ENQUÊTE
Sécurité sociale étudiante

Les mutuelles à bout de souffle

Des carences dans la gestion ont mis la plus importante des mutuelles étudiantes, la LMDE, dans des ­difficultés dont les étudiants font les frais : cartes Vitale égarées, délais de remboursement interminables, impossibilité de joindre quiconque. À tel point que l’UFC-Que Choisir demande une reprise en main ­directe par l’assurance maladie.

C’était une belle idée. Mais, selon l’UFC-Que Choisir, elle a vécu. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, l’Unef (Union nationale des étudiants de France) décide de se doter de son système de Sécurité sociale. L’assurance maladie vient de voir le jour, mais elle ne couvre que les salariés, laissant de côté, entre autres, quelque 150 000 étudiants. La Mutuelle nationale des étudiants de France (Mnef) naît ainsi en 1948. Les étudiants ne peuvent cotiser, faute de salaire, mais ils se prennent en main et payent une adhésion annuelle. Elle est insuffisante pour couvrir les frais de fonctionnement et les remboursements, mais l’assurance maladie accorde une « remise de gestion » aux mutuelles, en contrepartie de leur mission de service public.

Une gestion particulière

Ce montage curieux, où les étudiants ne sont ni dans la Sécu, ni en dehors, se perpétue depuis soixante-quatre ans. Il n’a guère changé sur la forme. L’adhésion coûte aujourd’hui 207 €. La Mnef a disparu en 2000 sur fond de scandale retentissant, pour renaître immédiatement sous le nom de La mutuelle des étudiants (LMDE, voir encadré). Elle a comme concurrente dix sociétés mutuelles étudiantes régionales (Smer), créées dans les années 1970. Tous ces organismes travaillent en collaboration étroite avec l’assurance maladie. Sans équivalent en Europe, ce système génère son lot de formalités, devenues de plus en plus fastidieuses au fur et à mesure de l’augmentation de la population étudiante. Ils étaient 150 000 en 1948, ils sont aujourd’hui 2,3 millions ! La tâche la plus lourde est certainement le mouvement annuel de désaffiliation-réaffiliation. Chaque année, il faut sortir des centaines de milliers de jeunes du régime général, où ils étaient couverts par la Sécu de leurs parents. Et chaque année, il faut réintégrer dans le régime général d’autres centaines de milliers de jeunes en fin d’études.

Ce n’est pas tout. Les inscriptions aux mutuelles étudiantes se font par l’intermédiaire des universités. Dans 40 % des cas, leurs échanges avec les mutuelles étudiantes ont lieu par formulaires papier, source de retards et d’erreurs de saisie. Dans la confusion générale, il n’est pas rare que des cartes Vitale arrivent avec des semaines, voire des mois de retard. Entre juillet et octobre 2011, par exemple, au moment des inscriptions, la Caisse nationale d’assurance maladie a procédé à 529 000 transferts d’étudiants vers les mutuelles. À la fin de l’année, le changement était effectif pour seulement 351 000 d’entre eux…

Des offres de complémentaires santé en ligne.

Autre absurdité du système, la concurrence entre mutuelles. La LMDE, seule à être présente sur l’ensemble du territoire, affronte partout une mutuelle régionale (Smeba dans l’Ouest, Smerep en région parisienne, etc.). Les démarcheurs des sœurs ennemies chassent à l’affût sur les campus, au moment des inscriptions, pour capter le maximum d’étudiants. Évidemment, tous auront exactement la même couverture à l’arrivée, puisqu’il n’y a qu’une Sécurité sociale étudiante ! Mais pour une mutuelle, gagner des adhérents, c’est gagner du poids, et c’est l’occasion de vendre des complémentaires santé. Les mutuelles étudiantes, en effet, cumulent une délégation de service public et une activité d’assureur ordinaire, à but lucratif.

