu’ils le désirent. Pour faire entendre leur voix, ils ont créé un mouvement baptisé Stop Killing Games (« Arrêtez de tuer les jeux »), dont l’un des objectifs est de sensibiliser à cette problématique les autorités compétentes et les associations de consommateurs du monde entier, dont l’UFC-Que Choisir (lire l’encadré). En Europe, ce collectif a aussi lancé une pétition en ligne qui, en quelques mois, a recueilli plus de 1,4 million de signatures. Si, après vérification par les États membres, il s’avère que cela représente plus d’un million de citoyens résidant dans au moins un quart des pays de l’Union, la Commission sera tenue d’apporter une réponse officielle au problème et, pourquoi pas, de présenter un projet législatif visant à y remédier.

Bien sûr, les joueurs sont conscients qu’entretenir éternellement des serveurs informatiques n’est tenable ni financièrement ni écologiquement. Cependant, ils aimeraient au moins que l’éditeur soit obligé, à chaque fer­me­ture, de mettre à disposition un patch afin que les gamers qui le souhaitent puissent continuer à jouer en solo ou accéder à un serveur privé leur permettant de faire des parties en ligne (ce qui est impossible actuellement). Les éditeurs rejettent ces solutions, assurant que non seulement elles seraient techniquement compliquées à mettre en place, mais qu’elles présenteraient également des risques pour la sécurité des joueurs et engendreraient des problèmes de droits d’auteur. Difficile, toutefois, de ne pas voir dans ces refus un moyen de pousser les clients à acquérir les versions plus récentes de leurs produits…

Un vrai far west

L’enjeu dépasse de loin le cas de The Crew. De fait, à l’instar d’Ubisoft, de nombreux éditeurs contraignent désormais les gamers à être connectés à Internet pour jouer, intégrant dans leurs conditions générales cette notion de licence. Et c’est loin d’être terminé ! Or, si ces pratiques ne sont pas mieux encadrées et les écarts, sanctionnés, les consommateurs vont continuer à acheter des jeux sans savoir combien de temps ils pourront en profiter, ni s’ils auront, un jour, l’opportunité de les donner ou de les revendre. Ils n’avaient vraiment pas besoin de cela ! Depuis des années, les acteurs du jeu vidéo leur en font voir de toutes les couleurs : en 2020, déjà, l’UFC-Que Choisir dénonçait l’obsolescence programmée des manettes de la console Switch. Après des années de combat, Nintendo, leur fabricant, a fini par accepter de réparer gratuitement celles qui étaient défectueuses. En décembre 2023, l’Autorité de la concurrence infligeait à Sony, le concepteur de la Play­Station, une amende de 13,5 millions d’euros pour avoir mis des bâtons dans les roues des marques de manettes tierces. Dix mois plus tard, en septembre 2024, l’UFC-Que Choisir accusait des éditeurs de bannir sans raison des utilisateurs de jeux en ligne et portait plainte contre Activision. Enfin, de très nombreux joueurs se plaignent des DownLoadable Content (DLC), ces contenus téléchargeables payants parfois indispensables pour achever une partie. Comme on le voit, les professionnels ne cessent pas, eux, de jouer avec les nerfs des gamers !

À la justice de siffler la fin de partie

Fermer un jeu vidéo : droit légitime ou abus de la part des éditeurs ? Sur cet aspect, le service juridique de l’UFC-Que Choisir a plutôt tendance à soutenir la position des gamers. En ce qui concerne The Crew, nos juristes estiment que l’information délivrée en amont, à l’achat et lors de l’utilisation du jeu, est bien trop floue pour qu’un consommateur lambda ait conscience qu’il a simplement acquis le droit de jouer. Sensibilisée au problème par la communauté des joueurs, l’UFC-Que Choisir réfléchit fortement à porter l’affaire devant la justice, afin, d’une part, de permettre aux personnes lésées d’obtenir un dédommagement, mais surtout, d’autre part, de pousser les éditeurs à informer clairement leurs clients sur ce qu’ils achètent. À chacun, ensuite, de faire son choix en toute connaissance de cause.

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