Erwan Seznec
Leur santé est-elle vraiment préoccupante ?
La santé des étudiants serait dans un état catastrophique selon les diverses enquêtes menées régulièrement. Or ces enquêtes sont cofinancées par les mutuelles étudiantes.
Chaque année, la presse publie une salve d’articles sur la santé des étudiants. Et chaque année, le constat est alarmiste (1). Les étudiants se soignent mal, ou trop tard, leur santé se dégrade, ils renoncent au dentiste ou au généraliste faute d’argent, etc.
La source de ces articles est toujours identique : une enquête cofinancée par les mutuelles étudiantes, LMDE ou Union nationale des mutuelles étudiantes de proximité (emeVia). Elles envoient des questionnaires à leurs adhérents et traitent les réponses. Celles-ci, à vrai dire, seraient plutôt rassurantes. Elles dressent, année après année, le portrait d’une population dans une forme enviable. Dans l’enquête 2007 du réseau emeVia, par exemple, 93 % des sondés se déclaraient en bonne santé (96 % en 2005 !), 92 % avaient bon appétit et 82 % disaient bien ou très bien dormir. Difficile de rêver mieux.
Curieusement, ces informations positives sont toujours reléguées au second plan dans la présentation des études, jusqu’à disparaître dans les enquêtes les plus récentes. Elles laissent la place à des développements inquiétants sur le stress des étudiants ou leur consommation de drogue.
Thèmes anxiogènes
Tout se passe comme si, faute de pouvoir dire que les étudiants sont dans un état de délabrement physique avancé, il fallait monter en épingle d’autres thèmes anxiogènes. Le cannabis, par exemple. Selon le baromètre Santé des étudiants 2011, un sondé sur trois en a déjà fumé. Sauf que, selon un chiffre peu mis en valeur par le même baromètre, les fumeurs réguliers sont moins de 3 % ! Trois étudiants sur quatre ne consomment jamais de cannabis, ou ont juste essayé un soir, en passant. Idem pour les problèmes d’argent. 15 % des étudiants auraient déjà renoncé à se soigner pour des raisons financières. Sauf que 12 % seulement se disent « régulièrement » à court d’argent. Une majorité écrasante n’a que rarement, voire jamais (50 % !) de fins de mois difficiles. Les mutuelles voudraient favoriser la vente des complémentaires santé et justifier leurs coûteuses campagnes de prévention (dont l’efficacité est rarement évaluée…), elles ne s’y prendraient pas autrement.
Des taux de réponses invraisemblables
Par ailleurs, ces enquêtes sur la santé des étudiants semblent souvent avoir été lourdement trafiquées. Entre 2005 et 2009, celles d’emeVia, basées sur l’envoi par courrier de 50 000 à 60 000 questionnaires à des étudiants sélectionnés au hasard, auraient suscité 24 % à 30 % de réponses. Les professionnels des sondages interrogés sont formels : sachant qu’il n’y a même pas un porte-clés à gagner en répondant et qu’il faut plus d’une demi-heure pour remplir le questionnaire, ces chiffres sont aberrants. 3 % serait plus vraisemblable. Quel crédit, dans ces conditions, donner au résultat final ?
Les enquêtes les plus récentes, du reste, reviennent à la raison. Celle réalisée par la LMDE en 2011 ne revendique plus que 8 % de répondants sur 111 000 questionnaires. Ce qui est déjà un score excellent. Surtout quand on sait que, de l’aveu même de la LMDE, 25 % de ses adhérents figurent dans ses fichiers sous une adresse erronée.
(1) Voir par exemple l’article du Monde du 23 mai 2012, titré « De plus en plus d’étudiants renoncent à se soigner, faute d’argent et de temps » basé sur une enquête LMDE.