Morgan Bourven
La pression des joueurs a payé
Game over pour les « loot boxes », ces caisses de butin au contenu aléatoire accordant parfois des avantages importants aux joueurs. Après la polémique suscitée par la présence de cette mécanique dans plusieurs grosses sorties en 2017, les éditeurs ont décidé de s’en passer pour éviter de se mettre les joueurs à dos.
L’E3, le plus grand salon du monde consacré aux jeux vidéo, a ouvert ce mardi à Los Angeles (États-Unis). L’occasion pour les constructeurs et éditeurs de présenter leurs projets, les jeux qui sortiront dans les prochains mois et leur vision des évolutions d’un secteur qui se porte très bien : il a dépassé les 120 milliards de dollars de revenus en 2017. Trois jours de show et de paillettes où l’on entendra donc peu parler des loot boxes, cette mécanique de micro-paiement qui a créé la polémique en fin d’année dernière.
Pour rappel, elle consiste à intégrer dans un jeu vidéo des achats avec gains aléatoires : ils peuvent être purement cosmétiques (tenues, musiques…) ou donner des avantages en jeu (armes, armures, pouvoirs…). Si ce procédé est accepté dans les jeux gratuits, il passe moins dans des productions vendues jusqu’à 70 € dans le commerce. En particulier quand le joueur a l’impression que le jeu a été paramétré afin que ces achats supplémentaires soient quasiment indispensables pour en voir la fin.
L’une des grosses sorties de la fin 2017, Star Wars Battlefront II, un jeu de tir principalement jouable en ligne, prévoyait un tel système de déblocage de contenus. Face aux critiques de l’UFC-Que Choisir et des joueurs, qui craignaient que ceux ayant sorti leur carte bancaire soient injustement avantagés lors des joutes virtuelles, son éditeur Electronic Arts a annoncé le retrait de ce dispositif. Quelques mois plus tard, l’éditeur Warner Bros Interactive Entertainment a aussi annoncé la fin des loot boxes dans le jeu La Terre du Milieu : L’Ombre de la Guerre, sorti en octobre.
Ces revirements montrent que le pouvoir est dans la main des consommateurs, qui peuvent faire pression… avec leur porte-monnaie. Electronic Arts a annoncé en janvier n’avoir distribué que 7 millions d’exemplaires de Star Wars Battlefront II, contre 13 millions pour le premier exemplaire sur la même période. Une contreperformance que l’éditeur a reliée à la polémique sur les micro-transactions. Lors de sa conférence pré-E3, le samedi 9 juin, la société américaine a donc insisté sur le fait que les loot boxes seront absentes de ses prochaines productions majeures, Battlefield V et Anthem. Les achats intégrés seront strictement cosmétiques.
« Personne ne veut être le prochain Battlefront II », a résumé le journaliste américain Jason Schreier, du site Kotaku, après des discussions avec de nombreux développeurs de grands studios, comme BioWare ou le français Ubisoft. « Plus personne ne va oser faire du pay-to-win. Nous n'avons pas pris à la légère toutes les controverses sur les loot boxes », lui a soufflé un développeur de Battlefield V.
Si la pression des joueurs a limité les ardeurs des éditeurs, les autorités continuent de travailler sur le sujet. Coup sur coup, en avril, l’Autorité néerlandaise des jeux (Kansspelautoriteit) et la Commission belge des jeux de hasard ont annoncé que, selon elles, les caisses de butin présentes dans certains jeux s’inscrivent bel et bien dans la catégorie des jeux de hasard. Le ministre belge de la Justice a menacé les éditeurs de sanctions pénales si les discussions pour réguler ces pratiques n’aboutissent pas. Du côté des Pays-Bas, les éditeurs de quatre jeux à succès (FIFA 18, Dota 2, PUBG et Rocket League) ont jusqu’au 20 juin pour revoir la présentation de leurs mécaniques de loot boxes sous peine de sanctions pouvant aller jusqu’à une interdiction de vente sur le territoire. En France, l'Autorité de régulation des jeux en ligne (Arjel), interpellée par l’UFC-Que Choisir, a noté l'apparition d'une « dérive préoccupante », mais sans pour l’instant livrer ses conclusions.