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Pesticides

Le combat se judiciarise

Face à l’inaction de l’État, le collectif Secrets toxiques a déposé un recours devant le Conseil d’État. Il estime que, lors des processus d’autorisation des pesticides, ni la France ni l’Union européenne ne respectent la réglementation, qui exige de s’assurer de l’innocuité de ces substances à court et long terme.

« Mise en danger de la vie d’autrui, atteinte à l’environnement, fraude à la déclaration, fraude à l’étiquetage. » Tels sont les motifs du recours déposé devant le Conseil d’État par un collectif de 29 associations de protection de l’environnement et 28 députés, le 2 février 2023. Il ne s’agit pas de grand banditisme, mais de vente de pesticides !

Ce collectif agit dans le cadre de la campagne Secrets toxiques initiée en 2020 par Nature et progrès, Générations futures, et une soixantaine d’associations en France. Faisant le constat de « l’absence de procédures scientifiques permettant de s’assurer de l’innocuité des pesticides commercialisés en France » et du « laxisme » des agences sanitaires française et européenne, ONG et élus avaient interpellé la Première ministre le 5 octobre 2022. Les services d’Élisabeth Borne n’ayant pas répondu, le collectif a décidé de saisir la plus haute juridiction administrative. Lors d’une conférence de presse du collectif Secrets toxiques, à l’occasion du dépôt du recours, le député Loïc Prudhomme (Nupes) fustigeait « l’opacité de l’Anses, son laxisme vis-à-vis des industriels » fabriquant des phytosanitaires et son choix de s’en tenir aux tests de toxicité réglementaires.

Seuls des « tests sommaires » sont réalisés

Pour le collectif, ni l’État français, ni la Commission européenne ne respectent la réglementation, qui stipule qu’un pesticide ne peut être autorisé que s’il est prouvé qu’il n’a pas d’effet néfaste à court ou long terme. Il s’appuie également sur un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) de 2019, selon lequel de simples « tests sommaires […] ne sauraient suffire à mener à bien cette vérification ». C’est de fait ce qui a cours aujourd’hui, car la réglementation « ne prévoit pas de manière détaillée la nature des essais, des analyses et des études auxquels les produits devraient être soumis avant de pouvoir bénéficier d’une autorisation », regrette la CJUE. Autre point problématique aux yeux du collectif, l’effet cocktail d’un mélange de plusieurs molécules n’est pas du tout évalué. Or, les instituts de recherche confirment les effets délétères de ces substances sur la santé et l’environnement (lire l’encadré).

Des substances toxiques non déclarées

Le collectif s’appuie également sur une étude de 2020 de Gilles-Éric Séralini (université de Caen) et Gérald Jungers (chercheur indépendant). Ils ont analysé 14 pesticides dans lesquels le glyphosate est remplacé par des molécules censées être moins nocives. Les résultats montrent que ces produits, disponibles en vente libre, contiennent plusieurs substances toxiques telles que de l’arsenic, du plomb, du glyphosate ou des hydrocarbures cancérogènes. Les teneurs sont certes faibles, mais non déclarées sur les emballages.

Au vu de ces différents constats, le recours cible d’une part la mise en danger des utilisateurs et des résidents et l’atteinte à l’environnement, et d’autre part la fraude à la déclaration et à l’étiquetage. L’angle d’attaque choisi est finalement simple, et ne requiert pas d’études scientifiques longues et complexes des produits : « Nous nous attaquons au fait que le droit n’est pas appliqué », résume Guillaume Tumerelle, avocat du collectif Secrets toxiques. Mais ce type de procédure peut durer un an ou plus. S’ils espèrent contourner les blocages politiques, les militants devront néanmoins patienter et suivre le temps long de la justice.

Les études confirment les effets néfastes des pesticides

Les conséquences néfastes de l’exposition aux pesticides sont désormais étayées par de nombreuses publications scientifiques. Selon une expertise de l’Inserm de 2021, le lien entre les produits phytosanitaires et des maladies telles que des cancers, Alzheimer, des troubles cognitifs, etc., est établi, concernant les personnes régulièrement exposées à ces substances, en particulier les agriculteurs qui manipulent les produits, ou les enfants exposés in utero. La corrélation est moins nette concernant les riverains de zones agricoles traitées, mais les évaluations sont encore lacunaires. L’Inserm suggère d’étudier d’autres mécanismes de toxicité, tels que la perturbation du microbiote ou les effets sur notre descendance.

Une étude conjointe Inrae-Ifremer montre pour sa part que « l’ensemble des milieux terrestres, aquatiques et marins – notamment côtiers – sont contaminés par les produits phytopharmaceutiques ».

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