ENQUÊTE
Pompes funèbres

Des épines dans la couronne

En dépit de réformes réglementaires régulières, des pratiques douteuses parasitent toujours le secteur des pompes funèbres. Et concernant l’information et la transparence des prix, on reste loin du compte.

La mort, la peine, l’urgence et l’argent : ces éléments disparates font le lit des obsèques avec, pour tout coordonner, les sociétés de pompes funèbres. Souvent accusées de profiter de la faiblesse de leurs clients confrontés au décès d’un proche, elles se dépensent pour donner une nouvelle image d’elles-mêmes. Elles doivent également respecter de nombreuses dispositions réglementaires ou législatives. Un arrêté du 23 août 2010 les oblige ainsi à suivre un modèle de devis, afin de permettre aux familles de mieux comparer les tarifs des diverses enseignes qu’elles démarchent, un impératif pour éviter toute mauvaise surprise sur la facture finale. La mesure devait entrer en vigueur le 1er janvier dernier. Les entreprises funéraires ont eu jusqu’à avril pour s’adapter à cette nouvelle donne, notamment suscitée par une précédente enquête de Que Choisir qui dénonçait, une nouvelle fois, l’opacité du secteur.

Hélas, ce tour de vis n’a pas eu les effets escomptés. Courant juin, les enquêteurs de l’UFC-Que Choisir ont visité près de 1 000 magasins de pompes funèbres pour préparer des obsèques. Résultat : 97 % des quelque 820 devis récoltés n’étaient pas conformes à la réglementation. Et même si près de 40 % d’entre eux s’inspiraient du modèle, pour les familles, le flou sur le prix qu’elles paieront vraiment demeure.

Du chemin reste à parcourir avant que le marché des pompes funèbres ne soit assaini. Le sera-t-il un jour ? Dans le funéraire, la relation humaine tient une grande place. Or, l’humain n’est pas à l’abri de « faiblesses »… Surtout quand les sommes en jeu sont importantes. Le chiffre d’affaires annuel du funéraire approche les deux milliards d’euros pour un total de 530 000 convois (800 000 prévus en 2023). Pour les familles, les prix ont tendance à gonfler. La faute aux services complémentaires et rémunérateurs que les sociétés arrivent à leur vendre. Au final, une augmentation de la facture des obsèques de « 35 % sur dix ans » indiquait l’hebdomadaire Challenges en octobre dernier. Deux fois plus que l’inflation enregistrée sur la même période. À écouter la profession, le coût moyen d’une inhumation tourne désormais autour de 3 300 € (hors concession, travaux de marbrerie, taxes). Un montant proche de celui calculé à partir des devis récoltés par l’UFC-Que Choisir : 3 098 € ! Un prix moyen qui cache de belles disparités, la fourchette allant de 1 300 à 6 101 € sans qu’un tel écart soit justifié.

La concurrence est rude

Avec une part de marché proche de 25 %, le groupe OGF, bien qu’en perte de vitesse, reste le leader du secteur. Détenu par un fonds d’investissement américain, il contrôle un millier de magasins sous les marques PFG, Roblot, Dignité funéraire… De leur côté, Roc’Eclerc, qui réunit 500 franchisés (5 magasins en propre en région parisienne), et Le Choix funéraire, qui fédère 310 « concessionnaires » ou « partenaires », font à peu près jeu égal (autour de 10-12 %) (1). Mais ce sont une foultitude « d’indépendants purs » qui s’octroient le plus gros morceau du gâteau (pas loin de la moitié). Les régies municipales et les sociétés d’économie mixte (SEM), héritage du temps où les pompes funèbres étaient un monopole public, s’arrogent, quant à elles, près de 10 % du marché du funéraire.

De drôles de pratiques

Des acteurs qui tentent tous de se distinguer les uns des autres. « Notre volonté est d’être toujours les moins chers dans la même zone : c’est notre marque de fabrique ! », assure Sandrine Thiéfine, présidente de Roc’Eclerc. Elle dit partiellement vrai : sur la base des devis rapportés par nos enquêteurs, son enseigne affiche le coût moyen le moins élevé pour une inhumation, la palme de la cherté revenant à OGF. « Pas étonnant, le fonds qui contrôle ce groupe n’a qu’un but, que ça crache… », persifle un concurrent. Autre approche, celle de Jacques Cousin qui exploite plusieurs magasins dans l’Oise et le Val-d’Oise. Il certifie proposer des prix forfaitaires avantageux. « Cela nous permet d’en donner plus à notre clientèle, commente-t-il. Outre les prestations de base, nous nous occupons de toutes les démarches administratives avant et après le décès. Un service qui nous démarque des autres. »

