DÉCRYPTAGE
Streaming musical

Autant de morceaux que vous voulez

Le streaming musical s’installe durablement en France. Simple, pratique et bon marché, il s’annonce comme la solution pérenne à la musique numérique. Mais tout le monde n’y trouve pas son compte.

Il y a bien longtemps que François n’a pas flâné chez un disquaire. L’époque où ce trentenaire parisien achetait des CD est bel et bien révolue. Pour constituer sa bibliothèque, il y a d’abord eu le téléchargement légal sur iTunes, puis une autre forme de téléchargement (gratuit… mais moins avouable). Désormais, c’est en streaming – et en toute légalité – qu’il écoute ses musiques préférées.

Quelques euros pour des millions de titres

Le streaming est un mode de diffusion par Internet grâce auquel on peut lire un fichier sans l’avoir téléchargé au préalable sur son ordinateur. La chanson, ou la vidéo (car le streaming fonctionne aussi pour la vidéo), est stockée sur un serveur distant et diffusée en continu sur l’ordinateur de l’utilisateur, portée par Internet. Deux sites de streaming ont initié le mouvement, il s’agit de Deezer, lancé par une société française en 2007, et du suédois Spotify, né un an avant. Aujourd’hui, ils ne sont plus seuls. Qobuz, Napster, Google Play Musique, SoundCloud, GroveShark, Pandora, Jamendo, MusicMe et bien d’autres les ont rejoints. Preuve que la tendance est inéluctable, le plus célèbre des disquaires a fini par lancer son service Fnac Jukebox en mars dernier.

Certains de ces sites sont généralistes, d’autres spécialisés sur les labels indépendants ou encore en musique classique. Quelques-uns sont entièrement gratuits, mais le schéma dominant veut que deux offres soient proposées aux consommateurs : l’écoute gratuite, restreinte et entrecoupée de publicités, et l’abonnement à 5 ou 10 € par mois, illimité sans aucune publicité. Il faut, bien sûr, disposer d’une connexion à Internet, mais il est également possible, dans le cadre des offres payantes proposées, de stocker temporairement des fichiers sur son smartphone pour les écouter dans le train ou l’avion. Autrement dit, en payant pour un service de streaming musical, vous profitez chez vous et dans votre poche d’un catalogue de millions de titres disponibles à tout moment. Il suffit de saisir un artiste ou un titre dans le moteur de recherche pour lancer la musique. Mais vous pouvez également vous laisser guider par les suggestions du site, en fonction de vos goûts ou de l’actualité, ou bien encore écouter des playlists confectionnées par ses « experts ». Nous avons testé cinq des principaux services disponibles pour évaluer la richesse de leur catalogue, la clarté des instructions données au moment de l’inscription, puis à l’usage, l’ergonomie générale, la qualité des contenus suggérés.

Montée en puissance

Deezer et Spotify ont essuyé les plâtres de ce marché alors naissant. Ils ont d’abord dû convaincre les maisons de disques de leur ouvrir leur catalogue, alors qu’ils étaient marqués au fer rouge par des années de téléchargement illégal. Ils ont ensuite dû initier et séduire les consommateurs. Aujourd’hui, des millions d’entre eux ont franchi le pas et ne reviendraient pas en arrière. Le streaming détourne même du téléchargement illégal : quelques euros mensuels valent largement le confort du service. Spotify revendique 40 millions d’utilisateurs dans le monde, dont un quart a souscrit un abonnement payant. Deezer s’impose en France, notamment grâce à un partenariat avec Orange, dont certaines offres mobiles et Internet intègrent le service. En 2013, pour la première fois, les ventes de musique en téléchargement ont baissé, alors que la musique en flux continuait sa progression. Selon la Fédération internationale de l’industrie phonographique (IFPI), le streaming représente à ce jour 27 % des parts de marché de la musique numérique (contre 67 % pour le téléchargement légal), soit 28 millions d’abonnés payants dans le monde. Les disques et autres supports physiques représentent encore la moitié du marché de la musique. Mais, conscients que le streaming est désormais incontournable, les fabricants de chaînes hi-fi s’adaptent. Les nouvelles générations d’équipements n’ont même plus besoin de support vinyle, CD ou clé USB : elles sont directement compatibles avec les sites de streaming ! Sonos a, par exemple, passé des accords avec Google Play Musique et Qobuz, certaines enceintes sans fil Philips permettent d’écouter Deezer et Spotify.

Musique en location

Facile, pratique, légal et bon marché… Le streaming serait donc capable de satisfaire l’industrie musicale et les consommateurs ? Ce n’est pas si simple. Recourir à un site de streaming, c’est d’abord accepter de ne plus posséder sa musique. Pas de réseau, pas de musique. Plus d’accord entre le site et la maison de disques, plus de musique. Vous résiliez votre abonnement pour rejoindre un autre service ? Plus de playlist. Bref, la musique en flux est instable, contrairement à votre indéboulonnable CD-thèque. De plus, même si les sites de streaming promettent un son en « qualité CD », la compression audio entraîne mécaniquement une perte. Cette dégradation n’est pas toujours flagrante pour des oreilles non professionnelles, mais elle gênera probablement les audiophiles exigeants (qui auront tout intérêt à opter pour une offre de qualité vraiment supérieure, comme Qobuz).

Une histoire de gros sous

Reste que, malgré leur succès (Deezer et Spotify ont dépassé le milliard de dollars de chiffre d’affaires en 2013), les sites de streaming ne sont pas rentables. Mais leur potentiel est tel que les investisseurs injectent des millions pour les maintenir à flot, espérant toucher le jackpot un jour ou l’autre. En 2012, Len Blavatnik, un financier russe, a investi 100 millions d’euros dans la société Deezer ; la même année, Spotify a récolté autant auprès de Goldman Sachs, Coca-Cola et du fonds Fidelity Investments. Pour les satisfaire, les sites doivent recruter le plus de clients possible et, surtout, les convertir ensuite à une offre payante.

Seulement, pour attirer un très large public, Deezer, Fnac Jukebox ou Spotify ont tendance à mettre en avant essentiellement les tubes du moment, ceux qui tournent déjà en boucle sur les stations de radio commerciales. Aussitôt que l’on effectue une recherche pointue concernant un artiste de jazz ou de musique classique, l’offre des gros sites devient nettement plus chiche, voire inexistante. Seul Qobuz répertorie par exemple le mythique enregistrement de la Neuvième de Beethoven lors du festival de Bayreuth de 1951. Chez les autres, le musicien est… inconnu !

Cette stratégie va dans le sens des investisseurs, mais aussi des maisons de disques, rémunérées en fonction du nombre d’écoutes de leurs artistes. Évidemment, les gros vendeurs comme Rihanna ou Stromae en profitent : grâce à leur succès, on les retrouve en une des sites de streaming ; ils sont donc très écoutés et gagnent beaucoup d’argent (majors et artistes ont des accords de rémunération de gré à gré). En revanche, les chanteurs et musiciens moins en vue ne touchent que quelques centimes lorsqu’une bonne âme (un amateur éclairé…) prend le temps de les chercher au fond du catalogue. Parce qu’ils n’y trouvent pas leur compte, certains artistes refusent catégoriquement que leurs disques soient référencés. Les Beatles, Jean-Jacques Goldman ou encore Francis Cabrel sont absents des plates-formes. C’est peut-être également une question de génération.

Camille Gruhier

Camille Gruhier

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