Fabrice Pouliquen
Une explosion des factures à craindre avec l’arrivée d’un second marché carbone ?
Un second marché carbone verra le jour au 1er janvier 2027 dans l’Union européenne, sur les secteurs de la route et du bâtiment. La Cour des comptes chiffre à plusieurs centaines d’euros par an le surcoût sur les factures des ménages et presse le gouvernement de réfléchir aux ajustements nécessaires pour éviter de telles hausses.
1er janvier 2027. L’échéance paraît encore lointaine, mais quand il s’agit de préparer, en France, l’extension du marché carbone européen aux secteurs de la route et du bâtiment, mieux vaut s’y pencher au plus vite. Dans un rapport sur la fiscalité de l’énergie, publié le 6 septembre (1), la Cour des comptes presse en tout cas le gouvernement d’agir, en rappelant que l’instauration de ce nouveau système de quotas d’émissions « aura des impacts potentiellement significatifs certes encore incertains » sur le budget des consommateurs et sur les finances publiques.
Donner un prix à la tonne de CO2
Le mécanisme n’est pas nouveau. Un marché carbone existe dans l’Union européenne (UE) depuis 2005 et couvre les secteurs industriels grands consommateurs d’énergie (sidérurgie, cimenterie, papeterie, engrais…), la production d’électricité et, depuis 2012, l’aviation civile. Un quota annuel d’émissions de CO2 à ne pas dépasser est fixé pour chacun de ces secteurs, avant d’être partagé entre les différents acteurs économiques qui les composent. Ces quotas sont distribués soit gratuitement, soit par une mise aux enchères. Une fois ce cadre posé, les entreprises qui émettent moins que le plafond d’émission qui leur a été fixé peuvent revendre ce surplus sur ce marché carbone. Et inversement.
Un marché carbone permet ainsi de donner un prix aux émissions de CO2 et d’inciter les acteurs économiques concernés à en émettre le moins possible pour ne pas perdre leur compétitivité. Enfin, en théorie. Longtemps, ce marché carbone européen n’a pas eu les effets escomptés en raison notamment d’un trop grand nombre de quotas gratuits distribués : le prix de la tonne de CO2 a désormais un prix trop bas pour qu’il ait un réel impact.
200 à 650 € supplémentaires pour les ménages
Il n’empêche, l’Union européenne continue de faire du marché carbone un outil clé pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre. Parmi les 13 mesures du Fit for 55, son plan de bataille pour atteindre son nouvel objectif en la matière (-55 % d’émissions de gaz à effet de serre en 2030 par rapport à 1990), figure la création de ce second marché carbone, intitulé ETS 2, au 1er janvier 2027.
C’est sur celui-ci que la Cour des comptes attire l’attention, en rappelant « qu’il couvrira les consommations d’énergie des bâtiments et des transports routiers, sans différenciation entre les ménages et les entreprises ». Et sans non plus, cette fois-ci, de distribution gratuite de quotas. De quoi renchérir significativement le prix des énergies consommées dans ces secteurs. En prenant l’hypothèse d’un prix du CO2 de 50 € la tonne, la Cour des comptes estime que ce nouveau marché carbone pourrait entraîner des hausses de prix de 11 à 13 % pour le gaz et de 10 à 11 % pour le carburant. Soit, pour les ménages, de 200 à 650 € supplémentaires de dépenses énergétiques par an.
Éviter un nouveau mouvement Gilets jaunes
Or, la fiscalité de l’énergie est déjà un sujet hautement sensible, notamment dans la façon dont elle est mise au service de la lutte contre le changement climatique. La flambée des prix de l’essence a ainsi été l’élément déclencheur de la crise des Gilets jaunes, à l’automne 2018, les contestataires imputant cette hausse à la taxe carbone (2). Cette taxe ‒ qui n’en est pas vraiment une d’ailleurs, il conviendrait plutôt de parler de composante carbone (3) ‒ a été instaurée en 2014 sur les combustibles fossiles (essence, fioul domestique, gaz naturel). Avec l’idée, donc, de renchérir le coût de ces énergies afin d’en détourner les Français. Cette composante carbone était passée de 7 € la tonne à son instauration à 44,60 € en 2018 et devait passer à 56 € au 1er janvier 2019 avant qu’Édouard Philippe, Premier ministre d’alors, ne suspende cette nouvelle hausse face à la grogne des Gilets jaunes.
Plusieurs pistes sont à l’étude pour éviter que la création de ce second marché carbone n’aboutisse à un nouveau mouvement contestataire. L’une consisterait à « supprimer la composante carbone des accises énergétiques [ces impôts indirects perçus sur la vente ou l’utilisation des produits énergétiques, ndlr] à partir de 2027, ce qui entraînerait une potentielle chute de recettes fiscales pour l’État, sauf à ce que les revenus issus de la vente aux enchères des quotas compensent cette baisse », détaille la Cour des comptes. Une autre serait de faire cohabiter composante carbone et nouveau marché carbone, mais de compenser l’impact de ce dernier sur les ménages modestes en leur redistribuant les 5,4 milliards d’euros de gains pour les finances publiques (nationales et européennes) qui résulteraient de cet ETS 2.
La France sous pression de Bruxelles
Encore faut-il débattre publiquement de ces différentes options. Ce n’est pas le cas aujourd’hui, fustige la Cour des comptes. Cette instance n’est pas la seule à mettre la pression sur le gouvernement. Si ce nouveau marché carbone n’entrera en vigueur qu’au 1er janvier 2027, les 27 États membres de l’UE avaient jusqu’au 30 juin dernier pour le transposer dans leurs droits nationaux. Ce que n’a toujours pas fait la France, comme les autres au passage. Le 25 juillet, la Commission européenne leur a envoyé un premier avertissement (sauf à l’Autriche), leur donnant deux mois pour se mettre en ordre. Autant dire que la France ne devrait pas échapper à un second rappel à l’ordre.
(1) https://www.ccomptes.fr/fr/publications/la-place-de-la-fiscalite-de-lenergie-dans-la-politique-energetique-et-climatique
(2) La taxe carbone avait commencé à augmenter bien avant l’automne 2018 mais cette hausse avait été compensée par une forte baisse des cours mondiaux du pétrole. Lorsque ceux-ci ont flambé à nouveau, son impact est tout de suite devenu plus visible.
(3) La composante carbone fonctionne plus comme une redevance que comme une taxe. Elle est payée uniquement par l’usager qui consomme ces combustibles fossiles. En clair : si vous ne faites pas le plein d’essence, vous ne payez pas la composante carbone associée.