Rosine Maiolo
Les éoliennes en question
La multiplication de ces structures a un impact sur les riverains, notamment en raison des pollutions visuelle et sonore qu’elles peuvent représenter. Leur installation est soumise à des règles qu’il est bon de connaître.
L’éolien est une source de production d’énergie électrique en plein développement dans l’Hexagone. Par la puissance de son parc éolien (environ 20 GW), la France se positionne aujourd’hui au troisième rang européen, derrière l’Espagne (27 GW) et l’Allemagne (62 GW). Les États-Unis (105 GW) et la Chine (230 GW) occupent les premières places mondiales. L’implantation des éoliennes, considérées comme des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), fait l’objet d’une réglementation stricte.
Quand les habitants ont les moyens d’agir
Si un projet de mise en place d’éoliennes ne suit pas les règles d’urbanisme le concernant (permis de construire, enquête publique, étude d’impact…), les riverains peuvent engager un recours administratif pour s’y opposer. Le Conseil d’État a ainsi annulé la construction de deux éoliennes de 120 m de hauteur pour des raisons de sécurité (arrêt du 27 juillet 2009, n° 317060). Dans une autre affaire, au contraire, les magistrats ont confirmé le permis de construire de 12 éoliennes hautes de 98 m, estimant que « le projet […] s’inscrit, sans lui porter atteinte, dans un site traversé par la ligne du TGV Méditerranée et l’autoroute A7, où s’est largement développée une urbanisation diffuse tant en ce qui concerne l’habitation que les activités artisanales et industrielles » (cour administrative d’appel de Lyon, 3 février 2004, arrêt n° 03LY01697).
Des décisions de justice au cas par cas
La jurisprudence n’est pas encore clairement établie quant à la qualification des éoliennes comme trouble anormal de voisinage. Dans un arrêt datant de 2020, la Cour de cassation a refusé de retenir une anormalité après avoir apprécié le trouble in concreto (3e chambre civile, 17 septembre 2020, pourvoi n° 19-16.937). En l’occurrence, des propriétaires avaient attaqué une société de parc éolien en réparation des préjudices occasionnés par l’installation d’éoliennes près de leurs résidences secondaires. Les juges d’appel ont convenu qu’il existait bien une atteinte à l’environnement des biens pouvant avoir des conséquences pour leur revente – difficulté à trouver des acquéreurs, et décote estimée de 10 à 20 %. Pour autant, ils ont conclu à une absence d’un trouble anormal de voisinage, car « les modifications apportées à l’environnement du bien ne peuvent donner lieu à réparation faute de droit acquis à le conserver ».
La Cour de cassation, saisie à son tour, a confirmé l’arrêt d’appel et rejeté le pourvoi des propriétaires. Les hauts magistrats rappellent que, selon le rapport d’expertise et le constat d’huissier, « le volume des émissions sonores générées par les éoliennes de nouvelle génération était, de jour comme de nuit, inférieur aux seuils prévus par la réglementation en vigueur, et que le bois situé entre les propriétés et le parc éolien, édifié à distance réglementaire des habitations, formait un écran sonore et visuel réduisant les nuisances occasionnées aux habitants d’un hameau, certes élégant et paisible, mais situé dans un paysage rural ordinaire ». Ils réaffirment le principe selon lequel « nul n’a un droit acquis à la conservation de son environnement », un argument qui avait déjà été utilisé en 2009 (Cass., 3e ch. civ., 21 octobre 2009, pourvoi n° 08-16.692), et que le trouble s’apprécie au cas par cas. En l’espèce, la dépréciation modérée « dans un contexte de morosité du marché local de l’immobilier, ne dépassait pas, par sa gravité, les inconvénients normaux du voisinage, eu égard à l’objectif d’intérêt public poursuivi par le développement de l’énergie éolienne ».
Cet arrêt ne signifie pas qu’une action en justice pour trouble anormal de voisinage ne peut aboutir en présence d’un parc éolien à proximité d’habitations. Il rappelle simplement que les magistrats apprécient la situation au cas par cas. De fait, le jugement aurait pu être tout autre si le parc éolien avait été plus visible, les nuisances sonores plus fortes et la dévaluation immobilière plus importante.