Des méthodes commerciales musclées

Recrutés en CDD, leurs commerciaux (eux-mêmes étudiants, en général) ne font pas toujours dans la dentelle. Il leur est arrivé d’en venir aux poings. « On n’en est plus là », assure Gabriel Szeftel, président de la LMDE. Une scène dont nous avons été les témoins sur le campus parisien de Jussieu, en juillet dernier, montre pourtant que les tensions sont quand même loin d’avoir disparu. Sans parler des mensonges éhontés servis à des premières années qui ne comprennent rigoureusement rien à la différence entre régime obligatoire et régime complémentaire, qui ignorent l’existence de plusieurs mutuelles, ainsi que la possibilité de choisir entre elles. Chaque année, le premier contact de milliers de nouveaux étudiants sur le campus se trouve ainsi être un autre étudiant, à peine plus âgé qu’eux, qui travaille pour la LMDE ou un concurrent, et qui tente de les mener en bateau…

Détail que l’étudiant de première année ignore : c’était peut-être la dernière fois qu’il entrait en contact sans difficulté avec sa mutuelle ! Certaines suscitent peu de plaintes, à l’image de la Smeba en Bretagne/Pays-de-Loire ou de la Smerag outre-mer. La situation de Vittavi, dans le Sud-Ouest, est déjà plus critique. Plombée par une gestion erratique, elle a été sauvée du naufrage in extremis en 2011 par Myriade, une mutuelle bordelaise, mais elle reste à la peine. Selon nos informations, deux appels téléphoniques sur trois seulement adressés à ses plates-formes aboutissent. Le dernier se perd dans les limbes.

La LMDE dans un état critique

Et puis surtout, il y a le cas LMDE. La plus grande des mutuelles (920 000 affiliés) concentre les critiques et les inquiétudes. Selon un très haut responsable mutualiste, elle serait « en train de craquer ». Le taux de décrochés, c’est-à-dire les appels qui aboutissent, est tombé en dessous de 45 %. « Dans cette situation, on serait mort », souligne le même interlocuteur. Les files d’attente s’étirent devant les permanences. Une heure, deux heures de queue, souvent pour devoir revenir le lendemain… « Si on n’avait pas affaire à une population étudiante qui ne comprend pas bien la situation, le système aurait explosé », admet un cadre de la mutuelle. Les témoignages accablants foisonnent sur le Web. Père d’un étudiant inscrit à la LMDE, Gérard Pain a créé « Se grouper pour agir » (http://mutuelles-sgpa.fr/) un site Internet visant à fédérer les mécontents dans l’espoir de débloquer des dossiers. « J’ai eu rapidement des contacts avec la direction de la LMDE, raconte-t-il. Ils m’ont demandé de leur transmettre des dossiers, de leur faire remonter des informations. Ce que je fais, bien entendu, mais le flot de mécontents ne se tarit pas, au contraire ! » Question sans réponse : pourquoi la LMDE a-t-elle besoin de l’animateur bénévole d’un site Web pour des « remontées d’informations » sur ses propres adhérents ?

Selon les chiffres communiqués par la LMDE, le nombre d’appels reçus a été multiplié par cinq entre 2005 et 2011. Confrontés à des dysfonctionnements de toute sorte, les affiliés appellent, rappellent, sans succès. Le président de la LMDE, Gabriel Szeftel, invoque les retards dans la transmission des informations par les universités, des ratés dans la dématérialisation, les changements d’adresse fréquent des étudiants, la mise en place laborieuse du parcours de soins coordonnés… Autant de facteurs relativement anciens, avec lesquels toutes les mutuelles étudiantes doivent composer. Pourquoi plombent-ils la LMDE plus que les autres ? « Nous subissons aussi les effets temporaires d’une réorganisation interne lourde, qui portera ses fruits dès la rentrée prochaine », soutient Vanessa Favaro, administratrice en charge de la qualité de service.

Un ancien dirigeant d’une antenne régionale de la LMDE dénonce des travers plus profonds. « Cette mutuelle a trop de cadres au sommet et pas assez de petites mains pour faire le travail administratif. Et ces cadres, qui plus est, sont souvent choisis sur des critères politiques. Tout le monde sait que la LMDE sert de point de chute à de nombreux syndicalistes de l’Unef. » Ils ont passé leurs années de fac à militer, ils arrivent à la trentaine, il faut leur trouver un poste. « Ce ne sont pas des emplois fictifs. Ces gens viennent au bureau. Ils apportent un relationnel politique, mais techniquement et commercialement, ils ne sont pas à la hauteur. À un moment, on le paye. » Le lien historique entre le syndicat étudiant et la Mnef-LMDE n’a jamais été dénoué. Tous les membres du conseil d’administration actuel sont des cadres de l’Unef. Leur mode de désignation, assez complexe, ne laisse guère de chances au pluralisme…

