Elsa Casalegno
Un plan gouvernemental calqué sur les demandes de l’industrie
Des objectifs peu ambitieux de baisses des teneurs en sels nitrités à plus ou moins longue échéance, de nouvelles évaluations à faire, des recherches à poursuivre… Le plan de réduction de l’utilisation de ces additifs controversés dans les charcuteries ne bouleversera pas les pratiques des fabricants.
Une longue gestation, un résultat décevant… Il aura fallu 8 mois – et deux reports – au ministère de l’Agriculture pour publier son plan d’action « Réduction de l’utilisation des additifs nitrites/nitrates dans l’alimentation », qui fait suite au rapport de l’Anses sur les risques liés aux nitrites dans les charcuteries, publié en juillet 2022. Ce plan satisfera sans doute l’industrie charcutière, mais sûrement pas les associations réclamant l’interdiction pure et simple des nitrites et nitrates dans les charcuteries.
En effet, malgré le lien désormais avéré entre la consommation de charcuteries nitrées et la survenue de cancer colorectal, le plan gouvernemental ne prévoit pas d’interdiction généralisée des additifs nitrés. Il se contente de s’aligner sur les préconisations de l’Anses, qui recommande d’en réduire l’usage mais pas de les interdire, en raison d’un risque bactériologique accru.
Le ministère de l’Agriculture annonce mettre en œuvre « une trajectoire de baisse ambitieuse de l’utilisation des nitrites/nitrates » afin d’aboutir à la suppression des additifs nitrés, mais seulement « où cela est possible ». On a connu plus ambitieux… Cette « stratégie » consiste en :
- des baisses de l’ordre de 25 à 30 % des teneurs en sels nitrités, immédiates ou à court terme (d’ici 1 an), pour certaines catégories de charcuteries comme les jambons cuits et les lardons ;
- des suppressions envisageables pour quelques catégories précises, telles que les saucisses à griller, les pâtés ou les boudins noirs ;
- des baisses supplémentaires « envisageables » à moyen et long terme, concernant par exemple les jambons cuits, les jambons crus et les saucissons secs ;
- un accompagnement de la filière porcine et charcutière.
Substance nocive même à des quantités infinitésimales
Le plan prévoit également des « évaluations », et appelle à la recherche et au développement de nouvelles « solutions » pour « accentuer la trajectoire de diminution ou de suppression ». Le ministère continue également de se référer aux doses journalières admissibles (1) fixées par les instances de santé, alors même qu’il est établi que la cancérogénicité d’une substance n’est pas liée à la quantité qu’on en absorbe, et qu’elle peut être nocive même à des quantités infinitésimales.
En revanche, aucun étiquetage apposé directement sur les produits nitrités n’est à l’ordre du jour. Cette proposition figurait dans une proposition de loi portée par le député Modem Richard Ramos (lire l’encadré), mais elle est sans doute jugée trop « stigmatisante », pour reprendre un terme cher à l’industrie agroalimentaire. Les seules informations disponibles pour le consommateur figureraient sur une page du site Internet du ministère de l’Agriculture. On a connu plus visible…
Tactique des lobbies
Ce plan d’action n’impose en aucun cas une suppression totale de l’emploi des nitrites et nitrates, et ne fixe aucun objectif précis. De plus, il ne fait que reprendre des mesures déjà étudiées par la filière charcutière. Ainsi, les limitations des teneurs en additifs à 90 ppm envisagées sur les jambons cuits sont déjà conseillées aux industriels par leur fédération, voire déjà mises en œuvre. De plus, elles ne représentent qu’une baisse de 25 % par rapport aux seuils maximaux fixés par la réglementation européenne.
Enfin, les multiples évaluations et recherches supplémentaires prévues dans le plan contribueront sans aucun doute à retarder l’instauration de nouveaux seuils maximaux plus contraignants, une tactique largement utilisée par les lobbies professionnels pour repousser une échéance dérangeante aux calendes grecques… La Fédération des industriels charcutiers traiteurs (FICT), qui représente les fabricants, n’aurait pu souhaiter mieux !
