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Alimentation

Les limites de l’affichage environnemental

Nous devrions bientôt avoir une idée de l’impact environnemental de nos aliments. Un premier « Éco-Score » a vu le jour, porté par des acteurs de l’alimentaire. Il devrait être suivi par d’autres initiatives, dans le cadre d’une expérimentation portée par les pouvoirs publics. Des démarches intéressantes, malgré les limites de cette évaluation vis-à-vis de plusieurs enjeux – biodiversité et toxicité des pesticides en particulier.

Manger sain pour soi, mais aussi pour la planète : après le Nutri-Score évaluant la qualité nutritionnelle des aliments, une note sur leur impact environnemental pourrait voir le jour, comme le prévoit la loi de 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire. Dans cette quête, l’État a mis sur la table une base de données en libre accès, Agribalyse, qui contient les scores de 500 produits bruts et 2 000 aliments transformés, calculés selon l’Analyse de cycle de vie (ACV) (1). Mais, formatée pour l’industrie, cette méthode présente quelques lacunes quand il s’agit des productions agricoles – exposées en toute transparence lors de la présentation du dispositif. Si l’ACV évalue bien les conséquences des pratiques sur le changement climatique, c’est moins vrai pour la biodiversité et la fertilité des sols, ou l’impact des pesticides et des antibiotiques sur la santé des humains et des écosystèmes. Par ailleurs, ses résultats étant exprimés par kilo d’aliment produit, elle tend à avantager les systèmes intensifs face aux systèmes extensifs et bio.

L’Institut technique de l’agriculture bio, l’Itab, en relève les « limites et les failles ». Dans un rapport, il « alerte sur les conclusions erronées qui pourraient en découler » et formule un certain nombre de demandes – dont certaines ont déjà été prises en compte par les instituts de recherche en charge d’Agribalyse, l’Inrae et l’Ademe. L'interprofession Interbev, qui représente les filières viande rouge (bovins, ovins, caprins), s'inquiète d'un « contre-sens environnemental où des viandes bovines issues de "feedlots" (d’immenses parcs d’engraissement américains) seraient mieux notées que des viandes bovines issues d’élevage à l’herbe ». Les gains environnementaux des prairies, sur la biodiversité, le stockage du carbone et la qualité des sols, ne sont pas assez pris en compte.

Demande de suspension de la publication des scores Agribalyse

Ces travers ont motivé un appel de la part de 17 organisations, dont l’UFC-Que Choisir, mais aussi des ONG environnementales (Greenpeace, Générations futures, Agir pour l'environnement, etc.) et de bien-être animal (CIWF), les principales structures de la filière bio (Fnab, Synabio, NatexBio, BioConsommacteurs) et le syndicat agricole Confédération paysanne. Tous demandent la prise en compte des « externalités positives » de ces modes de production, et d’ici là, la suspension de la publication des scores Agribalyse.

Comment contrebalancer ces lacunes ? L’État s’est tout simplement désengagé, appelant les acteurs privés à élaborer et tester des indicateurs plus complets, dans le cadre d’appels à projet à mener sur le premier semestre 2021 – un bilan devrait en être tiré pour donner lieu à un rapport au Parlement en fin d’été, et une méthodologie officielle d’ici la fin de l’année. Un collectif de plusieurs acteurs de l’alimentaire a lancé le 7 janvier un logo « Éco-Score » commun (lire l’encadré), et d’autres propositions émanant de start-up ou de grands groupes de l’agroalimentaire devraient voir le jour dans les prochaines semaines. Au risque de créer la confusion pour les consommateurs, mais surtout de mal prendre en compte l’un des aspects majeurs de la crise environnementale : l’effondrement de la biodiversité.

Une note Éco-Score pour chaque aliment

Ils y travaillaient depuis deux ans : neuf acteurs de l’alimentaire (Eco2 Initiative, Etiquettable, FrigoMagic, FoodChéri, La Fourche, Marmiton, OpenFoodFacts, ScanUp et Yuka) ont officiellement lancé le 7 janvier un Éco-Score : une note de A (la meilleure) à E (la moins bonne) assortie d’un code couleur du vert au rouge semblable au Nutri-Score, calculée pour un aliment ou un plat. Pour cela, ils se sont basés sur le score Agribalyse, tamponné par un système de bonus/malus « permettant de capter d'autres enjeux environnementaux non représentés par l'ACV, comme la biodiversité, la protection des espèces menacées, ou encore l'approvisionnement local », ont-ils expliqué lors d’une conférence de presse commune. Ont été pris en compte 5 critères supplémentaires :

  • le système de production (bio, « bio amélioré », labels avec critères environnementaux…) ;
  • l’approvisionnement local ou non de la production (tenant compte de la provenance et de la nature du transport) ;
  • la circularité de l’emballage (recyclabilité, réduction des emballages, utilisation de matières recyclées…) ;
  • la surpêche, la déforestation liée à l’huile de palme ;
  • la politique environnementale des pays dont sont issus les ingrédients.

Chocolat et saumon au filtre de l’Éco-Score

Chocolats

Il est possible de comparer deux plaquettes de chocolat au lait sur ce critère, toutes deux étant classées Nutri-Score E, mais le premier chocolat (La Fourche ) affiche un Éco-Score C (47 points/100), tandis que le deuxième (Milka) écope d’un E (21/100). Cette différence est ici liée au bonus du chocolat La Fourche affichant un label bio et commerce équitable (+20 points), alors que le Milka ne l’est pas (0 point). L’emballage se voit crédité d’un malus de 2 points pour La Fourche, et de 8 points pour Milka. En revanche, pour tous deux, le score de base Agribalyse est de 34 points, l’origine tropicale du chocolat pèse sur les notes « provenance des ingrédients » (0) et « politique environnementale des pays producteurs » (-5).

Saumons fumés

Un saumon fumé du Royaume-Uni (Sélection Carrefour) écope d’un D : le score ACV de 34 points est complété par des bonus « transport » de 11 points du fait de l’origine proche (Royaume-Uni), et « politique environnementale » de 5 points. En revanche, il est plombé par son emballage (-10 points).

À l’inverse, le saumon fumé bio d’Irlande (William & James) vendu dans un emballage carton, avec un Éco-Score B, bénéficie d’un bonus de 15 points lié au label bio, des bonus « transport » de 12 points, du fait de l’origine proche (Irlande), et « politique environnementale » de 2 points, et d’un malus de seulement 2 points pour l’emballage, dont la composition est détaillée.

(1) L’ACV évalue les impacts environnementaux d’un produit en prenant en compte toutes les étapes de son cycle de vie : extraction des matières premières (y compris énergétiques), fabrication, distribution, utilisation, transport, ainsi que collecte et élimination des déchets.

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