Si les acteurs sont multiples, la concurrence est-elle loyale ? Pas sûr. La loi laisse six jours maximum (hors dimanche et jours fériés) aux familles pour organiser les obsèques. Les maisons de retraite et établissements hospitaliers qui enregistrent plus de deux cents décès par an sont obligés de disposer d’une chambre mortuaire où le corps repose en attendant son inhumation ou sa crémation. Dans les autres cas, il peut être transféré dans une chambre funéraire, gérée par une société de pompes funèbres. La porte ouverte à de curieuses pratiques. Conformément à la réglementation, les directeurs d’établissements ne peuvent décider du transfert qu’au bout d’un délai de dix heures en attestant qu’ils ont été dans l’impossibilité de joindre la famille pour l’organisation des funérailles. Seulement, nombre d’entre eux passent outre. Le défunt est rapidement convoyé vers le funérarium. Certes, le transport et les frais de séjour (trois premiers jours) sont à la charge de l’établissement. Concrètement, les familles paient avant de se faire rembourser. Mais mises devant le fait accompli (voir témoignage "Un véritable harcèlement"), délicat pour elles de s’adresser ensuite à une autre société de pompes funèbres que celle qui tient la chambre funéraire. « Celle-ci doit rester commercialement neutre, rappelle Sandrine Thiéfine. Nous sommes très scrupuleux là-dessus : le public doit pouvoir recourir, s’il le veut, à une autre entreprise pour l’organisation des funérailles. » On voudrait en être sûr… « Nous n’avons pas de chambre funéraire. Nous sommes obligés d’utiliser celles des autres. Mais les obstacles à l’entrée sont fréquents. On nous dit, par exemple, qu’il n’y a pas de place, ce qui est faux », s’emporte Jacques Cousin.

Entente et petits cadeaux

L’enjeu est donc crucial. « Je ne suis pas pour, mais hôpitaux et maisons de retraite peuvent signer avec un funérarium une convention dans laquelle ils s’obligent à leur adresser les défunts, rappelle Florence Fresse, déléguée générale de la Fédération française des pompes funèbres (FFPF qui représente les structures indépendantes). Mais cela doit se faire sans contrepartie. » Normalement… Car, dans le milieu du funéraire, on entend régulièrement parler de remise de petits cadeaux, voire d’enveloppes de billets. Des pratiques qui sont bien entendu délicates à mettre au jour. Un ex-associé de la franchise Roc’Eclerc de Charleville-Mézières (08) devrait comparaître début 2012 devant le tribunal correctionnel pour ce motif. L’enquête de police bouclée l’an dernier a établi que, avec la complicité de son directeur, il versait de 200 à 250 € à des agents mortuaires de deux hôpitaux pour chaque client « rabattu » vers son magasin. Dans un rapport sur la mort à l’hôpital publié il y a deux ans, l’Igas (Inspection générale des affaires sociales) s’inquiétait de ces dérives et recommandait d’exiger de chaque établissement de soins qu’il transmette annuellement à l’ARS (Agence régionale de la santé) « la part de chaque opérateur funéraire dans l’ensemble des opérateurs ayant travaillé en lien avec la chambre mortuaire ». Un contrôle qui permettrait de « prévenir les fraudes les plus grossières ».

Le client est le seul perdant

Les régies funéraires municipales ne sont pas en reste. En juillet dernier, l’Autorité de la concurrence, saisie à l’origine par OGF, condamnait la ville de Marseille à 60 000 € d’amende. Alors qu’elle s’y était engagée en 2008, il lui était reproché de ne toujours pas communiquer aux entreprises de pompes funèbres les décès enregistrés dans la ville (nombre d’inhumations, ventilation des décès par établissement de soins…). Mais Marseille ne serait pas la seule à « protéger sa régie », pour reprendre les mots d’un représentant d’OGF. Les villes de Montpellier, Tours ou encore de Paris (les services funéraires sont confiées à une société d’économie mixte) en « agaceraient » plus d’un dans la profession…

