Benjamin Douriez
Encore et toujours du greenwashing
Pour la plupart des experts, les promesses de neutralité carbone affichées sur des produits relèvent du greenwashing. Certaines entreprises, comme la Poste ou Nespresso, l’ont discrètement abandonné. D’autres comme Apple ou Volvic persistent.
Des tomates cerises importées du Maroc en plein hiver peuvent-elles être écolos ? Jusqu’à récemment, celles vendues en grande distribution sous la marque Azura affichaient la belle promesse « 100 % neutre en carbone » sur leurs barquettes… tout en plastique ! Depuis quelques semaines, l’emballage a changé : outre l’adoption du carton, le logo censé rassurer sur l’impact climatique a disparu. Un abandon définitif ? Ce gros importateur basé à Perpignan n’a pas répondu à nos questions. Toujours est-il que la promesse d’une barquette de tomates « 100 % neutre en carbone » est encore visible sur son site web, quand bien même celle-ci parcourt 2 500 km avant d’arriver sur les étals… Illustration typique des allégations de neutralité carbone, qui donnent l’illusion d’une absence d’impact sur le climat, même lorsqu’elles s’affichent sur des produits dont la planète en surchauffe gagnerait à se passer. Bref, c’est une énième forme de greenwashing.
Apple s’offre un logo « neutre en carbone »
Une directive européenne prévoit leur interdiction quasi totale, mais elle ne sera pas applicable avant 2026. En attendant, la France s’est contentée d’encadrer leur utilisation début 2023. Une marque vantant sa neutralité carbone doit publier une batterie d’indicateurs sur ses émissions de gaz à effet de serre, ses objectifs de réduction et les modalités pour compenser les émissions restantes. Malheureusement, ces exigences sont loin d’avoir refroidi toutes les ardeurs.
Apple a récemment rejoint le camp des utilisateurs du slogan controversé, en vantant « le premier produit Apple neutre en carbone » à l’occasion de la sortie de sa nouvelle gamme de montres connectées Apple Watch. La marque à la pomme a même pris soin de créer un logo « carbon neutral » (neutre en carbone) évoquant des pétales de fleur, et de le protéger en le déposant auprès de l’Institut national de la propriété intellectuelle.
L’allégation est aussi utilisée par des marques d’eau en bouteille depuis quelques années, comme Volvic (groupe Danone) ou Wattwiller (groupe belge Spadel). Nul ne doute, pourtant, que le meilleur choix pour le climat soit de boire de l’eau du robinet.
La compensation des émissions, un « jeu d’écriture comptable »
Tant Apple que Volvic et Wattwiller publient bien les informations exigées par la récente réglementation française sur leur site web. Ces documents (des PDF touffus de 15 à 20 pages) détaillent les efforts de réduction engagés : recours aux énergies renouvelables dans les usines, utilisation de matières recyclées… Ils listent aussi les projets censés absorber le carbone émis malgré tout, financés via l’achat de crédits carbone. Par exemple, l’installation d’éoliennes en Turquie (Wattwiller) ou la protection de forêts et de landes au Pérou (Volvic).
On touche ici au cœur des critiques : toutes les promesses de neutralité carbone reposent sur ce mécanisme de compensation, consistant à sortir le chéquier pour racheter la part des émissions de gaz à effet de serre que l’entreprise ne parvient pas à éviter. Or, « il n'est pas possible de prouver qu'un crédit carbone peut neutraliser de manière fiable une tonne de CO2 émise », dénonce Lindsey Otis Nilles, de l’ONG Carbon Market Watch. « La compensation est un jeu d’écriture comptable qui permet, virtuellement, de rendre neutre en carbone n’importe quel produit, y compris un SUV de 2,5 tonnes ou un jet privé », abonde César Dugast, expert au sein du cabinet de conseil Carbone 4. Sans compter que l’efficacité réelle des projets de compensation est de plus en plus souvent remise en cause.
La Poste change le slogan de ses Colissimo
La promesse de neutralité carbone peut même avoir un impact délétère, en servant de moteur aux ventes. « Le consommateur comprend qu’il peut acheter de façon déculpabilisée, le produit étant censé ne poser aucun problème climatique », analyse César Dugast. Face à la montée des critiques et aux risques de poursuites (comme celles engagées par l’UFC-Que Choisir et ses homologues européens contre des compagnies aériennes), certaines entreprises renoncent. « Mais l’abandon de ce type d’allégations n’est pas assez rapide », déplore Lindsey Otis Nilles.
Nespresso, générant des montagnes de capsules à recycler, a arrêté de présenter son café comme neutre en carbone. « Une décision effective à partir de début 2022 », assure la marque. De son côté, la Poste a discrètement escamoté le slogan « livraison neutre en carbone » utilisé sur son site Internet pour les Colissimo. Courant 2023, elle l’a remplacé par « livraison responsable ». Il s’agit là de la conséquence directe de la nouvelle réglementation, « le développement des arguments justificatifs » étant difficile à concilier avec « l'espace-temps disponible en publicité », justifie une porte-parole du groupe postal.
Dans un avis publié en mars 2022, l’Agence de la transition écologique (Ademe) recommandait aux entreprises d’abandonner la « communication sur la prétendue neutralité de leur produit ou service ». Pour vanter leurs efforts (parfois bien réels) de décarbonation, l’Ademe leur conseille l’usage des formules du type : « Empreinte carbone réduite de 15 % en 3 ans ». Des slogans plus modestes, mais moins illusoires.
Avec l’Apple Watch, la réalité en retard sur les slogans
Pour vanter ses premières Apple Watch « neutres en carbone », Apple ne lésine pas sur la mise en scène, au point d’invoquer Dame Nature dans un clip vidéo (1). Pourtant, comme pour les autres marques utilisant cette allégation, la neutralité n’est que comptable : chacun des modèles concernés pèse 8,1 kg équivalent CO2 chacun, qu’Apple doit compenser par l’achat de crédits carbone.
Pire : la promesse ne s’applique qu’à certaines configurations de la montre connectée. Ainsi pour la nouvelle Apple Watch Series 9, le boîtier en aluminium est concerné, pas celui en acier. Et selon notre décompte, sur les 52 types de bracelets proposés de différentes matières et couleurs, seuls 5 pourraient se revendiquer neutres en carbone ! Les autres modèles représentent en moyenne 29 kg équivalent CO2… sans achat de crédits carbone pour compenser. La marque a promis de rendre tous ses produits neutres en carbone d’ici 2030.
(1) www.youtube.com/watch?v=xLyh8H3QPrM