L’indemnisation oui, le démantèlement non
En revanche, un juge judiciaire n’est pas compétent pour ordonner le démontage et l’enlèvement des éoliennes sur le fondement des troubles anormaux de voisinage. Dans une affaire, les juges d’appel ont confirmé cette qualification d’anormalité et l’attribution de dommages et intérêts, mais ils se sont déclarés incompétents pour décider de la démolition des éoliennes (cour d’appel de Montpellier, 28 juillet 2015, arrêt n° 13/06957). La Cour de cassation a confirmé que le juge judiciaire ne pouvait pas ordonner le démontage et l’enlèvement des structures sur le fondement des troubles anormaux de voisinage car il n’était pas compétent.
Le fait que les éoliennes soient soumises au régime des installations classées implique en effet la compétence du juge administratif (Cass., 1re ch. civ., 25 janvier 2017, pourvoi n° 15-25.526). En conséquence, une action pour trouble anormal de voisinage, si elle aboutit, peut entraîner l’attribution de dommages et intérêts ou même l’obligation de prendre des mesures pour faire cesser les nuisances (par exemple, des travaux), mais pas le démantèlement des éoliennes… Il n’est possible d’obtenir ce dernier que si l’installation n’est pas réglementaire (lire encadré).
3 questions à Nicolas Gallon, avocat au barreau de Montpellier
QC Vous avez obtenu en justice la démolition de sept éoliennes. En quoi la décision est-elle historique ?
N. G. C’est inédit ! La justice n’avait encore jamais ordonné la démolition de l’intégralité d’un parc éolien et la remise en état du site. Dans cette affaire, je représentais un collectif de trois associations de défense de l’environnement, et le combat a duré 20 ans. Le premier permis de construire, délivré en 2004, avait été annulé par le Conseil d’État en 2012. Le second, obtenu en 2013, avait subi le même sort en 2017, en raison de l’insuffisance de l’étude d’impact. Elle n’avait pas tenu compte de la présence d’un couple d’aigles royaux dans les environs et du risque d’atteinte à la biodiversité. Or, ce document permet de décrocher l’autorisation environnementale, pièce maîtresse du dossier. L’histoire pourrait s’arrêter là. Or, pendant tout le temps de la procédure, l’exploitant a construit le parc éolien, les travaux s’étant achevés en 2016. Depuis, plusieurs milliers d’oiseaux ont été retrouvés morts aux pieds des éoliennes, dont un aigle royal… Avec l’annulation du permis de construire en poche, nous avons demandé le démantèlement des structures au juge judiciaire. Nous avons obtenu gain de cause en première instance, puis en appel, puis auprès de la Cour de cassation et, enfin, devant la cour d’appel de Nîmes, le 7 décembre 2023.
QC Pourquoi les éoliennes, synonyme d’énergie verte, sont-elles si peu acceptées ?
N. G. Il y a un problème d’acceptabilité des parcs éoliens en raison de la dépréciation de la qualité de vie induite : nuisances sonores et visuelles, y compris la nuit avec un effet stroboscopique, et dégradation de l’environnement. À cela s’ajoute la baisse de valeur des biens immobiliers proches. Tout le paradoxe de l’éolien est de produire de l’énergie verte mais en nuisant à la nature, car on crée une petite zone industrielle bétonnée, avec routes et infrastructures. Pour atteindre les objectifs de production d’électricité renouvelable, il faudrait des éoliennes sur tout le territoire, mais comment combiner des intérêts contraires ? En attendant, il a été prévu de développer les parcs au large des côtes. L’avenir nous dira si cette solution est la bonne.
QC Que faire s’il y a un projet près de chez soi ?
N. G. Il faut agir très tôt, en sensibilisant un maximum de riverains. En parallèle, il convient de se faire accompagner d’un avocat pour vérifier que tout est conforme à la législation, les éoliennes étant soumises à une réglementation spécifique et à des conditions très strictes. Seul le non-respect de ces règles permet d’obtenir l’arrêt du projet.
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