Au final, le client est le seul perdant parce que ces « magouilles » et entorses à la concurrence ont un effet inflationniste mécanique. Le particulier doit aussi compter avec l’habileté de certains vendeurs qui profitent de la détresse des familles pour alourdir la facture. « L’une des techniques consiste à mettre les cercueils les plus chers au début du catalogue qu’on leur présente, décrypte un acteur du funéraire. On sait très bien qu’au bout de la troisième ou quatrième page, elles ont fait leur choix. On sait aussi trouver les mots pour subtilement les orienter vers, par exemple, le capiton le plus luxueux. » Jacques Cousin, un indépendant, se montre encore plus franc : « Si la famille que j’ai en face de moi est de condition modeste, je ne charge pas la barque. En revanche, si je sais qu’elle a davantage de moyens… » Tout à leur peine, les familles l’oublient : les opérateurs funéraires ne sont pas des sociétés philanthropiques. Et le secteur (de même que les banques et les compagnies d’assurances) a trouvé un beau sillon à creuser avec la vente de contrats obsèques.

Pour faire du chiffre, certains franchissent la ligne blanche. Outre la classique triche sur l’épaisseur du cercueil ou sur le nombre réel de porteurs, il arrive que l’on verse dans le sordide. En 2008, le quotidien La Charente libre révélait que des agents de l’hôpital d’Angoulême (16) étaient soupçonnés de s’être entendus, contre argent, avec le patron d’une entreprise du réseau Roc’Eclerc pour dégrader les corps des défunts. Ensuite, il suffisait de convaincre les familles de recourir aux services d’un thanatopracteur pour alourdir la facture ! (2)

Une législation mal appliquée

Les pouvoirs publics ont leur part de responsabilité. La taxe d’inhumation perçue par les communes peut varier de quelques dizaines à plusieurs centaines d’euros selon l’endroit. Quant aux conditions de délégation de service public délivrée aux entités privées pour la construction et/ou l’exploitation des crématoriums, elles ne brillent pas toujours par leur limpidité.

Et si, au fil du temps, la réglementation concernant le secteur funéraire s’étoffe, encore faut-il qu’elle soit appliquée. En 2013, un diplôme sera nécessaire pour exercer le métier. À l’heure actuelle, il suffit de suivre une formation de 136 heures et d’obtenir une habilitation préfectorale. « Celle-ci obtenue, il faut en faire pour la perdre ! », reconnaît Sandrine Thiéfine. Les pouvoirs publics réagiront-ils aux résultats préoccupants de notre enquête ? La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) annonce que « de nouvelles investigations » vont être menées sur l’information au sujet des prix. En 2010, sur 513 entreprises contrôlées, elle avait dressé 34 PV et fait 146 rappels à la réglementation.

Témoignage

« Un véritable harcèlement »

Il y a un an, Monique Trussardi, de Villeneuve-Saint-Georges (94), perd sa mère qui résidait ­depuis huit ans dans une maison de retraite du Morbihan. Décédée à 7 h, celle-ci est ­transférée sans délai, à la demande de ­l’établissement, dans le salon funéraire d’une société locale. « Elle m’a appelée le matin même pour me demander ce que je comptais faire pour les funérailles, ­raconte Monique. J’ai répondu que mon souhait était d’en confier l’organisation à une ­entreprise proche de mon domicile. » Mais l’opérateur local insiste. « Il me rappelle dès la fin de matinée et me pose la même question, poursuit Monique. Je confirme alors que je ne comptais pas recourir à ses services. Mon interlocuteur a eu l’air étonné. Il prétendait être le seul sur la région. » Le lendemain, l’entreprise rappelle : « On me dit qu’il va falloir ­pratiquer des soins sur ma mère, laissant planer un doute sur la bonne conservation du corps. » Refus de la fille de la ­défunte. Nouvel appel la veille de la cérémonie. Monique doit régler 526 € pour le séjour en chambre funéraire. Le harcèlement se poursuit le jour de l’enterrement. « Alors que les pompes funèbres que j’avais ­choisies fermaient le ­cercueil, se souvient ­Monique, le responsable du funérarium me ­demande de régler sur-le-champ la facture. Belle délicatesse. » La famille a payé puis s’est fait rembourser (les trois premiers jours sont à la charge de la maison de retraite si celle-ci a pris l’initiative du transfert). « Cette société de pompes funèbres profite du ­désarroi des familles pour leur forcer la main, avec la complicité active de l’établissement qui ­hébergeait ma mère », conclut Monique.

(1) Les entreprises affiliées à ces enseignes restent indépendantes.

(2) L’instruction de cette affaire est sur le point d’être close.

Arnaud de Blauwe

Arnaud de Blauwe

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