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Plastique dans l’alimentationUne dépendance problématique

EC

par Elsa Casalegno

Grâce à ses atouts indéniables, le plastique s’est imposé à chaque étape de la fabrication de nos aliments, depuis le traitement des semences jusqu’aux emballages des produits. Alors que l’humanité est confrontée à la pollution environnementale induite par cette matière et à son impact néfaste pour la santé, il est très compliqué de s’en affranchir.

Sachets, blisters ou boîtes en plastique pour les aliments, bouteilles d’eau ou de sodas, gobelets et couverts, ustensiles de cuisine, emballage des palettes pour le transport, serres de maraîchage, bâches pour l’ensilage et l’enrubannage des fourrages, voire enrobage d’engrais et de semences… 20 % du plastique total utilisé en France (4,8 millions de tonnes par an) est employé par la filière agricole et alimentaire, depuis les champs jusqu’à nos assiettes. L’immense majorité (91 %) sert à emballer nourriture et boissons, les 9 % restants étant utilisés par l’agriculture. Léger, solide, bon marché, étanche à l’eau et aux microbes, il présente de telles qualités qu’il s’est rapidement imposé à toutes les étapes de la fabrication de notre alimentation. Au point que le système actuel ne peut plus s’en affranchir.

Pourtant, il va falloir trouver des pistes, et vite. Car le constat posé par une étude scientifique conjointe de l’Inrae et du CNRS publiée le 23 mai dernier est sombre. Les chercheurs ayant mené ce travail constatent « une contamination massive par les microplastiques de tous les sols, et en particulier les sols agricoles, dépassant probablement en tonnage celle des océans ». Les chiffres évoqués vont de 1,5 à 6 millions de tonnes de plastiques dans les sols au niveau mondial. En France, l’estimation tourne autour de 244 kg par hectare.

Tous les milieux sont contaminés

Conséquence : « Tous les organismes vivants sont contaminés par les microplastiques, y compris les humains, avec des effets néfastes pour la santé. » Ces effets délétères peuvent être dus aux microplastiques (moins de 5 mm) et aux nanoplastiques (moins de 1 micromètre). Ces fragments minuscules s’accumulent dans les sols et les océans, mais aussi dans nos aliments, comme le montrent plusieurs tests menés par Que Choisir sur des sachets de thé, des produits de la mer ou des bouteilles d’eau.

Des conséquences délétères pour la santé

Ils peuvent aussi pénétrer dans les organismes, et l’humain n’est pas épargné, puisque des études récentes en ont trouvé dans le placenta, le liquide amniotique, et même le cerveau des fœtus ! Les particules solides peuvent alors avoir des effets inflammatoires. Mais pas seulement. Les plastiques sont des polymères issus d’hydrocarbures, auxquels sont ajoutés des milliers d’additifs. Ces derniers représentent en moyenne 7 % de la matière, mais parfois beaucoup plus : plastifiants (comme les phtalates ou les huiles minérales aromatiques), colorants, adhésifs, stabilisants, tensioactifs, retardateurs de flamme, etc. Or, ces substances sont potentiellement dangereuses : effets cancérogènes, troubles de la reproduction, perturbateurs endocriniens, pathologies comme l’obésité, l’asthme, le diabète, etc. Les études recensant leurs effets délétères pour la santé s’accumulent (lire l’encadré).

Et c’est sans compter les NIAS, c'est-à-dire les substances ajoutées non intentionnellement ! Ces dernières, qui apparaissent au cours de la fabrication du plastique ou de sa dégradation, sont très peu étudiées. On trouve aussi dans les plastiques divers polluants tels des métaux lourds ou des contaminants chimiques. Ou encore des nanomatériaux destinés à ajouter des propriétés au plastique, par exemple le dioxyde de titane pour son rôle anti-UV. Autant de substances mal connues – les fabricants s’abritant derrière le secret industriel – et dont l’impact sanitaire n’a pas encore été pris en compte, ni même évalué.

Un recyclage trop faible

Autre conséquence, « la composition et la structure des plastiques se sont complexifiées, notamment avec l’ajout d’additifs et de couches multiples, rendant ainsi leur recyclage plus difficile », souligne l’expertise. En France, un tiers des plastiques collectés (au total 3,6 millions de tonnes en 2018) est incinéré (induisant des dégagements de CO2), un tiers est enfoui en décharge (et se retrouve ensuite dans les sols), et seulement un tiers est réellement recyclé – et ce de façon insatisfaisante.

« Seul le recyclage des bouteilles d’eau en PET [soit 1 à 2 % des plastiques, ndlr] est destiné à produire le même objet. Le reste est recyclé pour fabriquer des produits différents car ils ne correspondent plus aux normes fixées par les réglementations des produits au contact de l’alimentation », précise l’expertise. On peut certes obtenir des cintres, des pots de fleurs ou des pare-chocs, mais pas de nouveaux emballages alimentaires – ce qui implique que la production de contenants à usage unique se poursuit.

Quant à la biodégradation, elle est illusoire. « Certains plastiques sont indiqués comme biodégradables, mais ils ne se décomposent que dans des conditions très spécifiques, voire uniquement en milieu industriel contrôlé », poursuivent les chercheurs. Il s’agit en général de matières biosourcées, mises en avant par les fabricants, la majorité des plastiques pétrosourcés n’étant pas biodégradables, non plus que certains biosourcés d'ailleurs : ils ne sont pas tous biodégradables car ce sont aussi des polymères, qui se comportent chimiquement comme les plastiques issus de la pétrochimie.

Repenser le système pour sortir du plastique

Face à l’ampleur des dégâts, les mesures de régulation sont insuffisantes. Le recyclage et la substitution par des matériaux plus vertueux ne suffisent pas, voire sont illusoires. Seule solution à long terme : réduire massivement la production. Ce qui est inapplicable avec le fonctionnement actuel de notre filière alimentaire. Les scientifiques coordinatrices de l’expertise Inrae-CNRS, Muriel Mercier-Bonin (Inrae) et Sophie Duquesne (CNRS), ont averti en conclusion de leur rapport : « Il faut questionner la possibilité même de rendre soutenable l’usage des plastiques dans l’agriculture et l’alimentation. Il faut repenser le système dans sa globalité, et pas seulement par une substitution de matériaux. » La balle est désormais dans le camp des politiques. Sauront-ils – ou voudront-ils – la saisir ? On peut avoir quelques craintes sur la question…

Un coût sanitaire prohibitif

Les coûts liés à l’impact des plastiques sur l’environnement et la santé ont fait l’objet de quelques tentatives de chiffrage. Mais les calculs ne peuvent être exhaustifs, et n’évaluent que partiellement les dommages. En tout cas, les rares estimations publiées donnent le vertige : dans l’Union européenne, en ne considérant que les phtalates et le bisphénol A, ils s’élèveraient déjà à plus de 33 milliards d’euros…

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