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Leucose bovine

Les vaches malades inquiètent la Réunion

Sur l’île de l’Océan indien, un virus infectant les bovins suscite l’inquiétude des habitants, ravivée par des études qui établiraient une corrélation entre ce virus et le cancer du sein chez la femme. La réponse des pouvoirs publics et de la filière élevage n’a pas calmé les craintes, et la consommation de viande locale s’est effondrée. L’association locale de l’UFC-Que Choisir demande l’éradication de la maladie au nom du principe de précaution.

Depuis le printemps, la consommation de viande « péi » (de pays) a été divisée par deux à la Réunion. Représentants de l’État et des filières d’élevage, éleveurs dissidents et consommateurs s’écharpent sur sa dangerosité supposée. Jusqu’en 2018, cette viande locale était synonyme de qualité, tout comme le lait issu des troupeaux réunionnais. Mais un virus est passé par là… Un virus pourtant a priori inoffensif. La leucose bovine enzootique (LBE) est une maladie contagieuse touchant les bovins. Elle est apparue sur l’île il y a une soixantaine d’années, à la faveur d’importations, depuis la métropole, d’animaux porteurs du virus qui l’ont ensuite diffusé. Aujourd’hui, selon les chiffres divulgués par la Direction de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (Daaf), 81 % des vaches laitières et au moins 14 % des bovins viande sont contaminés.

Pas une priorité

Pourtant, la LBE ne figure pas parmi les préoccupations des autorités : outre le fait qu’elle est considérée non transmissible à l’homme, plus de la moitié des animaux infectés ne déclareront jamais la maladie. Pour les 30 à 50 % restants, la charge virale augmentera peu à peu, entraînant un affaiblissement progressif, mais ces animaux restent consommables aux yeux des services de santé. À peine 5 % développeront, au bout de quatre à dix ans, des cancers mortels (leucémie, lymphome, tumeurs) – en réalité, la plupart sont abattus avant. « La détection se fait en abattoir, et seuls 0,04 % des animaux présentent des tumeurs – ils sont alors retirés de la chaîne alimentaire », précise la Daaf.

Des campagnes d’éradication, incluant l’abattage des bovins infectés, porteurs sains comme malades, ont été menées en Europe dans les années 1980. La France métropolitaine est reconnue indemne depuis 1999. Mais la Réunion en a été exemptée, en raison du contexte insulaire : abattre les animaux infectés reviendrait à décimer la population bovine de l’île. La lutte contre d’autres maladies animales plus graves ou transmissibles à l’homme est prioritaire aux yeux des instances sanitaires. Mais pas de la population.

Présence dans des tumeurs du sein

Des études américaines et australiennes menées entre 2015 et 2018 ont instillé le doute : elles montrent la présence du virus de la leucose dans des tumeurs du sein chez la femme (lire l’encadré). La LBE serait donc transmissible ? Les consommateurs, inquiets, se sont détournés de la viande « péi », et les autorités et représentants des coopératives agricoles ne parviennent pas à les persuader de son innocuité. Les relations se crispent, sur fond de défiance vis-à-vis de l’État et de relations délétères au sein des filières d’élevage. Le président de l’UFC-Que Choisir de la Réunion, Jean-Pierre Lajoie, souligne les difficultés à obtenir les informations demandées aux autorités, et s’agace d’avoir eu longtemps comme seule réponse : « Il n’y a aucun risque à consommer cette viande. » Résultat, le doute subsiste dans les esprits. « Dans ce contexte, en tant que représentants des consommateurs, nous demandons l’application du principe de précaution et l’éradication de la leucose bovine dans l’île, comme cela a été fait en métropole », a réitéré Jean-Pierre Lajoie, à l’issue d’une rencontre avec le directeur adjoint de la Daaf, le 30 août. Un plan d’assainissement sur 3 (pour les bovins viande) à 10 ans (pour les vaches laitières) serait « dans les tuyaux », dont le financement devrait être défini d’ici octobre, précise la Daaf. Un entre-deux qui ne satisfait pas les consommateurs.

Néanmoins, ce virus ne résiste pas à la chaleur, ni à l’air libre. Consommer une viande cuite ou un lait stérilisé ne présente donc aucun risque.

Des études inquiétantes mais non probantes

Jusqu’à présent, il était admis que la leucose bovine ne se transmet pas à l’homme. Mais des études américaines et australiennes ont mis en évidence la présence de l’ADN du virus de la LBE dans des tumeurs du sein chez la femme. Elles reposent donc la question de la transmission à l’humain, mais aussi de leur éventuel rôle dans le déclenchement du cancer du sein. En France, chercheurs et pouvoirs publics estiment ces études non concluantes à ce stade. En effet, la présence d’ADN ne signifie pas que le virus est vivant et pathogène. « Aux USA ou au Canada, dans certains endroits, le tiers des cheptels est infecté. Pourtant, la prévalence des cancers du sein n’est pas plus élevée qu’en Europe, où la maladie est éradiquée depuis 20 ans, souligne Barbara Dufour, de l’école vétérinaire de Maisons-Alfort. On pourrait s’inquiéter si on trouvait un virus vivant dans des tumeurs, ou des récepteurs viraux à LBE sur les cellules humaines. Or, ce n’est pas le cas. »

Reste à répondre aux interrogations que ces études soulèvent, par exemple, comment l’ADN du virus est-il entré dans ces cellules (via l’alimentation, l’environnement, la mère lors de la grossesse ou l’allaitement, etc.), depuis combien de temps s’y trouve-t-il (des années, des siècles…) ? Pourquoi est-il présent chez certaines femmes, et pas chez d’autres ? S’il est déjà « entré » dans des cellules humaines, peut-il réitérer, et dans quelles conditions ?

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