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Loi Création et Internet

Adoptée en catimini

Malgré les mises en garde répétées des opposants au projet, malgré l'intensité des débats, malgré les incohérences techniques soulevées à maintes reprises, les députés ont adopté le projet de loi Création et Internet. Pour s'assurer de l'issue du vote, le gouvernement avait pris soin, avant de procéder au vote dans la précipitation, de vider l'hémicycle de toute opposition. Une leçon de démocratie et de courtoisie.

Il eût été difficile pour le gouvernement de faire montre d'une plus grande élégance. Jeudi, tard dans la soirée, alors que l'hémicycle s'était vidé de ses membres - notamment des plus réticents - l'Assemblée nationale a décidé, contre toute attente, de procéder au vote du projet de loi Création et Internet. C'est donc à main levée que les 16 (!) députés présents ont adopté le texte, alors que le vote solennel n'était pas attendu avant mardi, après les traditionnelles questions au gouvernement. « Le vote solennel permet pourtant à chaque député, même s'il n'a pas suivi les débats, de pouvoir affirmer sa position par un vote nominatif, qui permet aux électeurs de connaître sa position », expliquait aussitôt sur son blog le député UMP Lionel Tardy, opposé au projet. « Certains de mes collègues non présents souhaitaient s'abstenir lors de ce vote solennel », précise le député de Haute-Savoie. De fait, la méthode permet au gouvernement de camoufler l'abstention attendue dans ses propres rangs.

Version la plus répressive

Au lendemain de cette adoption précipitée, c'est la consternation. Malgré les mises en garde répétées des opposants au projet, malgré l'intensité des débats, malgré les incohérences techniques soulevées à maintes reprises, la loi a été votée dans sa version la plus répressive et au mépris des droits fondamentaux. La riposte graduée, instaurée par la loi, intègre ainsi la sanction ultime de la coupure de l'accès à Internet (pour une durée de 2 mois à 1 an). La fronde des eurodéputés, qui la semaine dernière assimilaient la coupure de l'accès au non-respect d'une liberté fondamentale, n'y aura rien changé.

Le texte prévoit également que les internautes qui protègent leur accès avec les outils de filtrage labellisés par l'Hadopi (l'autorité chargée de faire appliquer la riposte graduée) pourront se dégager de toute responsabilité s'ils sont sanctionnés. Sur ce point, lors des débats, Christine Albanel s'était illustrée en confondant un firewall et un logiciel libre. Mais plus effrayante encore que la méconnaissance technique de la ministre de la Culture, la loi prévoit d'instaurer une connexion permanente entre les logiciels de sécurisation et un serveur distant. « Tous les ordinateurs de notre pays seront sous la surveillance d'un FAI. C'est Big Brother », analysait ainsi la députée Martine Billard (Verts). De surcroît, contraindre les utilisateurs à installer un logiciel, fût-il « labellisé », ne va pas dans le sens des libertés individuelles...

70 millions d'euros à trouver

Reste par ailleurs en suspens l'épineuse question du financement de la riposte graduée. Car si la ministre de la Culture a désigné les fournisseurs d'accès à Internet pour le financement du dispositif, eux ne l'entendent pas de cette oreille. La Fédération française des télécoms (FFT) a d'ailleurs immédiatement réagi. « Comme cela a été justement rappelé dans l'hémicycle, et conformément au principe d'égalité devant les charges publiques, principe constitutionnel fondateur du droit français, l'État n'a pas à faire peser financièrement sur les opérateurs les coûts d'une mission d'intérêt général étrangère à l'activité de ces mêmes opérateurs », explique-t-elle dans un communiqué. Et la facture s'annonce salée. Il faudra trouver plus de 70 millions d'euros (1) pour la refonte des systèmes d'information et de facturation des FAI nécessaire à la mise en oeuvre de la suspension de l'accès à Internet.

(1) Selon un rapport du Conseil général des technologies de l'information (CGTI), mars 2009.

Camille Gruhier

Camille Gruhier

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