L’assurance maladie montre les dents

Aujourd’hui, ces administrateurs militants, étudiants ou pseudo-étudiants, sont au pied du mur. À eux de prouver qu’ils ont encore l’envergure pour faire tourner une machine infiniment plus lourde que celle de 1948. Certains experts ne cachent pas leurs doutes. « Ce système me semble devoir être revu, car il est sous tension financière très forte », déclarait en novembre 2011 le directeur général de la CNAMTS (Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés), Frédéric van Roekeghem, devant une commission sénatoriale. Les parlementaires continuent leurs travaux. Ils ont sous les yeux des chiffres qui font mal. En 2011, l’assurance maladie a versé 54,77 € de remise de gestion par affilié aux mutuelles étudiantes. Les mutuelles de fonctionnaires, quant à elles, ont touché 46,60 € par affilié. Incompréhensible : compte tenu de son âge (et de l’insouciance qui l’accompagne…), une part importante de la population étudiante voit très rarement le médecin. Si les mutuelles n’arrivent pas à la gérer à bon prix, autant la réintégrer dans l’assurance maladie. Les économies réalisées se chiffreraient alors en dizaines de millions d’euros. À coût égal, on pourrait diminuer sensiblement la cotisation étudiante. « Van Roekeghem veut la peau du régime étudiant », dénonce Gabriel Szeftel. Sans réaliser, apparemment, que ce sont les errements de la LMDE qui menacent aujourd’hui de tuer ce régime ! À plusieurs reprises, la remise de gestion a été revue à la hausse pour donner un peu d’air à la plus grande et à la plus mal gérée des mutuelles. Sans amélioration du service rendu.

L’UFC-Que Choisir monte au créneau

Selon l’UFC-Que Choisir, la solution la plus appropriée à l’intérêt des étudiants serait aujour­d’hui une remise à plat complète, avec gestion directe par l’assurance maladie. Il ne s’agit pas de supprimer un régime spécial, puisque les étudiants sont affiliés à la Sécurité sociale générale, mais simplement des structures dont la valeur ajoutée est très relative, quand elle n’est pas, comme dans le cas de la LMDE, franchement négative. L’Unef, évidemment, défend le statu quo. Mais pas Sud-Étudiant, ni la Fédération des syndicats étudiants (FSE). « Il faut arrêter ce bricolage, tranche Simon Ente, de Sud-Lille. Ces mutuelles sont des intermédiaires inutiles qui vendent des complémentaires à but lucratif sous couvert d’une délégation de service public. Nous sommes totalement favorables à l’affiliation directe à l’assurance maladie. »

Reste la dimension politique. Comme le souligne un dirigeant de la Mutualité française, « l’Unef a encore les moyens de mettre le feu aux campus »… Pour sauver les apparences, il faudrait adosser les mutuelles régionales les plus fragiles à des groupes mutualistes et placer la LMDE sous l’amicale tutelle de la Mutuelle générale de l’éducation nationale (MGEN). Les deux entités ont déjà un système informatique commun. La MGEN est, par ailleurs, depuis 2002 la « mutuelle de substitution » de la LMDE. En clair, c’est elle qui garantit sa solvabilité. Une fois cette consolidation menée à bien, on pourrait retirer en douceur la gestion du régime obligatoire aux mutuelles étudiantes. Ce serait la fin d’une belle idée, la gestion de la Sécu étudiante par les étudiants. Mais à qui la faute ?

Historique : le scandale de la Mnef

La LMDE a été créée en 2000 pour prendre le relais de la Mnef. Cette dernière s’est vu retirer sa délégation de service public et a été dissoute la même année, suite à de graves carences dans sa gestion. Relevées dès 1982 par la Cour des comptes, elles avaient entraîné en 1998 ­l’ouverture d’une ­enquête pour abus de biens sociaux, ­détournements de fonds publics et abus de confiance. Les dirigeants de la mutuelle vivaient sur un grand pied et ­accordaient des emplois fictifs à des militants de l’Unef ou du parti ­socialiste. De fortes amendes parfois ­accompagnées de peines de prison avec sursis ont été prononcées dans cette affaire contre 17 prévenus, dont ­l’ancien directeur de la Mnef, Olivier Spithakis, son ancien président, Jean-Michel Grosz, et l’élu socialiste Jean-Christophe Cambadélis.
Erwan Seznec

Erwan Seznec

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