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Glyphosate

De nouvelles données décrédibilisent l’évaluation du risque

Des agences réglementaires européennes ont publié en septembre une réévaluation apparemment rassurante des effets du glyphosate sur la santé. Mais une analyse de ce rapport réalisée par l’association Générations Futures met en doute la fiabilité de cette conclusion.

« Aucune classification de danger cancérogène n’est justifiée pour le glyphosate », juge un rapport préliminaire publié en septembre dernier sur le site Internet de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa). Que cet herbicide soit cancérogène ne serait donc, d'après les auteurs, ni probable, ni même possible.

Cette conclusion, rédigée par un groupe d'experts nommés par quatre agences réglementaires nationales (dont l'Anses, française) a certainement ravi l’agrochimie et l’agro-industrie, puisqu’elle offre la possibilité à la Commission européenne de prolonger ‒ d’ici fin 2022 ‒ l’autorisation d’emploi de ce best-seller mondial. Mais une analyse critique de ce rapport, réalisée par l’association Générations Futures, vient renforcer le doute – déjà soulevé par plusieurs polémiques passées ‒ concernant sa fiabilité. L’ONG, connue pour son combat contre les pesticides de synthèse, s’est en effet plongée dans une partie des documents de plusieurs milliers de pages rédigés par les agences réglementaires, et en conclut à un « rapport gravement biaisé » (1), du fait d’une prise en compte de la littérature scientifique « non équitable entre les études universitaires et celles de l’industrie ».

Défauts méthodologiques

Selon Générations Futures, sur les plus de 5 000 publications académiques évoquant les effets sanitaires du glyphosate identifiées par les auteurs du rapport, moins de 100 auraient finalement été retenues comme pertinentes et suffisamment fiables pour les aider à juger des éventuels dangers du produit. Alors que, « à l’inverse, une majorité des études fournies par les producteurs de cet herbicide sont jugées assez robustes », compare Pauline Cervan, chargée de missions scientifiques et réglementaires pour Générations Futures et principale auteure de cette analyse critique. Résultat : « Les publications académiques se retrouvent noyées dans un nombre beaucoup plus important d’études fournies par les industriels. »

Et cet avantage donné aux résultats d’expérimentations fournis par les producteurs ne se justifie pas scientifiquement, si l’on en croit l’association. Car au-delà même du biais dont souffrent ces travaux ‒ les fabricants de glyphosate ayant tout intérêt à présenter des résultats rassurants ‒, leur méthodologie laisserait aussi souvent à désirer. Générations Futures cite l’exemple de dix études d’industriels menées sur des rongeurs pour évaluer les effets du glyphosate sur l’ADN, et qui ont été jugées fiables et pertinentes par les experts des agences réglementaires. Parmi ces dernières, neuf reposeraient sur l’analyse d’un nombre de cellules inférieur à celui recommandé par l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), qui sert de référence à ces agences. Et une seule aurait fourni la preuve que les cellules en question avaient bien été exposées au glyphosate, contrairement aux recommandations méthodologiques de l’Efsa.

Bibliographie incomplète

À l’inverse, de nombreuses études académiques rejetées ne méritaient peut-être pas ce sort : pour identifier les dangers, le groupe d’évaluation du glyphosate n’aurait pris en compte ni les publications s’intéressant aux effets de ce produit sur des animaux non-mammifères, ni celles analysant ses mécanismes d’action au niveau moléculaire et cellulaire, ni celles réalisées hors de l’Union européenne, ni encore celles étudiant les effets d’herbicides à base de glyphosate non autorisés sur le Vieux Continent.

Autant d’études qui ont pourtant été jugées utiles par le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) pour réaliser sa propre analyse et conclure, en 2015, que le glyphosate est probablement cancérogène. Des études également prises en compte par un comité d’experts, nommé par l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) pour évaluer les effets sanitaires des pesticides, et qui concluait, en juin dernier, à un « niveau de présomption moyen » concernant la capacité du glyphosate à provoquer des lymphomes non hodgkiniens (un cancer de la lymphe).

Silence des experts

Les critiques émises à l’encontre de cette évaluation officielle du risque ne sont pas nouvelles. L’association PAN Europe (dont fait partie Générations Futures) avait par exemple déjà mis en doute, en juin dernier, la fiabilité de l’évaluation de l’Efsa concernant 12 autres pesticides, et l’Endocrine Society, une société savante réunissant des milliers de chercheurs à travers le monde, avait en début d’année fortement critiqué l’avis de l’Efsa sur la manière d’évaluer les risques liés à l’exposition à de faibles doses de produits (2).

Les institutions scientifiques, elles, préfèrent se taire. L’Inserm et le Circ, contactés, ont refusé de commenter les différences qui séparent leur méthodologie de celle employée par les agences réglementaires. Quant à l’Agence française en charge de la sécurité sanitaire de l’alimentation (Anses), elle a mené, entre 2015 et 2016, une analyse critique de la fiabilité de l’évaluation du risque menée au niveau européen… mais il reste impossible d’en connaître la teneur, ce travail n’ayant finalement « pas été mené à son terme », d’après l’agence. De récentes révélations du journal Le Monde suggèrent plutôt que ce rapport aurait été « enterré ».

Dans ce contexte, la conclusion d’absence de risque cancérogène n’a pas rassuré les opposants au glyphosate : quelques semaines après sa publication, 37 organisations de la société civile (dont Générations Futures et l’UFC-Que Choisir) lançaient une nouvelle pétition appelant à l’interdiction de cet herbicide.

(1) Rapport de Générations Futures (fichier PDF)
(2) Rapport d’Endocrine Society (fichier PDF)

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