Anne-Sophie Stamane
Haro sur les complémentaires
Trop chères, peu efficaces, redondantes avec l’assurance maladie : dans son Livre (très) noir des mutuelles, Daniel Rosenweg pose un diagnostic sévère sur le rôle et le coût des complémentaires santé.
La facture de l’assurance santé ne cesse de s’alourdir pour les ménages. Nous sommes bien placés pour le savoir : l’UFC-Que Choisir scrute chaque année les appels de cotisations des complémentaires santé. Dans son Livre (très) noir des mutuelles, Daniel Rosenweg, longtemps journaliste au Parisien et spécialiste en économie de la santé, partage notre constat. Et en rajoute une sacrée louche. Son analyse est cinglante. Pour lui, la hausse constante des tarifs ces dernières années est indéfendable : la taxe Covid imposée par l’État, avancée comme prétexte, ne couvre pas, loin de là, les substantielles économies engrangées par les complémentaires tout au long de la crise sanitaire. Et les plafonds de prix et de remboursement instaurés à l’occasion du 100 % santé modèrent leurs charges sur les postes qui leur reviennent traditionnellement…
Nombreuses inégalités
L’inflation, note l’auteur, ne touche pas tous les foyers de la même façon : les bénéficiaires de contrats collectifs d’entreprise sont mieux protégés des hausses, quand celles et ceux qui n’ont d’autre choix que de se couvrir à titre individuel sont pleinement exposés. Entre les fonctionnaires, les personnes à la retraite, au chômage ou sous statut indépendant, 30 millions de personnes sont concernées ! Alors même que les remboursements leur sont moins favorables… C’est l’une des inégalités générées par les complémentaires, mais pas la seule : 11 millions de personnes ne sont pas couvertes ou ont besoin de l’aide de l’État pour le faire.
Au total, a calculé Daniel Rosenweg, les complémentaires ont collecté en 2019 38,4 milliards d’euros par an, et n’en ont reversé que 30,3 milliards sous forme de prestations. Ce qui ne les a pas empêchées de renchérir leurs tarifs. Là encore, les contrats individuels affichent les taux de redistribution les plus faibles : les prestations ne représentent parfois pas plus de 60 % des cotisations payées.
Frais de gestion et frais d’acquisition
Où vont les 8 milliards de différence, s’ils ne servent pas à modérer les cotisations ? Aux frais de gestion, qui doublonnent avec ceux de l’assurance maladie, et aux frais d’acquisition, c’est-à-dire la publicité : les contrats se ressemblent tous, il faut bien se distinguer, fut-ce artificiellement. Plus surprenant, les excédents financent aussi des investissements dans de prestigieux vignobles et des événements sportifs médiatiques.
Heureusement, aujourd’hui, les clients des mutuelles sont moins démunis qu’avant. La résiliation à tout moment, après un an d’adhésion, est un atout considérable pour se défaire d’un contrat dont le prix augmente trop fortement à chaque échéance. La publication obligatoire du taux de redistribution, à savoir la part des cotisations reversée sous forme de prestations, est également précieuse pour choisir son nouveau contrat. Elle n’est pas toujours respectée.
« Grande Sécu »
Au-delà de ces éléments d’aide au choix, Daniel Rosenweg plaide pour une refonte totale du système de financement des soins. Regrettant le choix historique de favoriser l’essor des complémentaires, plutôt que d’augmenter les cotisations afin que l’assurance maladie soit en mesure de mieux financer les soins, il pointe vers le système en vigueur en Alsace-Moselle : un système d’assurance maladie obligatoire, plus protecteur que notre couverture classique. Son taux de redistribution est de 99 %. En 2020, les comptes étaient excédentaires. La position de l’auteur est dans l’air du temps : une « grande Sécu » fait partie des pistes explorées par le Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM), missionné par le gouvernement, dont les conclusions seront rendues publiques dans quelques semaines.