ENQUÊTE
Circuits courts

Du producteur au consommateur

Pas plus d’un intermédiaire entre le producteur et le consommateur, c’est la définition officielle des circuits courts. Amap, marchés paysans, magasins de producteurs, drives fermiers ou épiceries coopératives entrent donc dans cette catégorie. En plein essor depuis quelques années, ces modes de commercialisation s’inscrivent dans une logique de consommation durable et responsable. D’un côté, les consommateurs retissent un lien distendu avec la terre, de l’autre les agriculteurs reprennent la main sur la valorisation de leur production, face aux contraintes souvent très lourdes inhérentes à la grande distribution. Apparemment un modèle gagnant-gagnant, puisque tout le monde est censé s’y retrouver. Mais qu’en est-il dans la réalité ? Quel est le poids économique de ce système face à la grande distribution ? Est-il vraiment si vertueux ? À quelles conditions peut-il se développer ? Le point sur ces questions.

Qu’est-ce qu’un circuit court ?

Selon le ministère de l’Agriculture et de l’alimentation, il s’agit « d’un mode de commercialisation des produits agricoles qui s’exerce soit par la vente directe du producteur au consommateur, soit par la vente indirecte à condition qu’il n’y ait qu’un seul intermédiaire ». Une définition peu restrictive puisqu’elle ne fixe aucune contrainte de distance entre le lieu de production et le lieu de consommation. Un produit vendu en circuit court peut même provenir de l’autre bout de la France, voire de plus loin ! 

Comment expliquer ce paradoxe ? « Il était difficile d’imposer un périmètre géographique dans la mesure où tous les territoires n’ont ni la même histoire, ni la même agriculture. Une limite de 100 km aurait été pertinente dans certains cas, moins dans d’autres », justifie Yuna Chiffoleau, directrice de recherche à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae). De quoi décevoir les adeptes du locavorisme, un mouvement qui prône la consommation de nourriture produite dans un rayon de 100 à 250 km autour de son domicile. Reste que dans les faits, la dimension locale est largement privilégiée compte tenu du coût de stockage et de transport des produits frais sur de longues distances. Ce qui n’exempte pas le consommateur de rester vigilant. Si, dans le cas de la vente directe, on peut aisément contrôler l’origine d’un produit, c’est moins évident pour les achats réalisés sur les plateformes de commerce en ligne.

Le circuit court est-il un gage de qualité ?

Dans l’esprit des consommateurs, qui dit circuits courts, dit produits issus de l’agriculture paysanne. Pour autant, ce mode de commercialisation n’est pas un label de qualité. La réglementation ne fixe aucune contrainte sur les modes de production des denrées, chaque producteur étant libre du choix des variétés cultivées comme de ses pratiques culturales. Rien n’interdit, par exemple, la culture de tomates en serre chauffée, ni le recours aux intrants chimiques, ou l’utilisation d’additifs et autres conservateurs dans les produits transformés ! Un constat qu’il faut cependant nuancer. « Pour attirer les consommateurs, les producteurs et les transformateurs se sont rendu compte qu’ils devaient leur proposer autre chose que ce que l’on trouve dans les grandes surfaces, c’est-à-dire des produits peu ou pas traités, artisanaux, respectant les saisonnalités et récoltés à maturité, observe Yuna Chiffoleau. Il y a cinq fois plus d’agriculteurs certifiés AB dans les circuits courts et les trois quarts des producteurs ont écologisé leurs pratiques. Aux consommateurs de faire leur choix ! » Un choix que les chefs étoilés sont de plus en plus nombreux à avoir fait en s’approvisionnant auprès de producteurs artisanaux soucieux de maintenir une agriculture de terroir et de professionnels talentueux des métiers de bouche : pêche côtière, ostréiculture, produits laitiers…

Pratique vieille comme le monde ou innovation ?

Les circuits courts ne sont pas nouveaux. Pendant des siècles, la vente directe sur les marchés, du producteur au consommateur, a constitué le principal mode de commercialisation des produits alimentaires. Malgré son déclin au milieu du XXe siècle, sous le rouleau compresseur de l’agro-industrie et de la grande distribution, cette tradition a résisté et connu un nouvel essor au début des années 1990 sous la forme de marchés paysans, de boutiques à la ferme et des premières Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (Amap) venus compléter les traditionnels marchés de plein vent. « Échaudés par la crise de la vache folle, les consommateurs ont senti le besoin de se rassurer sur le contenu de leur assiette en se rapprochant des producteurs, analyse Yuna Chiffoleau. Dans un contexte marqué par des mouvements altermondialistes, les circuits courts pouvaient aussi apparaître comme une forme de résistance au système productiviste dont on voyait déjà certains impacts négatifs sur l’environnement. »

Reste que chaque crise sanitaire renforce le besoin de se nourrir autrement. L’épidémie du Covid-19 l’a prouvé une fois de plus. Durant le premier confinement, les circuits courts ont gagné de nouveaux adeptes. Par la suite, la vie a repris son cours, mais une partie de cette nouvelle clientèle leur est restée fidèle. 