Les autorités sanitaires et le gouvernement maintiennent une posture de grande prudence vis-à-vis de la suppression des sels nitrités, en mettant en avant le risque bactériologique et en particulier le risque de botulisme. Ces risques existent, mais ils se maîtrisent par des pratiques d’élevage et de fabrication rigoureuses. Des alternatives sans nitrites ajoutés (y compris sans bouillon de légumes ou divers extraits, lire l’encadré) existent depuis des années, sans avoir provoqué de résurgence de botulisme ou d’intoxications alimentaires.
Les tentatives de régulation édulcorées
La députée écologiste Francesca Pasquini est la troisième élue de l’Assemblée à tenter de faire interdire l’utilisation des additifs nitrés dans la charcuterie depuis 2022. Profitant de la niche parlementaire d’EELV, elle a déposé une proposition de loi (PPL) « visant à mieux manger en soutenant les Français face à l’inflation et en favorisant l’accès à une alimentation saine », qui devait être débattue le 6 avril. L’article 3 propose d’interdire tout ajout d’additifs nitrés à partir du 1er janvier 2024 pour les produits de charcuterie crus, et à partir du 1er janvier 2025 pour les produits cuits. Il y a néanmoins peu d’espoirs que la PPL soit votée telle quelle, au vu du détricotage systématique subi par toutes les tentatives d’interdiction de ces additifs.
Le précédent élu à tenter de réguler ces produits est le député LFI Loïc Prud’homme, qui a déposé une PPL spécifique sur ce sujet le 17 janvier 2023. Intitulée « Protéger la population du risque de cancer lié à la consommation de charcuteries nitrées », elle propose un étiquetage pour avertir les consommateurs du risque de cancer encouru, sur le modèle de celui figurant sur les paquets de cigarettes. Elle demande également que les charcuteries nitritées soient interdites dans la restauration collective scolaire, hospitalière et médico-sociale.
Un an plus tôt, le député Modem Richard Ramos avait présenté une loi pour acter la sortie progressive des additifs nitrés. Mais cette loi, adoptée le 26 janvier 2022, avait été vidée de sa substance, exigeant seulement la remise d’un rapport de l’Anses, déjà prévu, et un plan d’action gouvernemental chargé « d’établir une liste et un calendrier de produits soumis à une interdiction de commercialisation et mettre en place un étiquetage spécifique d’ici début 2024 ». La Fédération des industriels de la charcuterie (FICT) se félicitait d’ailleurs de cette « réécriture », tandis que les associations militant pour une interdiction des additifs nitrés signalaient sobrement avoir « réussi à mettre le sujet de l’interdiction de ces additifs à l’agenda politique »…
Les bouillons de légumes, des additifs « non autorisés »
Le plan du gouvernement souligne qu’à ce jour, il n’existe pas d’alternatives satisfaisantes aux sels nitrités. Ainsi, les bouillons de légumes et les extraits végétaux utilisés par certains fabricants ne sont « pas une réelle alternative », dans la mesure où ils contiennent des nitrates ensuite convertis en nitrites dans la denrée. Les charcuteries concernées (souvent des jambons cuits) ne peuvent donc se revendiquer « sans nitrites ajoutés ».
Par ailleurs, ces préparations, ainsi que divers « extraits végétaux » (de thé vert, de raisin, riches en polyphénols, etc.) sont utilisés par les fabricants de façon similaire à des additifs, et devraient donc être considérées comme tels. Ce qui impliquerait le respect de la réglementation européenne qui les encadre. Or, présentés comme de simples ingrédients « naturels », ils sont en réalité « présumés être des additifs non autorisés », avertit le ministère de l’Agriculture.
(1) Quantité d’une substance qu’un individu peut ingérer chaque jour, sans risque pour sa santé.