Fabrice Pouliquen
Que cachent les thermostats connectés gratuits ?
Alors que les thermostats connectés seront bientôt obligatoires dans les logements, certaines sociétés (Voltalis, Tiko…) proposent d’équiper gratuitement les foyers qui se chauffent à l’électricité en échange de coupures momentanées pour soulager le réseau électrique. Explications.
À partir du 1er janvier 2027, les logements collectifs et individuels devront tous être équipés d’un thermostat, connecté ou non, permettant de réguler la température pièce par pièce ou, si cela est justifié, par zone de chauffage. Une aubaine pour Google, Netatmo, Somfy, Bosch, Honeywell, tado° et d’autres qui commercialisent des thermostats connectés promettant une meilleure maîtrise de la consommation de chauffage. À la clé, moins de CO2 émis et des économies sur la facture d’énergie.
Mais ces thermostats ont un coût, encore plus s’ils sont connectés. Mi-octobre, Agnès Pannier-Runacher, alors ministre de la Transition énergétique, l’évaluait « entre 650 et 1 000 € l’unité », pose comprise (1). Un vrai budget, même si une aide publique, « Coup de pouce thermostat », vient d’être lancée.
Des offres pour s’équiper gratuitement
Si l’on se chauffe à l’électricité, ce qui est le cas pour 10 millions de foyers français, il est toutefois possible de s’équiper gratuitement d’un thermostat. Installation comprise et sans abonnement. C’est ce que propose la société Voltalis, principal acteur en France. Plus petite et plus récente, on peut aussi citer Tiko, entreprise suisse devenue filiale d’Engie. Néanmoins, dès février, son thermostat sera payant, pour tirer parti du « Coup de pouce thermostat ». Elle financera cependant le reste à charge, si bien que le particulier n’aura toujours rien à payer.
Dans les deux cas, le thermostat peut être installé quel que soit le fournisseur d’électricité. Les deux entreprises fonctionnent avec un réseau d’installateurs agréés. Ils équipent, à domicile, chaque radiateur d’un petit module, doté d’un capteur de température, plus un module de communication dans le logement, relié à la 4G. Le tout permet alors de suivre ses consommations de chauffage en temps réel depuis une application mobile, mais aussi de piloter ses radiateurs à distance et pièce par pièce.
La contrepartie : l’effacement diffus
La panacée ? Pas tout à fait. Car en échange de ce thermostat gratuit, le foyer accepte que ses radiateurs puissent être baissés par Voltalis et Tiko, directement et sans prévenir. « Certaines journées, on le fait 10 à 15 fois, d’autres seulement 3, en fonction du besoin et des prix du marché », indique Myriam Bruet, directrice générale de Tiko. C’est ce qu’on appelle l’effacement diffus. « Contrairement au gaz, l’électricité ne se stocke pas ou très difficilement, si bien qu’il faut en tout instant assurer l’équilibre de notre système électrique, entre l’offre et la demande », explique Mathieu Bineau, directeur général de Voltalis. L’équation est surtout complexe l’hiver, lorsque le chauffage est poussé à son maximum. L’État peut alors jouer sur l’offre, en important de l’électricité de chez nos voisins ou en mettant en route des capacités de production supplémentaires. Le plus souvent nos centrales thermiques, au gaz ou au charbon, ce qui ne va pas sans émissions de gaz à effet de serre.
L’autre option est de faire baisser la demande d’électricité. L’effacement en est un des leviers. Avec 200 000 foyers équipés, Voltalis contrôle ainsi 1,2 million de radiateurs, soit l’équivalent d’une puissance d’un peu plus de 500 mégawatts-crête (MWc). De quoi soulager RTE. Lorsqu’il anticipe un pic de consommation électrique, le gestionnaire du réseau peut demander à Voltalis et Tiko de mobiliser leurs capacités d’effacement. « Cela est arrivé deux fois depuis le début de l’année », indique la première. En parallèle, Voltalis et Tiko interviennent plusieurs fois par jour sur les radiateurs de leurs clients et vendent alors ces capacités d’effacement sur les marchés de l’électricité.