Un phénomène en pleine expansion ?

C’est incontestable, même si la part de marché des circuits courts est difficile à évaluer avec précision, d’autant que le phénomène a fait tache d’huile dans la grande distribution, voire le petit commerce traditionnel. Ce qui est sûr, c’est que leur clientèle s’est considérablement élargie ces dernières années. Loin d’être l’exclusivité des « bobos écolos » des grands centres urbains, il s’agit essentiellement de ménages désireux s’alimenter avec des produits frais et de saison dont la traçabilité est connue, et de soutenir économiquement les agriculteurs de leur région. Pour preuve, « il y a une dizaine d’années, le circuit court représentait 10 % du panier alimentaire moyen, aujourd’hui, c’est entre 15 et 20 %, ce qui représente environ 20 milliards d’euros annuels », précise Yuna Chiffoleau. De leur côté, les producteurs ont bien compris tout l’intérêt qu’il y avait à diversifier les canaux de vente. Autrefois considérée comme une perte de temps, la vente à la ferme est devenue un complément de revenus non négligeable et un moyen de maintenir un lien avec le reste de la population ! En 2010, la vente directe concernait 1 agriculteur sur 5, dix ans plus tard, ce ratio est passé à 1 sur 4.

Les circuits courts sont-ils plus respectueux de l’environnement ?

C’est un sujet complexe sur lequel les spécialistes peinent à s’accorder. Une étude récente a semé le doute. Publiée en 2021 par une équipe de scientifiques européens, elle conclut que les émissions de gaz à effet de serre générées par le transport des produits en circuits courts seraient 80 % plus élevées que pour les circuits longs (grande distribution). En cause, le transport de petites quantités sur de longues distances. Pour autant, il ne faudrait pas conclure trop rapidement que les circuits courts sont mauvais pour la planète. Dans un avis publié en 2017, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) explique que la grande diversité des circuits et des pratiques plus ou moins optimisées empêche de généraliser. D’autant que le transport des marchandises n’est pas le seul critère à prendre en compte ! Il est nécessaire d’étudier l’ensemble du cycle de vie de l’aliment : sa production, sa transformation, son conditionnement. Sans parler de l’empreinte carbone du lieu de vente : supermarchés ou centre commerciaux avec leurs parkings gigantesques qui défigurent l’abord des villes. Certes, les circuits courts ont encore une grande marge de progression sur le plan environnemental. « Mais il y a déjà beaucoup de choses qui s’inventent, notamment grâce aux nouvelles technologies numériques, remarque Yuna Chiffoleau. Regrouper les achats, mutualiser les tournées de producteurs, tout cela va dans le bon sens, à condition de garder leur dimension humaine aux circuits courts. »

Les circuits courts sont-ils compatibles avec la grande distribution ?

Mettre en avant les « produits frais, agricoles et locaux » : c’est un engagement pris par la grande distribution, via la signature d’une charte, sous la houlette du ministère de l’Agriculture. Mais ces bonnes intentions se heurtent à la logique même des supermarchés, dont les approvisionnements sont centralisés à l’échelle nationale afin d’obtenir les prix les plus bas possible. L’achat en direct auprès de producteurs locaux pour certains produits reste donc à l’initiative de chaque magasin et dépend avant tout de la stratégie du manager… Dans la plupart des cas, face à la masse des références issues de l’industrie agroalimentaire proposées en rayon, le local ne représente qu’un infime pourcentage de l’assortiment et risque de n’être qu’un faux nez marketing destiné à attirer le chaland.

Les filières des circuits courts sont-elles plus chères que les supermarchés ?

L’idée qu’acheter en circuit court serait plus coûteux qu’en grande distribution est très répandue… chez ceux qui n’en ont pas fait l’expérience. « À qualité égale, les produits bruts vendus à la ferme et sur les marchés de plein vent sont en moyenne moins chers que dans les grandes et moyennes surfaces », décrypte Yuna Chiffoleau. En revanche, pour les produits transformés, l’atout prix semble un peu moins favorable aux circuits courts. Encore faut-il comparer ce qui est comparable, les process de fabrication artisanale n’étant pas les mêmes que dans l’industrie, ni les économies d’échelle possibles. Autre constat : les produits agricoles étant tributaires des aléas climatiques, les variations de prix en circuits courts peuvent être beaucoup plus sensibles d’une saison à l’autre que dans la grande distribution qui a toute liberté pour délocaliser ses sources d’approvisionnement en fonction des cours du marché. « Toutefois, les consommateurs doivent rester vigilants face à des prix anormalement élevés, en particulier sur les plateformes de vente en ligne qui appliquent parfois des marges excessives. On peut recommander celles qui sont animées directement par les agriculteurs et celles portées par les acteurs de l’économie solidaire qui réduisent leurs marges, voire n’en prennent aucune, comme Cagette.net, par exemple », conseille Yuna Chiffoleau.

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