Pas un dispositif d’économies d’énergie
Voilà comment ces opérateurs d’effacement peuvent proposer des thermostats connectés gratuits. Le modèle fait tiquer. L’UFC-Que Choisir l’avait notamment vivement critiqué en janvier 2015, en dénonçant le fait que les primes versées par RTE aux opérateurs d’effacement soient financées sur des taxes payées par l’ensemble des ménages. « Les grands gagnants de cet effacement diffus ne sont même pas les ménages équipés, puisque l’effacement n’est pas un dispositif d’économies d’énergie », signalait-on également. Un point que confirme Myriam Bruet : « L’effacement en tant que tel ne fait pas faire d’économies. Il s’agit juste d’un report de consommation. » Pour convaincre les foyers de s’équiper, Tiko met alors en avant le suivi et le pilotage pièce par pièce des consommations de chauffage que permet son thermostat connecté. Elle promet jusqu’à 25 % d’économies sur la facture de chauffage. Il s’agit bien d’une moyenne. Pour un ménage qui faisait déjà attention à ses économies de chauffage, les gains seront forcément moins importants.
Le discours est tout autre chez Voltalis, où l’on assure que l’effacement permet bien de faire des économies d’énergie. « De l’ordre de 8 %, indique Mathieu Bineau. Dans les effacements que nous faisons au quotidien, nous intervenons sur des temps très courts, d’une dizaine de minutes en moyenne, et sur des baisses de températures très faibles, de l’ordre de 0,1 °C, ce que les autres opérateurs ne savent pas toujours faire. On profite alors de l’inertie thermique du bâtiment qui réduit la consommation d’énergie nécessaire pour retrouver la température de la pièce avant notre intervention. » En additionnant effacement et pilotage des radiateurs, Voltalis promet, en moyenne, 15 % d’économies, mais raisonne ici sur la facture d’électricité globale d’un foyer. La promesse est alors à peu près la même que celle de Tiko. Mais pour l’une comme pour l’autre de ces sociétés, impossible de vérifier la réalité des économies réalisées par les utilisateurs.
Gagnant-gagnant ?
Alors faut-il malgré tout se laisser séduire ? S’ils étaient vendus plutôt qu’installés gratuitement, les thermostats connectés de Voltalis et Tiko coûteraient plusieurs centaines d’euros. « 750 € pour le cas de figure classique, un foyer avec entre 5 et 6 radiateurs à équiper », évalue Myriam Bruet. « S’il était rémunéré pour la capacité d’effacement de ses radiateurs, il faudrait compter de longues années avant qu’un foyer puisse gagner 750 € », compare Nicolas Goldberg, expert énergie au cabinet Colombus Consulting, qui juge alors plutôt intéressantes les offres de Voltalis et Tiko.
D’autant plus que ces deux opérateurs le promettent : ces coupures d’électricité passent inaperçues pour les particuliers. « Elles durent 10 minutes en moyenne, la température n’a le temps de baisser que de quelques dixièmes de degrés », assure Mathieu Bineau. « On s’interdit de réduire de plus de 1 °C la température d’une pièce pour être certains de ne pas toucher au confort des occupants », certifie de son côté Myriam Bruet. Rares sont les avis clients en ligne pour Tiko. En revanche, il y en a plus de 3 000 pour Voltalis sur Google. Une majorité de 4 et 5 étoiles, mais il y a aussi des clients déçus. Toutefois, leurs critiques ne portent pas tant sur l’effacement en tant que tel, mais plus sur des difficultés à programmer les radiateurs via le thermostat connecté ou des problèmes rencontrés après le passage de l’installateur.
Quoi qu’il en soit, l’effacement diffus devrait monter en puissance, à mesure que croît l’urgence de sortir des énergies fossiles et celle de développer les énergies renouvelables. Reste à savoir si les Français seront prêts à laisser ces opérateurs prendre la main sur leurs radiateurs. Pas si simple, si on en juge par la levée de boucliers qu’avait suscité le déploiement des compteurs Linky.
(1) La ministre donnait cette fourchette pour un thermostat connecté et l’équipement en variateurs de 3 ou 4 radiateurs. Pour un thermostat programmable mais non connecté, la fourchette varie, selon l’Agence de la transition écologique (Ademe), entre 60 et 250 € auxquels il faut ajouter 150 à 300 € pour la pose.